Il y a 80 ans : la fin de l’âge d’or de l’aviation VFR racontée par Jean-Philippe Chivot…
L’histoire commence en Suède à la fin août 1939. Jean Batten, la Garbo du ciel, est en vacances en Suède chez une de ses conquêtes, un comte suédois richissime, relation de Goering, et elle désire rentrer à Londres dans son avion, un magnifique Percival Vega Gull qui croise à 240 km/h.
L’Allemagne vient d’interdire tout vol privé sur son territoire. Le comte téléphone à Goering qui donne à la belle Anglaise une autorisation exceptionnelle de survol. Elle se pose donc à Brême pour y refaire le plein et, avec stupeur, elle y voit des rangées de Messerschmitt 109 garés sur l’herbe. Elle repart vers Londres et se pose dans la soirée à Gravesend où son avion est immédiatement saisi car elle est soupçonnée d’espionnage en faveur du Reich. Jean, qui avait relié l’Angleterre à l’Australie puis traversé l’atlantique Sud, ne pilotera jamais plus.
La France de son coté vient de classer en zone militaire tout son territoire à l’est d’une ligne Saint Inglevert–le Bourget–Lyon–Marseille et donc y interdire tout vol civil. Le 3 septembre 1939, la guerre est déclarée. Aussitôt les vols d’avions privés sont interdits et se met en place une réquisition militaire des avions d’aéro-clubs et de particuliers. Toutefois, cette réquisition n’est pas totale car elle laisse de coté les avions de construction étrangère ou appartenant à des étrangers.
Il y a, à cette époque en France, environ 1.500 avions privés de particuliers ou d’aéro-clubs et quelques 150.000 membres à la Fédération Aéronautique de France, ancêtre de la FFA. Les avions réquisitionnés ont pour la plupart des moteurs de plus de 100 ch et sont généralement :
– des quadriplaces Caudron C-280 Phalène (la photo ci-dessous a été prise sur une plage du Danemark)
– des biplaces Caudron Luciole
– des biplaces Caudron Aiglon
– des biplaces Potez 43
Les cinq premiers mois de la guerre
Il ne se passe pas grand-chose (c’est la Drôle de guerre…) et les aviateurs mobilisés s’ennuient fortement dans le mauvais temps. Les pilotes privés non mobilisés ont plus de 48 ans ou sont des femmes. Depuis Helène Boucher, certaines sont des gloires nationales. L’une de ces femmes qui n’ont plus d’ailes, Régina Wincza, voltigeuse d’origine polonaise, décrit dans la presse en novembre 1939 son désarroi de voir pour ses quarante ans son hangar de Toussus cadenassé et son Morane 340, exemplaire unique, parti aux armées. « Nous voulons voler » proclame t-elle. « Nous avons tout sacrifié à l’aviation… Va-t-on nous faire courir les antichambres et les couloirs du ministère jusqu’à la fin de la guerre. Pitié pour les aviatrices. Qu’on nous laisse vivre à l’ombre des ailes »…
Cela dit, les pilotes non mobilisés ou de plus de 48 ans n’en pouvaient plus, eux aussi, de voir leurs avions, non réquisitionnés, pourrir sous la poussière des hangars. A la Noêl 1939, ils proposèrent au ministre un arrangement concernant les pilotes d’âge non mobilisable, ou travaillant dans des usines réquisitionnées, ou enfin mobilisés dans l’armée de Terre pour qu’ils puissent continuer à s’entrainer et à maintenir valide leur licence dans la mesure où personne ne pouvait dire combien de temps durerait la guerre.
Cet arrangement porterait sur des vols dans les 5 km entourant les terrains situés en dehors de la zone des armées et non utilisés par l’armée de l’Air. La hauteur maximale des vols devrait être limitée pour rendre toujours possible, à partir du sol, l’identification de l’avion et l’autorisation de vol serait personnelle au pilote et accordée après enquête. Cela va sans dire, le ministère fit la sourde oreille car l’utilisation militaire des avions réquisitionnés posait problème. Des appareils disparates avec certains en mauvais état et des définitions de mission pas évidentes à concevoir entrainèrent l’armée à faire publier en février 1940 une note-reportage sur « les avions estafettes » avant toute réponse au dit arrangement.
Le terrain d’envol des pilotes estafettes est généralement un morceau d’exploitation agricole bordant une ferme. Depuis début septembre 1939, date d’arrivée des avions des clubs les plus agissants, il est très animé, du moins jusqu’à ce que la neige ne vienne le recouvrir. Les avions ont été recouverts de peinture de camouflage, ce qui a changé leur allure. Plus de bandes blanches ou rouges, ils passent presqu’inaperçus avec leurs taches grises ou vertes sur fond de campagne hivernale. Ils servent d’abord, comme dans les clubs, à l’entrainement de pilotes que leur âge ou leur condition physique ne permet pas d’affecter à une unité combattante.
Les missions réelles des pilotes estafettes consistent, comme le nom l’indique, à effectuer des liaisons. Les avions estafettes sont des voitures volantes qui vont porter des plis urgents dans les unités ou même assurent des compléments aux liaisons postales. Ils fonctionnent dans toute la France en arrière du front. Il n’est donc pas question pour le pilote estafette de combattre l’ennemi mais de combattre le mauvais temps. Dans la pluie et les bourrasques, il est le spécialiste du vol chahuté.
Face à cette dure réalité des mauvais jours et des avions plus ou moins bien entretenus, le rédacteur s’intéresse ensuite longuement à la popote, bar de l’escadrille des estafettes. Chaude atmosphère chaleureuse et campagnarde dans un PC modeste qu’aménagent sans cesse des mécanos astucieux, telle sera la conclusion de l’article, bien dans l’esprit de la Drôle de guerre. Cependant, en janvier 1940, ce sont les Belges encore neutres qui permettent à leurs pilotes privés de tâter du manche, une fois.
Les terrains de Bruxelles, Ostende, Le Zoute, Gand, Wevelghem, Tirlemont et Saint-Huber sont réutilisables par des pilotes ou des passagers possédant une autorisation personnelle délivrée par une autorité compétente. Les vols sont effectués dans un rayon de 3 km autour des aérodromes à une altitude inférieure à 800 m, de 8h30 du matin au coucher du soleil.
La fin des vols pour 5 ans
Cette reprise des vols déclencha une reprise des interventions de couloir auprès du ministère de l’Air en France. Elles échouèrent pour les vols motorisés mais permirent la réouverture du centre de vol à voile de Beynes. Malheureusement, il n’y avait pas que la guerre qui contrariait les machines volantes privées. Le journal « Les ailes » du 23 mai 1940 parle, pour la situation générale de l’aviation militaire, du « calme avant la tempête » et publie l’entrefilet suivant sur les vols privés à Beynes
Sans commentaires… même pour le diner popote de l’assemblée générale d’une fédération aéronautique dont je tairais le nom. ♦♦♦
Photos via l’auteur