Le micro-chasseur des pilotes de guerre retraités…
Début 1946, l’USAAF comprend quelques 150.000 pilotes dont plus de la moitié va prendre sa retraite dans les deux ans à venir. Al Mooney a une idée : leur vendre un monoplace consommant à peine 15 litres à l’heure et se pilotant comme un chasseur de la fin de la guerre.
Il n’est pas le seul à avoir cette idée. Aux Etats-Unis, M. Culver, l’ancien associé d’Al Mooney, lance le Culver V, un biplace dérivé du Culver Cadet dessiné par le même… Al Mooney. Globe Aircraft construit le Swift, biplace tout métallique. En France, André Starck fait voler, dès 1945, son monoplace en bois AS-70 équipé d’un moteur Salmson de 45 ch, datant des années 30.
Malheureusement pour les constructeurs, la formule monoplace, bien adaptée aux avions de chasse et aux avions de record, est totalement boudée par les pilotes retraités dont la première idée est d’emmener femme et enfants voir comment ça se passe la haut.
Heureusement, ces monoplaces sont un véritable délice à piloter et, de plus, très économiques à faire voler. Aussi bon nombre de pilotes, un peu ou beaucoup égocentrés, vont en maintenir un certain nombre en état de vol. Tel est le cas du Mooney Mite M-18, l’un des avions les plus performants de la catégorie.
Le concepteur Al Mooney et sa signature : une aile, une dérive droite…
Albert W. Mooney (12 avril 1906-7 mai 1986) était un concepteur d’aéronefs autodidacte. Né à Denver (Colorado) le 12 avril 1906, il avait un frère, Art, né le 10 juillet 1904. Leur père, John, était un ingénieur qui avait construit des tunnels ferroviaires. Après avoir terminé ses études secondaires, Al voit un jour un biplan Swallow le survolant.
Il suit l’avion jusqu’à l’aérodrome et remarque plusieurs erreurs dans le réglage de l’avion. Il propose alors d’aider à les corriger. Le propriétaire de la machine, Don Alexander, lui offre un emploi dans sa société, l’Alexander Aircraft Company. A 19 ans, Al occupe le poste d’assistant de l’ingénieur en chef de la société. Il y dessine son premier avion, le M-1, un biplan Eaglerock Alexander à ailes longues.
Le premier Mooney de l’histoire, le M-1 de 1928…
En 1929, Al Mooney conçoit, pour l’avion Alexander Bullet C1, un train escamotable, ce qui était une première mondiale pour un avion de tourisme. L’Alexander Bullet, quadriplace à train rentrant, s’avère dangereux à piloter dans les basses vitesses, avec un comportement « aléatoire ».
Fin 1929, Al Mooney quitte l’Alexander Aircraft Corporation et, avec son frère Arthur, s’installe à Wichita, Kansas. Ils y créent la première Mooney Aircraft Corporation. Le Mooney M-5 date de 1930 avec un Kinner de 125 ch – notez le train fixe…
Mais avec la crise de 1929, Al ne vend aucun avion et doit fermer boutique. Il devient, en 1934, ingénieur en chef chez Bellanca et travaille sur le développement du Bellanca Airbus.
Puis en 1937, Al rejoint la Culver Aircraft et devient responsable de la conception du Culver Cadet, un biplace qui sera produit à plus de 350 exemplaires jusqu’à la fin 1941, date de l’entrée en guerre des Etats-Unis. Le Cadet portait en lui une bonne partie des innovations qui feront la fortune des Mooney d’après guerre et l’appareil ressemble furieusement à ce qui allait être le monoplace Mooney Mite. Le Culver est un petit biplace de voltige, à train rentrant, dont Culver reprit la construction à la fin de la guerre, après avoir fabriqué pendant trois ans des drones pour l’armée américaine.
En juillet 1946, Al et son frère Art ressuscitent la Mooney Aircraft Corporation. Dans la nouvelle entreprise, Al y prend le poste de directeur général et ingénieur en chef. Le premier avion fabriqué est le M-18, un avion monoplace à train rétractable, le premier monoplace disponible sur le marché après la Seconde Guerre mondiale.
Le Mite est construit à 283 exemplaires, bien loin des prévisions des frères Mooney. C’est pourtant un excellent avion, victime de sa formule monoplace si éloignée des désirs des pilotes confirmés ou apprentis des années 1950.
Le Mooney M-18 Mite à sa sortie d’usine en octobre 1948 avec son moteur Crowley de 24 ch… Ce moteur était en fait un moteur de groupe électrogène de la Marine américaine qui entrainait une petite hélice par un réducteur à courroies. Par ailleurs, il avait un tout petit carburateur et une incroyable propension à givrer dès que l’on réduisait trop les gaz. Al Mooney mettait en garde les acheteurs potentiels lors de leur vol d’essai en leur interdisant de s’éloigner de la verticale du terrain…
Mais le prix de ce moteur provenant des surplus, était de moitié celui du plus petit Continental ou Lycoming de 65 ch qui équipèrent très rapidement les M-18. Visuellement, le M-18 est un croisement de mini-chasseur de la Deuxième Guerre mondiale et d’un racer des beaux jours des années 70… Aussi son apparition sur un terrain d’aviation ne laisse désormais personne indifférent.
