Il y a 70 ans : le rêve du VFR américain… Décoller de son jardin ! Jean-Philippe Chivot raconte ce rêve un peu fou…
Depuis les années 1920, tous les constructeurs d’avions ont cherché la formule permettant de décoller d’un jardin de la taille d’un court de tennis. De l’avis général, c’était – et c’est toujours – la seule façon de donner une certaine utilité à l’aviation de particulier.
L’immédiat après-guerre, période où tout semblait permis à l’aviation, a montré aux Etats-Unis l’intérêt économique très limité de l’utilisation d’un avion de tourisme. Des 250.000 ventes d’avions légers neufs prévues par les économistes US en 1947, seules… 35.000 se réalisèrent et elles tombèrent à 3.500 en 1949, montrant par là que l’avion personnel souffrait d’un défaut majeur rédhibitoire, son manque d’utilité.
En effet, on constatait que tout pilote fraîchement licencié, après avoir fait faire un tour d’avion à sa femme et à ses amis, s’apercevait que les aérodromes étaient éloignés, peu nombreux et qu’en aucun cas l’avion ne pouvait servir à faire ses courses au supermarché de la ville. Il n’en voyait donc pas l’utilité et abandonnait vite l’idée d’en acquérir un, même peu couteux.
Aux Etats-Unis, les seules cibles importantes d’utilisateurs s’avéraient être les fermiers et les représentants de commerce. Quant à l’avis des spécialistes sur le marché d’une Europe en reconstruction, ils se bornaient à constater que ce marché était et serait inexistant pour deux raisons : les faibles distances pour aller d’une ville à l’autre, et la multiplicité des pays entraînant la multiplicité des règlements. Pour un Américain, la Roumanie a la taille de l’Oregon ! Enfin, l’avenir de l’hélicoptère semblait bien sombre pour des particuliers car très lent, très couteux et difficile à piloter.
Face à ce constat, deux professeurs d’université, l’un au Massachusetts Institute of Technologie (MIT), l’autre à Harvard, passionnés et célèbres en aviation, imaginèrent de nouvelles solutions pour concevoir enfin l’avion pouvant décoller du terrain sur lequel est bâti, aux USA, la plupart des maisons individuelles. Le fruit de leur travail s’appelle le biplace côte-à-côte Helioplane.
Conçu principalement par le professeur au MIT Otto C. Koppen, il ressemble à un avion de tourisme ordinaire à aile haute et ne comporte aucun dispositif inédit. Un exemplaire est exposé au Smithsonian Museum à Washington. Son originalité réside dans une nouvelle combinaison de solutions connues.
Le futé Koppen, agé en 1949 de 48 ans, avait publié en 1936 un livre intitulé « Avions intelligents pour pilotes idiots », qui eut un certain succès. Son Helioplane a des ailes à fentes, des volets qui courent sur toute leur longueur. Il a aussi des spoilers liés au manche pour faire varier la portance des ailes lors de l’atterrissage. Si un coup de vent lève une aile, le spoiler sort et diminue la portance. L’avion est ainsi contrôlable aux basses vitesses. Mais l’innovation la plus importante réside dans la dimension de l’hélice, hélice qui tourne deux fois moins vite que la normale.
En effet, elle propulse alors vers l’arrière une grande masse d’air à faible vitesse, qui génère une forte traction. Une hélice courante d’avion léger a une force de traction atteignant son maximum lorsque l’avion vole à sa vitesse de croisière, alors que l’hélice de l’Helioplane l’atteint à faible vitesse. Enfin, l’hélice géante, de part sa taille, souffle une partie importante des ailes.
Koppen et Bollinger voulait un appareil simple à utiliser et facile à piloter. L’hélice géante fut donc à pas variable automatique, une hélice Aeromatic. L’associé de Koppen, le professeur Lynn Bollinger, professeur d’économie à Harvard, se mit à rechercher des firmes aéronautiques capables de financer et de construire le prototype. Les seuls calculs et plans ne suffirent pas à les convaincre de passer à la réalisation. Koppen et Bollinger se résignèrent à financer eux-mêmes la construction d’un prototype…
Pour cela, ils achetèrent à l’armée un Piper Vagabond et trouvèrent un pilote disposant d’un atelier de maintenance pour en entreprendre la transformation en Helioplane. La taille de l’hélice imposa l’allongement du train. On installa un Continental de 90 ch, à injection, au lieu du 65 cvh d’origine. Koppen fit allonger le fuselage de 1,20 m et diminua un peu l’envergure du Vagabond. On équipa les ailes de becs rétractables automatiquement et, sur le dessus de l’aile, de spoilers commandés par l’action latérale du manche puis, pour finir, d’énormes volets.
