Le SCRM Joigny, rêve de Roger Mouza, patron de PME des années 1960 ou comment vouloir gagner le Tour de Sicile avec un avion construit dans son usine… Un récit signé Jean-Philippe Chivot.
Dans les années d’après guerre, des industriels entreprenants se sont mis à travailler dans l’accessoire automobile. Il y eu notamment Neiman et son antivol, Scintex et ses clignotants, et aussi Mouza et ses coffrets métalliques. Le patron de Scintex, Jean Michel Vernhes, passionné d’aviation, se mit à construire des biplaces, les Piel Emeraude. Et Roger Mouza, tout aussi passionné, fit travailler sa petite usine de Joigny dans la construction d’avions Gardan, les Minicab et Supercab.
Roger Mouza possédait avant la guerre une entreprise à Courbevoie et une maison dans l’Yonne, à Joigny. En 1948 il récupère à Joigny les ateliers et la gare du chemin de fer à voie étroite devenus vacants et y installe la Société de recherches et de constructions mécaniques (SRCM), une filiale de sa société de Courbevoie.
Parallèlement, il se met à piloter et, désireux de pratiquer sa passion à Joigny, il trouve dans une boucle de la rivière un endroit à aménager en terrain d’aviation. Il y fonde l’aéro-club des Ailes joviniennes, en avril 1952. Il embauche un jeune ingénieur aéronautique, Maurice Charlatte, pour développer la fabrication de réservoirs métalliques et l’entraine dans sa passion du pilotage au sein du club qu’il vient de créer.
En 1954, il vend son jodel D-112 et lance la SRCM dans la construction aéronautique… Ayant lu dans la presse les essais du Gardan Minicab, il en achète la liasse de plans à la CAB, Coopérative aéronautique du Béarn que vient de créer Yves Gardan, et développe une activité bois dans la SRCM pour lui construire des Minicab. La SCRM en fabriqua en tout six, dont trois pour l’aéro-club de Joigny. Ci-dessous, en 1957, la flotte de l’aéro-club avec ses trois Minicab…
Puis la SCRM achète les plans du Supercab et en fabrique deux exemplaires dont un qui possédait des bidons en bout d’aile et qui figure dans mon carnet de vol… Parallèlement, la société construit quelques Jodel D-112 pour les aéro-clubs de la région. Roger Mouza put ainsi satisfaire sa passion de pilote…
En 1955, il se classe second de la Coupe de la Société générale de fonderie, coupe basée sur le plus grand nombre de kilomètres parcourus dans l’année et termine en juin cinquième du Tour de Sicile (Giro) sur son Minicab. Il y rencontre Stelio Frati, concepteur du biplace Rondone vainqueur des premières éditions puis du Falco, sublime petite Ferrari de l’air.
Dès lors, son ambition est de remporter le Giro. Il se fait construire un Supercab, version 90 ch, à train rentrant et hélice à pas variable du Minicab. Il l’engage dans le Giro et se perd en navigation car le surcroit de vitesse de ce nouvel avion lui fait dépasser un point de contrôle sans le voir. En septembre 1956, Roger Monza parcourt plus de 30.000 km dans l’année. Avec son Supercab, il se classe 4e au Grand Prix de l’Aéro-Club de France organisé à Biarritz. Seul le Supercab d’Albert Rebillon et surtout le Falco de Vico Rosaspina le devancent au classement scratch. Sa décision est prise, il lui faut un Falco, de préférence construit à Joigny.
Il contacte, mais en vain, Stelio Frati pour en acquérir les plans et décide alors de se construire un « Falco à la française ». Il lance le directeur de son usine de Joigny, Maurice Charlatte, ingénieur aéronautique, dans la conception d’un super biplace qui deviendra bien vite un petit triplace. Et c’est ainsi que naquit le SRCM-153 Joigny…
Baptisé SRCM-153, en référence à la puissance de son moteur Lycoming, il est construit en bois. Son aile dispose d’un seul longeron principal. Un caisson de contreplaqué comprenant le bord d’attaque de l’aile et un petit longeron sert de longeron secondaire. L’avion possède une hélice à pas variable, des volets à fente, des ailerons à compensation interne et un train rentrant. Le train comme les volets sont commandés hydrauliquement, comme l’était le changement de vitesse de la Citroen DS 19 de 1955, qui avait tant impressionné Roger Mouza.
Les essais en soufflerie datent de 1957 et le premier vol de juin 1959 sur le terrain de Joigny-Epizy devenu aujourd’hui un camping municipal. Les essais se poursuivent à Joigny et l’avion obtient sa fiche de navigabilité Veritas en juin 1960. Le Joigny est effectivement un Falco à la française : 280 km/h en croisière rapide, 1.500 km de rayon d’action et 4 m/s de taux de montée. Avec deux personnes à bord, les pleins et son Lycoming de 150 ch, il pèse juste une tonne. Roger Mouza en était très fier et le considérait comme sa DS de l’air.
Pourtant, l’appareil était pointu à piloter avec sa charge alaire de 95 kg au m2. En effet, il avait la même surface d’aile que le Supercab (10,3 m2) mais pesait pratiquement le double. On comprend alors que Roger Mouza se soit fait quelques frayeurs avec un engin bien différent du Supercab au pilotage déjà sportif pour nos pilotes d’aujourd’hui. Immatriculé F-BIRZ et délaissé par son propriétaire, le Joigny prit pendant de nombreuses années la poussière dans le fond du hangar de Joigny
Il réapparut à l’été 1983 à La Ferté-Alais (photos ci-dessus et ci-dessous), dans un des hangars de Jean Salis où il fut immatriculé en avion de construction amateur F-PIRZ. A son bord, son propriétaire participa à de nombreux fly-in et meetings jusqu’en 1985. Lors d’une présentation en vol le 4 août 1985 au meeting de Granville, le pilote fit un passage bas à 200 m/sol. A près de 300 km/h, il passa sur le dos par un demi-tonneau et amorça une remontée dos au cours de laquelle l’avion déclencha. Le pilote rattrapa le déclenché trop bas et ne put éviter le sol (source BEA). Ainsi finit ce bel avion unique.
Roger Mouza devint maire de Joigny de 1964 à 1970. En 1979, il démissionna de son poste de président de l’aéro-club et quitta la ville pour sa retraite… ♦♦♦ Jean-Philippe Chivot
Photos archives de l’auteur
SRCM-153 Joigny
Envergure : 8,35 m
Longueur : 6,39 m
Hauteur : 2,38 m
Surface alaire : 10.50 m²
Equipage : 3
Masse à vide : 640 kg
Masse totale : 1.050 kg
Moteur : Lycoming O-320A
Puissance : 150 ch
Croisière : 280 km/h
Autonomie : 1.500 km
Distance de décollage : 300 m
Vitesse d’atterrissage : 85 km/h