Le Sénat s’oppose à la privatisation d’Aéroports de Paris mais c’est l’Assemblée nationale qui décidera au final…
Cela fait des mois que le gouvernement a annoncé vouloir céder ses parts (50,6%) dans Aéroports de Paris (ADP), sans que l’on comprenne vraiment l’intérêt de l’opération quand on sait qu’ADP finit chaque année avec d’importants bénéfices dans les caisses. En cédant ce patrimoine, ce sont des rentrées d’argent que l’Etat se condamne à voir supprimées après une vente ponctuelle définitive, un calcul à court terme qui s’associe effectivement bien à la durée des mandats présidentiels et gouvernementaux mais certainement pas au long terme de l’intérêt des contribuables et de la nation.
On connaît le précédent totalement désastreux de la privatisation du patrimoine autoroutier, patrimoine financé par les contribuables, déjà bien amorti et bradé à des intérêts privés pour un prix de vente sous-évalué de près de 50%. Les actionnaires des réseaux autoroutiers ont effet déjà récupéré en dividendes plus que le prix versé à l’Etat en 2006, soit 14,9 milliards d’euros contre 14,8 milliards d’euros pour l’achat du réseau. En d’autres termes, en 2019, l’Etat n’encaissera pas l’argent qu’il aurait pu gagner en conservant ce patrimoine autoroutier, ne recevant pas des dividendes qui sont désormais perdus… par tout le monde.
Cette vente du patrimoine s’est d’ailleurs faite dans des conditions absolument contestables car non transparentes, dignes de républiques bananières, avec des accords tenus secrets et non diffusés à ce jour – le « secret des affaires » cache souvent des déséquilibres financiers à chaque fois au détriment de l’intérêt général, plusieurs dossiers de partenariats public-privé (PPP) sont là pour le prouver. On sait de plus que l’augmentation théoriquement limitée du prix des péages a été contournée en faisant une péréquation entre les tronçons peu utilisés (où les péages n’augmentent pas ou très peu…) et ceux qui sont très utilisés (et où les coûts augmentent plus que la moyenne…) sans compter des augmentations allant au-delà de l’inflation (+20% depuis 2006 !).
De plus, le gel des péages intervenu en 2015 ne sera pas perdu pour les actionnaires privés puisqu’un accord a été signé stipulant que ce gel des tarifs sera remboursé entre 2019 et 2023, remboursement participant à l’augmentation des péages sur la période concernée, le tout complété d’une pénalité de retard de 10% soit 500 millions supplémentaires qui seront acquittés par les automobilistes. Quels piètres négociateurs ! Qu’il est facile de dépenser l’argent… des autres.
Dans le genre mauvaise gestion du patrimoine de l’Etat, il faudrait encore citer l’échec calamiteux de la privatisation de l’aéroport de Toulouse-Blagnac, dénoncé en octobre dernier par un rapport accablant de la Cour des comptes. Ce qu’un groupe chinois a acquis pour 300 et quelques millions d’euros – via un pacte Etat/acquéreur resté une fois de plus secret – va être revendu autour de 500 euros, soit une plus-valus de 250 millions d’euros en moins de quatre années. Bingo ! Au passage, on notera que la Société générale, appelée à conseiller l’Etat dans cette vente, n’a pas su évaluer le vrai prix de l’aéroport, ce dernier étant finalement vendu 75% plus cher que l’estimation préconisée par leurs « experts » !
On le sait, ADP est un « juteux gâteau » que lorgnent plusieurs acquéreurs privés, français et étrangers – si on se bouscule au portillon, c’est que l’affaire est intéressante… comme le disait déjà Voltaire : « Si vous voyez un banquier sauter par la fenêtre, suivez-le, il y a certainement de l’argent à gagner ! » – le premier en tête étant le groupe Vinci. Si ce dernier n’a pas fait grand bruit lors de l’abandon de « l’éléphant blanc » qu’allait devenir l’aéroport de Notre-Dame des Landes s’il avait été réalisé par ses soins, c’est qu’il a su fait profil bas pour bien se placer lors de la mise en vente d’ADP et espérer un « retour » de sa « mansuétude » toute relative. Le groupe Vinci est d’ailleurs, via la société ASF, le principal actionnaire du réseau autoroutier français, ASF enregistrant parmi les différents concessionnaires le chiffre annuel le plus important avec 3 milliards d’euros par an.
Cette vente d’un patrimoine aéroportuaire – les aéroports d’Orly et CDG en tête – avec une concession portant sur une période de plusieurs dizaines d’années (on évoque 70 ans initialement) – durée généralement prolongée à plusieurs reprises ensuite sous couvert d’investissements souvent surévalués par des sociétés de travaux publics assurant elles-mêmes les chantiers via des filiales – aurait des conséquences importantes sur le tissu des aérodromes secondaires parisiens si elle était menée au bout – mais que représente aux yeux d’intérêts financiers colossaux l’activité Aviation générale, même si elle est pourtant la première marche de carrières et la source d’un intérêt du grand public pour une industrie lourde qui produit, entre autres, des Airbus à Toulouse ?
Mais ce transfert d’ADP à des capitaux privés constituerait également un chamboulement certain des paramètres économiques d’Air France, dont le hub principal se trouve à Paris-CDG. La compagnie nationale a déjà tiré la sonnette d’alarme du pouvoir politique il y a quelques mois mais sans recevoir vraiment de réponse. Un point positif vient cependant d’être enregistré. Ce 5 février, le Sénat a rejeté l’article 44 du projet de loi dite Pacte sur la croissance et la transformation des entreprises, article qui ouvrait la voie à la privatisation d’ADP mais aussi de la Française des Jeux, autre « joyau » rapportant des impôts indirects chaque année à l’Etat et que certains veulent pourtant brader à des intérêts privés… Pour couronner le tout, au même moment, l’Union européenne pousse à « privatiser » le parc des barrages hydroélectriques, produisant de l’énergie décarbonée et dont le parc français est envié en Europe.
Si le « Non » du Sénat est un signe encourageant, révélant enfin une certaine prise de conscience des intérêts nationaux par des politiques de tous les bords, il reste très symbolique car ce sera à l’Assemblée nationale de trancher la question, elle qui avait adopté l’article en question en première lecture… Pour l’heure, l’Etat est encore tenu de conserver la majorité des parts du groupe ADP alors que le projet de loi autorisera une vente au privé de tout ou partie des actifs qu’il détient dans le groupe aéroportuaire, soit 50,63% des parts représentant environ 9,5 milliards d’euros selon la presse économique.
Avec la privatisation d’ADP souhaitée par le gouvernement actuel, l’intérêt général va-t-il être sabordé pour couvrir en partie une dette publique destinée à satisfaire à court terme un taux arbitrairement établi à 3% et/ou pour financer un pseudo-programme de financement de « projets innovants ». Ceux qui sont censés gérer les finances du pays ont des méthodes et des modes de pensée très étranges et il serait peut être bon qu’ils mettent désormais en tête de leur préoccupation l’intérêt général et non pas leur intérêt personnel. ♦♦♦