Chantier de reconstruction pour le chasseur français de 1940 peu connu car arrivé trop tard et en faible nombre dans les unités de l’armée de l’Air…
Si durant la Bataille de France, le Morane-Saulnier MS-406 supporta le plus gros de l’effort face à la Luftwaffe – avec les Bloch MB-152 et Curtiss H-75 Hawk – chacun sait que le meilleur chasseur français de la période reste le Dewoitine D-520, arrivé trop tardivement et en nombre trop faible pour infléchir la supériorité aérienne allemande. On connaît souvent moins l’Arsenal VG-33, un chasseur monoplace développé par l’Arsenal aéronautique, constructeur aéronautique implanté sur le terrain de Villacoublay et plutôt spécialisé dans les petites séries ou la réalisation de prototypes pour d’autres constructeurs.
Issu d’un premier prototype à la motorisation due à un couplage de deux moteurs en tandem entraînant un doublet d’hélices, le VG-30 – dont les initiales trahissent le couple Vernisse-Galtier, soit le patron de la société et l’ingénieur en charge du projet – va donner naissance à un chasseur moins sophistiqué, le VG-33. La technologie retenue est le bois – notamment par moulage, comme ce sera par la suite le cas du Mosquito – pour se passer au maximum des matériaux stratégiques alors que la Seconde Guerre mondiale devient une hypothèse forte.
L’intérêt du bois est de pouvoir sous-traiter la production des éléments de structure à de multiples ateliers où se trouve une main d’oeuvre qualifiée composée de menuisiers et ébénistes. Ceci permet également de disperser la production pour éviter toute rupture d’approvisionnement en cas de bombardement d’un seul site de production.
Le prototype vole le 25 avril 1939 à Villacoublay. Le VG-33-01 est évalué par les pilotes d’essais du Centre d’essais du matériel aérien (CEMA) également implanté à Villacoublay et dont la section Avions est dirigée par Louis Bonte. Il semble que les rapports des pilotes de l’Etat aient été plutôt élogieux, avec un avion performant (plus rapide que le D-520), facile à piloter, stable… et pouvant tenir tête au Messerschmitt 109E.
L’armée de l’Air, en manque d’avions, passa commande de 500 exemplaires le 12 septembre 1939. Signe avant-coureur de la débâcle à venir, l’État français complètait sa première commande d’une seconde de 500 exemplaires à nouveau pour équiper en urgence une armée de l’Air techniquement dépassée par la concurrence allemande.
A la première unité de production à Sartrouville, au sein de la Société nationale de constructions aéronautiques du Nord (SNCAN), doit alors s’ajouter une chaîne d’assemblage à Clermont-Ferrand, chez Michelin. Il n’en sera rien, la France devant signer l’Armistice en juin 1940 avant le lancement de ce programme industriel développé dans l’urgence.
En plus des 160 et quelques exemplaires de VG-33 en construction en région parisienne, à différents états de construction, une dizaine d’appareils a pris l’air à cette date car le premier de série n’est sorti d’usine qu’à la mi-avril 1940, un mois avant la Bataille de France. Arrivé trop tard comme le D-520, manquant de puissance avec son Hispano-Suiza 12Y31 de 860 ch, l’Arsenal VG-33 fait cependant partie des chasseurs les plus performants de la période. Son armement est composé de quatre mitrailleuses implantées dans les ailes et d’un canon Hispano-Suiza tirant à travers l’axe de l’hélice.
Comme toujours, le bureau d’études de l’Arsenal a déjà prévu différentes versions dérivées du modèle 33 dont certains prototypes ont pris l’air (photo ci-dessous du VG-36 à l’aérodynamique améliorée). Quelques VG-33 seront opérationnels (une quinzaine ?) à la fin de la Bataille de France, avant de disparaître dans le chaos de la fin des hostilités. Un exemplaire sera évalué au centre d’essais allemand de Rechlin. Aucun VG-33 n’a survécu…
Jean Michard est déjà connu pour sa participation à la restauration d’un Norécrin 1203/VI et d’un De Havilland DH-82A Tiger Moth. Avec son fils aîné Baptiste, il a par la suite envisagé la restauration d’un warbird mais il a jeté l’éponge devant les coûts avant de s’orienter vers les répliques de différents chasseurs de la Dernière Guerre mondiale proposées par Marcel Jurca dont le MJ100 Spitfire. Au fil des recherches sur ces appareils, alors que Réplic’air lançait son projet de D-551, Jean Michard est tombé sur le site de Franck Devillers, passionné par un chasseur français de 1940 peu connu, l’Arsenal VG-33.
