Le nouveau projet d’avion biplace de voltige à la française…
Au salon du Bourget, la jeune société Aura Aero présente le prototype de son Intégral R en cours de construction, dont le programme a été dévoilé début juin. Au départ, il s’agissait de réaliser un biplace léger, avec une motorisation peu élevée (80 ch) mais il s’est avéré qu’aucun moteur ne pouvait convenir et le projet a évolué vers des motorisations plus élevées et validées (Lycoming).
L’équipe des co-fondateurs de la société (Jérémy Caussade, président et ingénieur en chef, Fabien Raison, responsable du bureau d’études et de la production, Wilfried Dufaud, responsable technique) ont vu, après étude de marché, qu’un créneau était peu satisfait, celui de l’avion école biplace côte-à-côte apte à la voltige jusqu’au niveau Elite avant le passage sur monoplace. Le Cap-10B ou C n’est pas ou peu produit, le CR-100 est diffusé en kit.
Le projet, débuté il y a quatre ans, a été entamé avec notamment de nombreux échanges avec Jean-Marie Klinka, ancien du bureau d’études des Avions Mudry, dans un premier temps sur la période Cap-10B et série des Cap-20 puis dans un deuxième temps sur les Cap-231 et les successeurs. Le cahier des charges a ainsi évolué au fil du temps avec la volonté de ne pas perdre à l’avenir un savoir technique dans ce domaine spécifique qu’est l’avion de voltige.
Après étude des différentes technologies possibles, la solution retenue a été une structure en bois avec des renforts en carbone, dans le sillage des longerons bois-carbone définis par Jean-Marie Klinka et notamment adoptés sur les Cap-10B pour leur redonner leur plein domaine de vol avec la version dite Cap-10BK. Pour la partie construction des éléments structuraux, Aura Aero a fait appel aux services d’Air Menuiserie (Bernay), atelier de maintenance spécialisé dans les constructions bois et animé par des anciens des Avions Mudry. Air Menuiserie assure déjà la transformation des Cap-10B en Cap-10BK.
Le « maillage technique » du projet a été complété par des échanges avec d’autres intervenants. Alain Bugeau – ancien aérodynamicien de Dassault Aviation mais aussi partie prenante de différents projets concernant l’aviation subsonique dont les essais de soufflerie du Dewoitine D-551 développé par l’association Réplic’Air – a ainsi apporté son savoir en matière d’interactions aérodynamiques à l’emplanture des ailes ou sur la forme des saumons. Bernard Sterviniou, spécialiste des matériaux composites a également participé au projet, notamment pour en faciliter la prochaine industrialisation. Michel Dozières, ancien du bureau d’études des Avions Mudry (conception du Cap-230 et développement du biplace école de voltige Cap-X) a également été sollicité.
Le prototype du modèle R (version à train classique) a été assemblé en une quinzaine de jours, les premières pièces ayant été réalisées fin 2018. La structure principale est en bois avec un revêtement en contreplaqué et des renforts en carbone (semelles des longerons de voilure notamment). Toutes les gouvernes (drapeau, profondeur, ailerons) sont également réalisées en fibre de carbone pour des raisons de masse mais aussi de raideur.
La voilure, d’une seule pièce avec 8,78 m d’envergure, est de forme trapézoïdale, les ailerons monopolisant une bonne partie du bord de fuite en l’absence de volets. Le profil est proche du V16F avec une épaisseur relative maximale très proche du bord d’attaque. Le dièdre est de 3°. Le moteur sera alimenté en voltige par un unique réservoir de 75 litres, placé entre GMP et cabine mais pour les convoyages, les bords d’attaque des voilures se transformeront en réservoirs auxiliaires de 50 litres chacun.
Le fuselage, en bois pour sa partie basse, sera complété à l’arrière d’un dôme en composites, entièrement démontable pour accéder aux commandes de vol. A l’avant, on trouve un Lycoming de 180 à 210 ch selon les modèles. Le prototype du R a reçu un Lycoming AEIO-390 de 210 ch à 2.700 tr/mn qui bénéficiera d’une puissance accrue (230 ch) avec un double allumage électronique (-15% de consommation horaire et +6% de puissance). Bénéficiant d’un silencieux Chabord, le GMP est accouplé à une hélice bipale constant speed de MT-Propeller. Le fuselage est placé haut, sur des lames de train principal en composites, pour bénéficier d’une bonne garde au sol mais imposant l’arrivée prochaine d’un marche-pied.
Une première ébauche de la cabine est exposée à côté du prototype. La largeur au niveau de l’équipage atteint 1,20 m pour permettre l’installation de pilotes de 110 kg et 1,97 m de hauteur. Les sièges de série ne seront pas d’un seul tenant mais comprendront une assise basse montée sur vérin absorbant les chocs. Les dossiers seront réglables ainsi que les palonniers. Commandes de vol par manches avec poignée de gaz latérale et trims électriques en sommet de manche. La verrière, verrouillable par un seul point, coulissera vers l’arrière.
