Il y a 60 ans, Max Conrad, le « grand père volant », champion de l’économie de pétrole, réalisait un Casablanca-Los Angeles soit 12.370 km sans escale au commandes d’un Piper Comanche de 250 ch…
L’époque de 1950 à 1970, époque qui vit le développement considérable de l’aviation légère de tourisme et d’affaires, fut l’époque des convoyages d’avions neufs aux quatre coins du monde. Le « grand champion » de ce sport fut sans conteste l’Américain Max Conrad, « le grand père volant » qui convoyait a travers l’Atlantique la production Piper d’alors, monomoteurs Comanche ou bimoteurs Aztec.
Né en 1905 dans le Minnesota, dans une famille relativement aisée qui, dans les années 20, possédait un garage, il apprit à piloter en 1928 et passa alors jusqu’à sa mort en 1979, il y a quarante ans, plus de 50.000 heures en l’air, soit six années pleines, toujours dans des avions légers et généralement seul à bord.
Il s’acheta, dès 1929, un biplan Swallow et fonda une école de pilotage. Un jour, une passagère essaya de descendre de l’aile par l’avant sans prendre garde à l’hélice qui tournait. Max la rattrapa mais fut touché à la tête par une pale. Il souffrit de lésions cérébrales qui l’empêchèrent un temps de lire et d’écrire mais pas de vouloir continuer à piloter. Avec l’argent de ses beaux parents, il développa jusqu’à la guerre son école de pilotage jusqu’à posséder une trentaine d’avions.
En 1943, un incendie de hangar détruisit la totalité de sa flotte et obligea Max à s’engager comme chef-pilote chez Honeywell Minneapolis. En juin 1950; il survola l’usine Piper de Lock Haven et vit un parking plein d’avions invendus. Il se proposa alors à William Piper comme vendeur et signa avec lui un accord stipulant que s’il traversait en vol l’Atlantique avec un avion à livrer en Europe, Piper lui ristournerait 25% de la valeur de la machine. Et ce fut le début de ses vols transocéaniques… Il en fit au total plus de 150 à travers l’Atlantique et 30 au travers du pacifique.
Max Conrad dans son Piper Comanche 250 ch
avec les réservoirs supplémentaires à l’arrière.
Ce nombre de traversées et de records en firent une célébrité mondiale que l’on appela de suite le « grand père volant » car il eut avec sa femme Betty 10 enfants et pas moins de 37 petits enfants, malgré ses longues absences et les six années pleines passées dans les airs. Féconde Amérique, au sol et dans les airs !
A l’aube de ses 68 ans, il traversait encore l’Atlantique sans escales d’ouest en est, en refaisant à l’identique le trajet de Charles Lindbergh. Un an plus tôt, il avait tenté un tour du monde par les pôles à bord de son bimoteur Piper Aztec spécialement équipé mais, lors du décollage de la base américaine de Mac Murdo, au pôle sud, il fut victime du brouillard blanc (white out), brouillard qui teinte ciel et sol du même blanc. Il ne put maintenir son bimoteur au milieu de la piste et heurta une butte de neige qui abima l’avion sans aucun espoir de le réparer.
On pourrait enfin attribuer à Max Conrad la devise du célèbre pilote américain de la Première guerre, Edward Rickenbacker : « L’aviation est la preuve qu’avec de la volonté, rien n’est impossible ». Ainsi à 56 ans, il y a 60 ans, le 2 juin 1959 au petit matin, il décolla son Piper Comanche PA-24/250 de l’aérodrome de Casablanca-Anfa en direction de Los Angeles à 12.400 km de là, sur le grand cercle, afin de battre le record de distance de la classe C1d de La Fédération aéronautique internationale (FAI) pour les avions de moins de 3 tonnes. Actuellement, en 2019, ce record est de 13.600 km de l’ile de Guam à Jacksonville (Floride) en 39h00 de vol.
Casablanca Anfa dans les années 60
Après des mois d’étude des cartes marines de l’US Navy (Pilot Chart) pour l’Atlantique et les Caraïbes, Max savait qu’en juin les alizés de surface vers l’ouest devaient l’aider dans sa tentative.
Pilot Chart actuelle de l’US Navy : on y voit les roses des ventssur le parcours Maroc-Cuba pour le mois de juin 2018.
