Avril 1949. Le premier plus lourd que l’air plus léger que le pilote à bord ! Une plongée de Jean-Philippe Chivot dans les archives de l’histoire aéronautique…
Dix ans avant notre Colomban Cricri de 78 kg, Le Beecraft WeeBee de 85 kg avait comme roues des roulettes de queue de T6 et comme moteur un Menasco 20 ch, un bicylindre 2-temps de 745 cm3 qui équipait les drones cibles de l’USAF. Son originalité résidait dans la position du pilote, complètement allongé à l’air libre au—dessus du fuselage. Croisière plein gaz à 140 km/h, atterrissage à 70 km/h… Sensations garanties !
Le WeeBee est né de la collaboration de deux jeunes ingénieurs de 28 ans travaillant chez Convair à San Diego : Ken Coward et Bill Chana. Face à la crise existentielle de l’aviation privée de l’après-guerre aux Etats-Unis, ils cherchèrent en 1949 à créer des avions de loisirs légers, économiques et pas chers – des ULM avant l’heure.
Avec la bénédiction et l’aide de Convair, ils créèrent la Beecraft Aviation et développèrent successivement le WeeBee et le HoneyBee, avions qui restèrent au stade de prototypes malgré la couverture médiatique impressionnante sur le WeeBee due à son originalité. Le marché n’était pas là et la demande, à l’époque des trente glorieuses, s’orientait vers le quadriplace de voyage.
Les Beecraft WeeBee et HoneyBee sur le parking à San Diego… Remarquez l’ombre portée juste en dessous de l’avion, on est près du Tropique du Cancer à midi en juin 1950 ! Par ailleurs, Beecraft fait penser à Beechcraft. De même pour la queue du HoneyBee qui est proche de celle d’un Beech Bonanza…
Quant à l’accueil réservé à un avion plus léger que son pilote, je l’ai vécu pour le Cricri comme instructeur-pilote à Guyancourt dans les années 1970. Je me souviens de l’arrivée, un samedi, de Michel Colomban trainant une petite remorque derrière sa voiture dans laquelle il y avait le prototype du Cricri. Il l’amenait à l’ami instructeur Robert Buisson pour qu’il fasse le premier vol. Buisson avait dans son carnet de vol plus de 40 types d’avions pilotés, du Spit au Focke-wulf FW-190 et plus de vingt premiers vols d’avions de construction amateur.
A la vue du CriCri, ce fut parmi nous un éclat de rire général. « Robert, tu ne vas pas voler avec ce truc-là, tu es trop gros et trop vieux ». Et pourtant tout se passa bien, comme pour le premier vol du WeeBee vingt années plus tôt.
Le Weebee était de construction entièrement métallique car, comme le Cricri, il était un enfant d’ingénieurs de la grande aviation. Il se pilotait en position allongée. Pour cette position ses concepteurs s’étaient inspirés du planeur allemand Horten ramené aux US comme butin de guerre en 1945.
Le pilote du Horten, semi couché, dispose de commandes de vol face à lui et d’un palonnier en arrière du fuselage comme le montre la photo.
Tel n’était pas le cas du pilote de WeeBee. Complètement allongé à l’air libre, il devait, de la main droite, saisir le manche sous lui et actionner les gaz ou les volets de la main gauche – pas de gaz dans le planeur Horten évidemment. Le pilote pouvait poser son menton sur un coussin. Pratique pour les longs vols…
Pour démarrer le moteur par la petite hélice qui tournait très vite on employait un système des années 1920.
Le moteur était un bicylindre à plat Menasco O-45, un 2-temps de 745 cm3, développant 30 ch à 3.500 tr/mn et pesant 15 kg. Il était utilisé pour propulser le drone cible Globe KDG Snipe de l’US Navy. Ce drone radiocommandé était catapulté et s’il n’était pas touché pendant son vol, il déployait un parachute pour être récupéré. Développé à partir d’un précédent modèle propulsé comme un V1 par un petit pulso-réacteur peu fiable, il fut utilisé jusqu’en 1952. Ci-dessous le Globe KDG Snipe construit en métal… On voit de qui tient le WeeBee (ailes et dérive) !
Le WeeBee était doté d’un train tricycle avec des roues de roulette de queue de T6 sur lesquelles on avait greffé des freins hydrauliques. La roulette avant était orientable. Aussi le Weebee était un peu en avance sur son temps… Bref le WeeBee avait de saines caractéristiques de vol…
Sa charge alaire était de 44 kg/m2 à comparer à celle d’un Cessna 150 avec 51 kg/m2 pour un masse totale au décollage de 180 kg (carburant et pilote) et une masse à vide de 95 kg. Vitesse de croisière autour de 120 km/h. Rayon d’action de 80 km soit 35 mn de vol, ce qui est honorable pour un pilote allongé peu sujet aux crampes.
Voici une vidéo du WeeBee en vol…
… et une vidéo publicitaire passant en revue la visite prévol.
Heureusement, les vols du WeeBee n’étaient pas trop longs et Ken Coward, concepteur et pilote d’essai, ne souffrait pas de ballonnements d’estomac… Une fois réalisés les premiers vols par un pilote plus léger que les concepteurs, avec reprise de ces vols dans les journaux grâce à Convair, Ken Coward trouva un moteur plus puissant, 28 ch au lieu de 18 ch, et il modifia plusieurs fois le calage de l’aile et du plan fixe.
En décembre 1948, Bill Chana osa le piloter mais ne put, à cause de son poids, dépasser les 150 ft d’altitude. Pour les besoins du film du WeeBee en vol (lien ci-dessus), il vola sans le parachute qui augmentait sa masse, parachute qui de toute façon n’avait aucune utilité aux altitudes de démonstration.
Le premier vol officiel date de mars 1949, il y a 70 ans. Le WeeBee subit encore plusieurs modifications pour en réduire la trainée et améliorer l’atterrissage : nouvelle adaptation du calage de l’aile et raccourcissement de la jambe de train avant. La Beecraft Aviation envoya alors son bébé faire des vols de démonstration en Grande-Bretagne.
Le 13e et dernier vol du WeeBee date d’avril 1950, pendant lequel il atteignit les 145 km/h, fit des passages bas et des virages serrés à plus de 60°. Le but du vol était d’intéresser l’US Air Force en leur proposant de réaliser une version appelée « Military Mite », armée de six rockets sous les ailes devenues pliables. Bill Chana certifiait que cette version pourrait se poser sur n’importe quelle grande route. Tout ceci n’eut aucune suite et le WeeBee termina son existence au musée aéronautique de San Diego où il disparut plusieurs années plus tard dans un incendie. ♦♦♦