Attiré par cet appareil méconnu, Franck Devillers a en effet rassemblé au fil du temps de nombreux documents sur le chasseur et ses équipements, notamment des photos fournies à l’époque par EADS (dont des photos de la construction, étape par étape, des éléments de l’avion par la SNCAN), mettant en ligne le tout sur un site spécifique à l’Arsenal VG-33. Il possède les notices descriptives de l’avion, les dossiers de calcul de l’aile et des commandes de vol, les notices techniques des différents moteurs Hispano-Suiza, avec comme espoir au départ de pouvoir lancer un jour la reconstruction à l’échelle 1 d’un Arsenal VG-33.
Pour Jean Michard, la découverte du VG-33 via ce site « fut la révélation », précise-t-il, pour plusieurs raisons. Ce chasseur a bien volé, participant à des missions de guerre et révélant de bonnes caractéristiques de vol mais aucun exemplaire ne peut être vu – d’où l’intérêt d’en reconstruire un exemplaire pour « apporter une petite pierre à la sauvegarde du patrimoine aéronautique ». De plus, sa construction entièrement en bois s’avère bien adaptée à la construction amateur.
D’où la création en novembre 2016 de l’association Arsenal Sud Restauration dont l’objet est dans un premier temps de s’attacher plus précisément à « l’acquisition de documentation, de matériaux, de matériels et d’instruments dans le but de reconstruire un avion de type VG-33 créé par la société Arsenal et construit sous licence par la Société nationale de constructions aéronautiques du Nord (SNCAN) dans l’établissement de Sartrouville en 1939 ».
Avec une équipe d’une dizaine de personnes se constituant autour de ce projet, l’association a ainsi effectué des recherches bibliographiques tant au Bourget, au musée de l’Air et de l’Espace, qu’à Toulouse, au sein de Réplic’air, association reconstruisant un Dewoitine D-551, successeur du D-520. Avec AIRitage, Arsenal Sud Restauration a eu accès à un important fonds photographique. Des ouvrages techniques de l’époque ont été consultés, de « La construction des avions » par Guy du Merle à « La résistance des matériaux appliquée à l’aviation » par Paul Vallat.
Puis il a fallu prendre en main l’outil informatique Solid Works (ci-dessus, production en 1939-1940 à gauche et même flanc gauche en 2018/2019 via Solid Works), mis à disposition par la fédération RSA pour redessiner les plans de l’appareil à partir de différents documents dont la notice de l’avion, des photos de construction, le dossier de calcul, etc. Ceci était le point de passage obligé avant de pouvoir lancer le début du chantier.
C’est désormais chose faite, avec les premiers éléments de structure réalisés en bois sur des masters, comme à l’époque, au sein du hangar utilisé par Arsenal Sud Restauration sur le terrain de Vinon-sur-Verdon. De plus, un Hispano-Suiza 12Y36 de 900 ch (ci-dessous) a été trouvé dernièrement en Normandie, en espérant l’échanger ou le remplacer à l’avenir par un 12Y47, la motorisation exacte du VG-33 avec son canon tirant dans l’axe d’hélice, moteur au taux de réduction plus élevé et au sens de rotation inverse.
On peut ainsi rêver un jour de pouvoir regrouper sur un même terrain, autour de ce futur unique Arsenal VG-33, l’unique MS-405/406 en état de vol en Suisse, l’unique Curtiss H-75 Hawk maintenu en état de vol par The Fighter Collection à Duxford sans oublier l’unique Dewoitine D-551 de Réplic’air à Toulouse – ce dernier devant prendre son envol l’an prochain… À ces projets ou réalisations tous « uniques », il faut également rajouter le Bloch MB-152 en reconstruction par des salariés de Dassault Aviation, pour exposition statique. ♦♦♦
Photos issues du net © site de Franck Devillers, Arsenal Sud Restauration et fonds photographique AIRitage