Le trajet retenu était Casablanca-Trinidad-Corpus christi-El Paso-Los angeles
Surchargé de carburant, le décollage de Max fut laborieux. L’avion ne prit l’air qu’en dépassant la limite de la bande bétonnée. Pour économiser le carburant, Conrad décida de voler très bas, à moins de 100 pieds le jour et à 500 pieds la nuit pour pouvoir rattraper l’avion en cas de courtes somnolences. Il prétendait que les moteurs étaient plus efficaces à ces basses altitudes, que trop de carburant était brûlé vainement pour grimper à de plus grandes altitudes.
A la verticale d’El Paso, ayant alors battu le record de distance de l’époque, Conrad était en l’air depuis 55 heures et avait encore beaucoup de carburant. Assoiffé, il indiqua au contrôleur qu’il lui restait encore 300 litres et qu’il continuait jusqu’à Los Angeles (Californie) à 4h00 de vol. A l’atterrissage, il lui restait encore un réservoir d’aile plein au trois quarts, soit 80 litres sur les 1.800 litres emportés, ou encore plus d’une heure de carburant.
Le vol Casablanca-Trinidad-El Paso-Los Angeles avait duré 58h30 et la distance effectivement parcourue était de 13.400 kilomètres à une vitesse moyenne de 210 km/h. Son record dans la catégorie C1d (avions de 1.750 à 3.000 kg) a tenu très longtemps avant d’être battu. Sa consommation moyenne fut donc de 30 litres à l’heure et c’est là que réside son exploit. En effet, la consommation moyenne normale du Comanche 250 ch est de 50 l/h à 75% de la puissance. Le « grand père volant » fut donc l’as de l’économie de carburant. Or son voyage fut loin d’être une promenade de santé.
Pendant les premières huit heures de vol, son avion surchargé d’essence consomma quelques 50 l/h. Puis l’avion s’allégea graduellement. Conrad réduisit la vitesse de 210 km/h à 160 km/h à partir de Trinidad. Le moteur tourna alors à 40% de sa puissance maximale avec un consommation tombant à 26 l/h. Cette gestion à l’extrême de la consommation et de la puissance moteur fournie oblige au pilote une connaissance approfondie du moteur et de l’aérodynamique. Les LycoContisaures n’aiment pas fonctionner à faible nombre de tours pendant de longues périodes car cela entraine de trop faibles températures de cylindres, occasionnant des combustions incomplètes avec encrassement des bougies.
Cela ne pouvait arriver à Max car, pas fou le grand père, il avait pris soin de démonter avant le vol le radiateur d’huile. L’aiguille de la température d’huile resta donc sur la bordure de la zone rouge pendant tout le raid, ce qui n’aurait pas manqué d’affoler tout pilote normalement constitué. Conrad vola très bas pendant le début du voyage. En effet, voler haut demande plus de puissance donc plus de consommation. Pendant 9 heures, il ne dépassa jamais une altitude de 300 pieds. Par moment, il volait si bas qu’il ramassait des embruns sur son parebrise. Max consacra une bonne partie de son temps à ajuster finement gaz, mixture et pas d’hélice. Heureusement pour lui, le Comanche, au début surchargé, resta facile à trimmer tout au long du parcours.
Ce Comanche était un Comanche standard sur lequel, pour y loger les nombreux réservoirs de cabine, il avait enlevé tout le superflu : à savoir radiateur d’huile, démarreur, générateur remplacé par un plus léger, sièges et tapis. Il y avait en fait dans l’habitacle 6 réservoirs pour un total de 1.500 litres dont un lui servait de siège. Il avait supprimé toutes les trainées parasites en enlevant les poignées et en scotchant toutes les fentes et trappes de visites. Malgré cela, et avec le plein, la masse maximale de son Comanche (2.500 kg) dépassait de 1.100 kg la masse maximale du Comanche d’origine. Max le sentit bien au décollage de Casa ou il utilisa plus de 1.500 m de piste pour prendre l’air et monter à un petit 500 ft/mn. Conrad suivit le trajet figurant sur la carte jointe : Casablanca-Trinidad-El Paso-Los Angeles.
Un voyage de 58 heures, seul aux commandes d’un avion léger, est une performance physique impressionnante, surtout pour un homme de 56 ans. Max s’était entraîné à des nuits sans sommeil. En effet, après une première nuit sans sommeil au départ de Casablanca, il vit le soleil monter sur l’horizon, montrant que le temps était devenu très beau. Il pilota tout au long du deuxième jour, toujours sans sommeil. Alors que le soleil commençait à se coucher, il se retrouva au-dessus des Grandes Antilles. Son café était terminé et le thé à la menthe du thermos devenu aigre lui brula l’estomac. Sa bouche était sèche et il était obsédé par la soif.
