Des aventures aériennes, en VFR et sans radio, à nous faire dresser les cheveux sur la tête… Des voyages sortis de la bibliothèque de Jean-Philippe Chivot.
Suite de l’épisode 1…
Après Oslo, l’équipage du Vega Gull va se poser à Stockholm puis traverse la Baltique vers Helsinski où il atterrit sur l’aérodrome alors en construction pour les Jeux olympiques de 1940 (ci-dessous, l’aérogare en 1940). Bien sûr, ces Jeux seront reportés et n’auront lieu qu’en 1952 donnant alors tout son sens à l’aérodrome.
Ils croisent avec surprise, en allant vers les hangars, des avions portant des croix gammées. Ce ne sont évidemment pas des appareils allemands car les Finlandais avaient adopté dès 1917 ce symbole vieux d’au moins cinq siècles avec une petite différence, la croix finnoise est décalée de 45° par rapport à celle des Nazis… Ci-dessous, un F2A Brewster Buffalo sous livrée finnoise.
Le pilote veut ensuite se rendre en Laponie mais le mauvais état des aérodromes réduit l’excursion vers le nord à un voyage jusqu’à l’aérodrome assez proche de Tampere. Au cours du retour de Tampere à Helsinski, le fol épisode du fjord de Larvik se répète… Le matin du retour à Tampere, on sort l’avion et le pilote fait faire les pleins alors que le temps oscille entre brume et brouillard. Le baron hésite à trop attendre car à tarder, il craint d’amoindrir « la belle renommée d’audace des aviateurs français » (sic). Il prend congé des officiers finlandais et décolle vers l’horizon brumeux.
A peine en l’air, l’avion se retrouve en plein brouillard. Le pilote rebrousse chemin et fait des ronds pendant une minute en cherchant à apercevoir le hangar. En vain… Après tout pense t-il, « j’ai de l’essence pour trois heures de vol donc montons vers le sud. Tout cela se dissipera au dessus du golfe de Finlande ». A 700 m, il émerge en plein soleil et vole pendant une quarantaine de minutes vers Helsinski. La couche est toujours soudée et trois solutions s’offrent à lui : descendre prudemment dans la brume jusqu’à 100 m d’altitude et remonter si le sol reste invisible, voler vers le golfe de Finlande et chercher la vue de l’eau, enfin continuer vers le sud pour atteindre Tallin-Riga ou Kaunas.
L’équipage se concerte et le pilote décide in fine de tenter la descente vers Helsinski. Le premier essai échoue, la brume recouvre la forêt. Le deuxième réussit. Au-dessus du golfe, le brouillard s’effiloche et le pilote plonge vers la mer dans la plus grande des fissures. Il slalome « prudemment » entre les îles que relient çà et là des… câbles électriques et se pose à Helsinski sur le dur du terrain, là où s’achève la construction de l’aérogare. Dès le début des années 1930, les pays nordiques – dont les aérodromes souffrent du dégel et de la boue – ont fait construire des pistes en dur alors qu’en 1940, ni le Bourget ni Croydon n’en était équipé.
Nos touristes vont donc se rendre tout d’abord à Tallin en Estonie, à une demi-heure de vol de Helsinski, qui dispose depuis peu d’une piste en dur, le long de la Baltique, et d’un charme moyennageux indéniable. Ci-dessous, les pistes en dur et l’hydrobase de Tallin en 1937. La traversée s’effectue sous un soleil limpide mais la surprise à l’arrivée est purement administrative…
La beauté de la vieille ville compense heureusement le coûteux formalisme de l’atterrissage : deux heures d’attente et la plus lourde addition de tout le voyage pour être le premier avion français à se poser en Estonie ! Au départ, il leur faut attendre presque une matinée pour que la police locale ait endossé son uniforme d’opérette et fait preuve d’une morgue hautaine, cependant agréablement compensée par l’amabilité du météorologue. Celui-ci ne peut leur prédire du beau temps jusqu’à Kaunas alors capitale temporaire de la Lithuanie. L’équipage préfère le ciel maussade aux fonctionnaires estoniens. L’avion gagne Kaunas en traversant de nombreuses zones de pluie, en évitant les zones interdites et en suivant tant bien que mal la route obligatoire.
Carte de la Lithuanie : on y remarque que Vilna, maintenant Vilnius, capitale historique du pays, est alors en Pologne depuis 1922.
Kaunas n’est qu’une capitale aux maisons en bois, dotée d’un petit aérodrome. Sur la photo, on distingue notamment un Junkers Ju-52 de la Lufthansa.
Vouloir voler vers Cracovie en Pologne ne va pas être simple. En effet, depuis 1922, la Lithuanie voue à la Pologne une haine féroce et ignore la réalité de la « frontière polonaise ». Ainsi, la lettre envoyée par le pilote à Varsovie lui est retournée avec la mention « inconnu ». L’aller Kaunas-Cracovie se fera donc par Koenigsberg, maintenant Kaliningrad en Russie et alors en Prusse orientale allemande. L’accueil à Koenigsberg fut… froid et rapide et deux heures et demie de vol suffirent à rallier Cracovie non sans peine d’ailleurs car l’aérodrome était noyé dans la brume et troué de profondes tranchées…
Cela dit, Cracovie est une ville magnifique et l’équipage y demeura plusieurs jour avant de repartir pour Budapest et Athènes… Il faut noter qu’il y a 80 ans n’existait aucune éolienne ou ligne électrique et donc que le vol à très basse altitude n’effrayait pas les pilotes. Aussi, le baron dans son Vega Gull ne se souciait pas de terrains de dégagement… Comme nous l’avons vu, un simple champ suffisait à poser un quadriplace dont la vitesse de croisière était de 240 km/h et la vitesse d’atterrissage de 75 km/h. On n’a jamais fait mieux… et le seul risque qu’envisageait le baron était de casser du bois – risque que sa fortune lui permettait de supporter ! ♦♦♦ Jean-Philippe Chivot
Photos et illustrations via l’auteur
Prochain épisode : Cracovie-Budapest-Athènes