Pourtant, le Mite est construit en bois marouflé de toile avec, cependant, un cadre en tubes entourant la cabine. Le calage de la profondeur monobloc est conjugué avec la sortie des volets, ce qui fait disparaitre toute nécessité de compensation à l’atterrissage. Le train tricycle rétractable dispose d’une roulette avant orientable.
Il est actionné par une grande barre sur le flanc droit de la cabine que l’on pousse ou que l’on tire facilement et qui vient se loger dans deux encoches latérales, l’une à l’avant pour le train rentré, l’autre à l’aplomb du pilote pour le train sorti. Le pilote a intérêt à faire attention à ses genoux car la barre les frotte à chaque passage.
L’homologue français du M-18 est le Starck AS-70 de la même époque, dont j’ai piloté il y a fort longtemps l’exemplaire de l’aéro-club Paris-Est sur l’ancien aérodrome de Lognes… Il sentait bon la colle cellulosique mélangée à l’odeur du skaî du siège et m’avait semblé facile à piloter malgré mon poignet droit alors dans le plâtre !
Comme le Mite, il souffrait d’un moteur anémique de 45 ch mais avec ses 9 cylindres en étoile, on ne ressentait aucune vibration. En revanche les tout petits cylindres avaient tendance à se détacher en vol. C’est pour cela qu’ils étaient retenus par un grand anneau de métal attaché au carter moteur par de petits câbles…
Le Mite n’est pas un véritable avion de voltige. Il est limité à 3,8 g. Certains pilotes ont voulu dépasser cette limite. Mal leur en a prit car ils ont constaté des dommages dans le mécanisme de la profondeur monobloc de la queue, queue qui avait pour la première fois la forme caractéristique de celles des Mooney à venir avec une dérive droite assurant, selon Al, une efficacité maximale aux palonniers à l’approche du décrochage.
Le décollage est rapide du fait d’un poids très léger à envoyer en l’air, seulement 225 kg. Al Mooney indiquait une distance de roulage plein volets de moins de 100 m et une montée à 1.200 pieds/minute. En l’air, comme tout avion de cette époque, le Mite est bruyant comme l’est d’ailleurs un Piper J-3 Cub.
Avec son réservoir de 45 litres situé juste derrière la tête du pilote, le M-18 a une autonomie (avec réserves) d’au plus 2 heures de vol soit environ 400 km. Ce qui correspond bien à celle du pilote, grand escogriffe, ramassé pendant deux heures dans une toute petite cabine…
Certains Mite étaient equipés d’usine d’un réservoir supplémentaire de 25 litres. L’espace pour les bagages, situé derrière le dossier du siège pilote, est largement dimensionné. Les propriétaires peuvent y mettre vélos pliables et grandes valises. Toutes ces charges supplémentaires n’ont aucun effet sur la vitesse de décrochage du Mite qui reste de 70 km/h. Si voulez voir comment on démarre et ce que l’on voit depuis l’intérieur d’un Mite en vol, une vidéo…
La curieuse petite roue que vous remarquez au-dessus de la planche de bord se met à se balancer quand le train est en mouvement lors de la sortie, donc non verrouillé.
Le Mite était l’enfant chéri d’Al Mooney. Un jour, face aux ventes qui ne dépassaient pas la quarantaine d’exemplaires, il se résolut à répondre à la demande et dessina un quadriplace, le M-20, qui n’était en fait qu’un Mite survitaminé. Certains Mite sont maintenant peints comme des Mooney M-21 pour accentuer la ressemblance. La gamme comprendra par la suite les modèles 201, 231, 252… améliorés par Roy LoPresti.
Piper proposa à Al de lui racheter les droits du M-20 mais les frères Al et Art voulurent continuer à produire sous le nom Mooney. Al et Art quittèrent finalement l’entreprise Mooney en 1955 et travaillèrent pour Lockheed. Après avoir développé deux projets ressemblant au Harrier, ils terminèrent leur carrière en passant une quinzaine d’années à la conception des 30 ou 40 versions du fameux C-130 Hercules qui eut un succès planétaire. Al prit sa retraite en 1968 et décéda à l’age de 80 ans en mai 1986.
Si le Mite vous tente, il existe aux USA une association de propriétaires de Mooney M-18, avec un site web au fonctionnement aléatoire mais qui propose de temps en temps des M-18 à acheter dont voici les caractéristiques et une indication de prix actuel. ♦♦♦
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