Cette nuit-là, il passa six heures à slalomer entre les orages. Il essaya de récupérer de l’eau par la petite trappe de la vitre gauche de la cabine, sans succès. Sa soif s’intensifia. Le troisième jour, il traversa le littoral à Corpus Christi, au Texas et arriva au-dessus d’El Paso, point à partir duquel le record de distance du J35 Bonanza « Waikiki Beech » de Pat Boling en 1958 se trouvait battu (Manille, Philippines à Pendleton, Oregon, soit 11.407 km in 45h43). Il décida de continuer et arriva sans histoires à Los Angeles. Toutefois, un peu ankylosé, il lui fallait encore de la souplesse pour s’extraire de la cabine avec ses six réservoirs.
Image tirée d’un film tourné à son arrivée à Los Angeles
Ce trajet à la poursuite de records de distance plut tellement à Max Conrad qu’il remit cela six mois plus tard avec le même avion. Toutefois, il s’attaqua au record de distance FAI de la catégorie inférieure C1c, soit les avions de moins de 1,75 tonne, en remplaçant le moteur de 250 ch par un Lycoming de 180 ch plus léger et consommant moins.
Partant de Casablanca le 26 novembre 1959, il atteignit El Paso à 11.200 km de là après 56 heures de vol, soit pratiquement le même temps qu’il avait mis 6 mois auparavant avec 70 ch de plus ! Notre grand père volant avait tout d’un chameau volant avec, selon ses amis, la gentillesse en plus. ♦♦♦
A trouver chez les bouquinistes… « Max Conrad, le grand-père volant », par Sally Beugelseisen, Editions France Empire.
Pour aller plus loin…
De cette histoire il faut retenir les points suivants pour gérer au mieux la consommation d’une machine volante à piston non compressée :
– Le nombre de tours moteur : toutes choses étant égales par ailleurs, plus un moteur tourne vite plus il consomme de carburant. Si on double le nombre de tours, la consommation sera multipliée par deux.
– La pression à l’admission : en ouvrant les gaz on augmente la quantité d’air et d’essence vaporisée qui entre dans chaque cylindre. Ainsi la pression à l’admission est directement liée à la consommation.
– La température de l’air ambiant : son influence sur la consommation est moins importante que la pression à l’admission ou le nombre de tours mais il faut en tenir compte. La puissance du moteur dépend de la quantité d’air qu’il absorbe. Or l’air chaud est moins dense que l’air froid et il en faut plus mélangé au carburant pour maintenir une égale vitesse de croisière. Un accroissement de température extérieure de 10°C diminue approximativement de 1% la puissance du moteur.
– L’altitude : en altitude l’air est moins dense. Il faut plus d’air pour avoir la quantité d’oxygène nécessaire à l’explosion d’une même quantité de carburant. C’est pour cela qu’on appauvrit pour avoir la bonne quantité de carburant adaptée à la quantité d’air avalé. Alors la puissance diminue et pour la maintenir et maintenir la vitesse en palier, on augmente la pression à l’admission donc la consommation. L’air moins dense diminue aussi la trainée mais il diminue la portance. C’est pour cela qu’en faisant un bilan général, Conrad constatait qu’à vitesse sol constante de son avion bien chargé, voler haut coutait plus cher en carburant que voler bas.
– La mixture : autrement dit le rapport air/essence. Toujours se souvenir qu’il ne faut pas appauvrir si on utilise le moteur à plus de 65% de sa puissance et/ou à moins de 5.000 pieds/mer. En effet le carburant a deux fonctions : la première est de… carburer et la deuxième de refroidir les cylindres. C’est pour cela que l’on décolle toujours plein riche. Et c’est pour cela qu’en décollant de Courchevel, juste au-dessus des 5.000 pieds limites, il est nécessaire d’appauvrir. Dernier truc de vieux pilote : si, en palier et en appauvrissant, vous constatez que le moteur a tendance à ne pas tourner bien rond, tirez un peu le réchauffage. Le carburateur travaillera au chaud et cela égalisera la distribution du mélange à chacun des cylindres. Le moteur tournera rond et vous pourrez conserver votre réglage pile poil de moindre consommation.