Alain Jamet, pilote inspecteur à la DSAC, rappelle les caractéristiques, la détection, les risques du virage engagé, les erreurs à ne pas commettre et les situations dans lesquelles il se produit généralement.
Le virage s’obtient par l’inclinaison de la portance, ce qui lui donne une composante horizontale centripète, au détriment de sa composante verticale. La composante horizontale de la portance est alors une force déviatrice qui induit le virage. Pour garder le palier, la composante verticale de la portance doit continuer d’égaler le poids. Il faut donc accroître
la portance.
Pour cela, le pilote agit à cabrer sur la commande de profondeur et augmente l’incidence. Les plans génèrent alors une portance supérieure au poids de la machine, dont le rapport s’appelle le facteur de charge (en virage). L’augmentation de portance entraîne une augmentation de la traînée, qui tend à faire diminuer la vitesse de l’aéronef. Si le pilote omet d’adapter la puissance et laisse décroître la vitesse, il devra chercher encore plus d’incidence pour garder une portance garantissant le palier, au risque de se rapprocher du décrochage. Attention si le virage est mal coordonné, c’est-à-dire avec une bille non centrée et donc de l’attaque oblique, le décrochage conduit à la vrille.
Le virage est consommateur d’énergie, et ce d’autant plus que l’inclinaison est forte !
– A 45° d’inclinaison et en palier, le facteur de charge est égal à 1,4 et la vitesse de décrochage augmente de 19%.
– A 60° d’inclinaison et en palier, le facteur de charge est égal à 2 et la vitesse de décrochage augmente de 40%.
Pour ces inclinaisons, si l’on ne tient pas le palier, le facteur de charge sera inférieur aux valeurs ci-dessus.
Si la machine est parfaitement compensée en palier et en ligne droite, et que le pilote l’incline, volontairement ou involontairement, sans agir à cabrer sur la commande de profondeur, la machine va descendre, conserver l’incidence pour laquelle elle est compensée et s’inscrire sur une trajectoire en spirale dont le rayon de courbure fera ressentir à ses occupants un facteur de charge proche de 1 G, alors que son accélération projetée sur la verticale terrestre sera quasiment celle d’une chute libre.
C’est le virage engagé !
Il se caractérise par l’absence de sensations somatograviques, et une augmentation rapide et dangereuse de la vitesse. Le pilote qui s’est fait piéger et n’est entraîné ni à la détection, ni à la procédure de sortie de cette situation hautement indésirable, est soudain alerté par le bruit aérodynamique résultant de la vitesse excessive. Il agit alors brutalement à cabrer sur la commande de profondeur, provoquant des contraintes telles que, conjuguées aux contraintes aérodynamiques, elles provoquent la dislocation de la machine.
La mise en virage d’un aéronef requiert une attention particulière
au contrôle de son assiette !
Au-delà de 30° d’inclinaison, l’augmentation du facteur de charge doit être sensible. A 60° en palier, elle est de 2 G ! Le pilote doit ressentir deux fois son poids ! Les actions de sortie d’un virage engagé sont dans l’ordre : réduction complète de la puissance, inclinaison à 0°, ressource en souplesse vers l’assiette de palier, prise de l’assiette de montée et application
de la puissance.
Aucun pilote ne devrait voler sans connaître et avoir parfaitement compris les deux scénarios suivants :
– « Le tour de la maison des amis », et…
– « La dégradation des références visuelles ».
Dans le « tour de la maison des amis », le pilote regarde un point au sol, augmente l’inclinaison insensiblement et de façon continue, et se laisse entraîner dans le virage engagé. Les conséquences sont celles décrites ci-dessus, ou bien la collision avec le sol à haute vitesse.
Quant au scénario de la « dégradation des références visuelles », il place le pilote au-delà de ses capacités perceptives. Debout, les bras le long du corps, levez un pied. Vos yeux vont tendre à s’immobiliser pour consolider une référence visuelle sur laquelle vous tiendrez cet équilibre devenu plus instable avec la réduction de vos appuis au sol. Fermez les yeux. Votre équilibre est moins assuré, plus fragile. Il est basé sur votre perception de la verticale par l’appui qui vous reste au sol et les organes de l’équilibre situés dans l’oreille interne.
Dans un aéronef, vous n’avez pas d’appui au sol, vous avez celui du siège et celui du « plancher » de la machine. En virage, la verticale apparente est très proche de celle de l’avion, mais n’est pas la verticale terrestre. Cela signifie que la dégradation des repères visuels extérieurs à la machine va subtilement vous priver de toute perception de l’orientation spatiale. Votre oreille interne va être perturbée, vous allez ressentir une sensation de vertige et vos réflexes de maintien de l’équilibre vont, à votre insu, vous faire agir sur le manche en roulis.
Faute d’être entraîné et/ou de disposer des instruments nécessaires au pilotage sans visibilité, il vous reste, selon une étude canadienne, 178 secondes à vivre ! ♦♦♦
Alain Jamet
Pilote inspecteur, Mission Evaluation et Amélioration de la Sécurité (MEAS)
Illustrations © René Deymonaz/DGAC/DSAC.
Photo d’ouverture © F. Besse/aeroVFR.com