Le tableau de bord se veut dépouillé avec les instruments de base et un iPad, afin de se rapprocher de celui d’un monoplace de compétition. L’Intégral bénéficie d’un parachute… intégral BRS installé à l’arrière de la cabine, avec une zone du dôme arrière fragilisée à cet effet.
La gamme des Intégral (modèle R pour le train classique avec 210 ch, modèle S pour le train tricycle avec 180 ch) est prévue pour une certification CS-23. L’Intégral aura une masse maximale au décollage de 815 kg pour 720 kg en voltige (catégorie A) avec un domaine de vol de +7/-7 g en biplace et +9/-9 g en monoplace (620 kg). La croisière calculée est de 335 km/h ou 180 Kt à 75% de la puissance au FL080. La vitesse de manoeuvre (Va) est fixée à 280 km/h (151 Kt). Le domaine de vol va du décrochage (90 km/h ou 49 Kt) à la Vne (380 km/h ou 205 Kt). La distance franchissable atteint 1.111 km (700 nm).
Le premier vol est programmé pour l’été 2019 mais il reste encore à faire les essais statiques ainsi que les essais vibratoires. Pour les essais en vol, une équipe a été constituée avec Christophe Marchand prévu pour effectuer le premier vol. Pilote d’essais chez Airbus (A400M) puis Bombardier, il est également connu pour les premiers vols de la réplique 0.75 du Mosquito et de la réplique du Morane H réalisée en 2013 par l’équipe de Réplic’Air dont les piliers se retrouvent aujourd’hui à la tête d’Aura Aero. L’équipe des essais en vol compte également Jean Piatek, ingénieur d’essais en vol ex-Socata (période TBM-700 dont le premier vol avec Bernard Dorrance et TB-30 Epsilon) puis ATR , également associé au programme d’essais en vol du biplace Elixir.
Le programme d’essais en vol comprendra 400 lancements de vrilles, jusqu’à 6 tours et sortie en moins de 1 tour et demi comme l’exige la norme pour les avions de voltige. Les dossiers administratifs de la CS-23 sont déjà bien avancés tant côté DGAC que EASA, où les interlocuteurs sont déjà bien rompus aux certifications d’avions de voltige, avec respectivement Alexandre Leboulanger (par ailleurs membre de l’équipe de France de voltige Unlimited) et Dominique Roland (ex-Avions Mudry, pilote de démonstration et ancien membre de l’équipe de France Unlimited).
Le programme a été financé par une première levée de fonds, permettant la conception et la réalisation du prototype (600.000 €) tandis que la certification est évaluée autour de 2 millions d’euros. Si de nombreux échanges ont eu lieu avec des ingénieurs et pilotes pour définir l’architecture de l’appareil, un comité de pilotage a également été mis en place pour le financement du programme, avec des « personnes ayant une grande expérience en tant que donneurs d’ordres », comme Jean-François Georges, ancien responsable des Falcon chez Dassault Aviation.
Les partenaires financiers dont des patrons d’entreprises s’élèvent à une quarantaine d’investisseurs. Une deuxième levée de fonds est prévue pour le développement des outillages de production et l’installation dans des locaux pour la production. Les principaux éléments structuraux seront réalisés par Air Menuiserie mais l’assemblage final se fera à Francazal où est déjà installée Aura Aero. Si les essais en vol doivent valider les performances et les qualités de vol, un dossier capital reste la mise en place de l’industrialisation avec un effort soutenu au niveau des outillages afin de permettra une bonne répétabilité de la production.
Selon le plan de charge, une production annuelle de 25 à 30 machines est visée au rythme de croisière. Une diffusion en kit, sous le registre du CNSK, est également envisagée mais sans tarifs encore établis à ce stade, fonction des temps de construction enregistrés sur la production certifiée.
Le prix de base de l’Intégral R est fixé à 280.000 euros HT. La gamme Intégral vise la voltige comme « vitrine » avec un avion-école robuste, permettant le perfectionnement jusqu’au passage sur monoplace de compétition. Les Intégral peuvent être utilisé pour les formations civiles ou militaires. Les écoles professionnelles sont ainsi visées avec notamment l’obligation réglementaire pour les futurs pilotes de ligne de suivre désormais un stage UPRT (Upset Prevention and Recovery Training), avec les positions inusuelles à découvrir sur avion de voltige. Des clients individuels constituent également un marché avec un avion de sport rapide et maniable. ♦♦♦
PS : le prototype sera visible à Châteauroux lors des WAC en août prochain…
Photos © F. Besse / aeroVFR.com
Illustrations 3D © Aura Aero