Pressentant que de décoller de son jardin ferait du bruit chez les voisins, Koppen soigna l’échappement moteur de son avion, en le gratifiant d’un énorme silencieux situé sous la cabine. Enfin, toucher terre à une très faible vitesse (environ 40 km/h) rend un avion très sensible au moindre petit vent de travers et donc très prédisposé à d’impressionnants chevaux de bois. Ceci fut largement vérifié plus tard avec le successeur militaire de l’Helioplane, l’Helio Courier H250 qui eut en son temps le taux d’incidents le plus fort des appareils de l’US Army, causé par son enthousiasme aux embardées à l’atterrissage.
Koppen conçut alors une curieuse direction, avec un panneau mobile en deux parties, l’une actionnée normalement par le palonnier et l’autre par la position latérale du manche. On met habituellement du manche au vent par vent de travers, ce qui soulage grandement l’action sur le frein du coté opposé au vent. Le premier vol eut lieu il y a juste 70 ans, le 8 avril 1949. Il démontra les qualités indéniables de la machine, performances qu’il faut comparer à celle d’un Piper Vagabond standard.
L’Helioplane pèse a vide 550 kg, la Vagabond 280 kg. La portance du Vagabond est doublée, sa vitesse de décrochage diminuée de 30% et sa vitesse de croisière, 145 km/h, est identique à celle du Vagabond. Le roulage au décollage de l’Helioplane ne dépasse pas les 30 m de longueur d’un court de tennis et la distance, départ arrêté, de franchissement de l’obstacle de 15 m de haut est de moins de 90 m, à comparer aux 500 m du Vagabond d’origine…
La corde détendue entre le cycliste et l’avion démontre la faible vitesse de ce dernier…
En fait, voler en palier à 50 km/h dans un biplace n’était pas une nouveauté, mais le faire en toute sécurité avec un pilote peu entraîné aux commandes était une gageure que Koppen et Bollinger réussirent. Ainsi, l’Helioplane se retrouva un avion particulièrement adapté aux mauvais plafonds et mauvaises visibilités. Un pilote perdu dans la crasse peut alors réduire sa vitesse à 50 km/h et, avec une simple bille-aiguille, peut descendre doucement sans grand risque d’accident grave.
En cas de mauvais temps devant l’avion, l’Helioplane volant à 55 km/h a, pour se dégager, un rayon de virage qui lui permet de tourner pratiquement sur place. Bref, on avait trouvé la solution du vol lent à basse altitude en toute sécurité. C’était d’ailleurs ce que permettait un De Havilland Moth vingt-cinq ans auparavant et c’est ce qui explique les incroyables raids des pilotes amateurs anglais, traversant sans radio mais avec une bille-aiguille, le mauvais temps dans leurs vols de Londres à Sydney.
Malgré les qualités du biplace Helioplane, personne ne voulut le construire en série. On voulait alors du quadriplace, ce que Koppen et Bollinger commencèrent à dessiner.
La fin du rêve du VFR américain
Arriva le conflit de Corée et l’industrie aéronautique américaine, qui était en panne depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, se retrouva noyée sous les commandes militaires et sous-traita à qui mieux mieux une bonne partie de la construction de sous-ensembles. Plus de place pour l’aviation privée… Il y avait eu pourtant d’autres prototypes d’avions à décollage ultra-court. Cependant l’association des lois immuables de la physique et des besoins militaires en construction aéronautique condamnèrent définitivement ce rêve un peu fou.
Seul subsista un certain temps, face à l’hélicoptère, le rêve d’un avion militaire moderne, léger, à décollage ultra-court comme l’avaient été en leur temps les Piper Cub et Fieseler Storch. Pour produire cette version moderne, l’Helio Corporation chercha et trouva des associés, puis se mit à construire le 6-places Helio Courier (ci-dessous) qui eut un grand succès pendant la guerre au Vietnam et qui continue de voler aux mains de passionnés américains.
Lynn Bollinger, professeur à Harvard et certainement aérophile lettré pour avoir appelé son enfant Hélio (soleil), avait bien repris à son compte la devise latine « Si vis pacem, para bellum » (Si tu veux la paix, prépare la guerre). ♦♦♦
A noter le très beau carénage d’échappement avec silencieux incorporé…