L’un des dangers du vol VFR par conditions marginales.
C’est l’un des plus grands problèmes touchant la sécurité de l’aviation générale. Et, contrairement à ceux du vol IFR, l’intelligence artificielle ne pourra le résoudre. Les pilotes de loisir semblent le comprendre et ne voyagent que si le temps est quasi CAVOK. Mais le problème persiste, comme le montre tragiquement le bilan de l’accidentologie de ces dernières années. Et les nouveaux obstacles au sol, éoliennes et lignes à haute tension, poussent comme des champignons !
Dans une récente enquête de la FAA sur les pilotes privés, les répondants ont indiqué que le type de vol le plus dangereux est le vol par faible visibilité. Le vol par plafond bas suit de près : il est le deuxième sur la liste avec un total de 38 cas « réellement vécus de vol dangereux ».
Le danger commence peut-être dès le processus de formation… La plupart des vols de voyage sont effectués par temps clair, ou presque clair, et les premiers vols en solo sur la campagne se passent certainement dans des conditions météo aussi optimales que possible. Lorsqu’un pilote obtient sa licence de pilote privé, les règles du jeu changent brusquement. Personne ne regarde par-dessus son épaule alors qu’il planifie un vol. En place des conditions météorologiques choisies par l’instructeur, un pilote licencié est autorisé à voler avec un plafond minimum de 1.000 pieds, avec trois passagers, ou dans un espace aérien contrôlé, avec une visibilité réduite à 1,5 km et hors des nuages.
La plupart des nouveaux pilotes sont, au début, prudents, mais avec le temps, la confiance en soi se renforce et la vigilance se détériore. Dans de trop nombreux cas, faire un voyage se base sur les conditions météorologiques de… l’aller et la connaissance de celles du retour est reportée à plus tard. Si la météo du retour ne correspond pas à ce qu’elle devrait être, on espère qu’il fera quand même suffisamment beau. Les avions sont de véritables machines à voyager en gagnant du temps, mais il faut se permettre d’en perdre, de temps en temps.
Qu’arrive-il aux pilotes qui tentent de voler en VFR par mauvais temps, que cela se termine par une belle peur ou malheureusement par un accident ? En règle générale, l’accident est facile à comprendre. Les pilotes qui ont des « accidents météorologiques » ont tendance à faire l’une des deux choses suivantes : primo, ils survolent un sol (ou une obstruction) enfoui sous les nuages, et ils volent dans le mauvais temps jusqu’au point où le vol VFR ne peut plus être maintenu. Deuzio, lorsqu’ils perdent toute référence visuelle extérieure, ils perdent aussi le contrôle de l’avion et finissent par se retrouver dans un piqué vertigineux vers la planète.
Bien sûr, un des moyens d’éviter le problème est de ne voler que par beau temps – mais, dans la pratique, cela ne peut pas toujours fonctionner… Si un avion doit être employé comme véhicule de voyage, que ce soit pour les affaires ou pour le plaisir, il faut qu’il soit raisonnablement utile. Cela signifie voler hors des jours de beau temps.
Peut-on définir le VFR marginal ? On peut considérer que le VFR est marginal chaque fois que le plafond descend sous les 1.000 pieds (au-dessus du point le plus haut de la route suivie ou à proximité de celle-ci) ou que la visibilité diminue à moins de 5 km. Il est légalement permis de voler jusqu’à ces minimas en dehors d’un espace aérien contrôlé, mais voler légalement dans le mauvais temps n’est pas forcément sans danger…
Ainsi en vol VFR par temps marginal, il y a trois choses à éviter :
1) le sol,
2) les autres avions,
3) la perte de contrôle de l’avion.
Ne pas emplafonner le sol…
Une planification minutieuse est primordiale pour réussir un vol par temps marginal. Premièrement, il faut minutieusement examiner le trajet sur un fond de cartes, papier ou GPS, et pointer les endroits où le sol se rapproche du niveau de vol choisi. Une fois que le pilote sait où se trouvent les bosses et les obstacles, il doit déterminer le meilleur itinéraire de vol.
Avec le GPS, il n’est plus nécessaire de suivre rivières, voies ferrées et autoroutes. Mais dans des conditions VFR marginales, la navigation finit généralement par nécessiter des points de repère au sol. Si le vent dépasse 10 Kt, il faut en tenir compte par une vérification régulière des caps suivis. Par ailleurs, la météo aéronautique disponible est une météo de points et non une météo de zone. Il n’y a aucune garantie que la météo de la région soit semblable à celle d’un point isolé dans celle-ci.
Examinons certains problèmes qui peuvent survenir en cours de route, en VFR marginal. Que se passe-t-il s’il pleut beaucoup, ou si la visibilité commence à baisser ? Il nous faut 5 km de visi. Comment estimez-vous une visibilité tombant en dessous des 5 km ? Comment estimez-vous qu’elle tombe au minimum légal pour un vol dans un espace aérien non contrôlé soit 1,5 km ? Bien mieux, j’ai souvent entendu des pilotes affirmer : « Ouais, nous avions une visi de 6 km, 2 km devant et 2 km de chaque côté ! ».
Voici une réponse de bon sens pour l’évaluation de la visibilité en vol : le « ratio de visibilité » d’un avion en VFR. Cette méthode pour juger la distance de vision du pilote se fait par simple triangulation. Il est fondamental d’estimer cette distance à partir d’un avion en vol.
Si, au sol, avec votre avion en ligne de vol et assis au siège pilote, le niveau de vos yeux étant par exemple estimé à 2 m du sol, vous apercevez alors juste au dessus du capot un point sol situé à environ 15 m devant vous, le ratio de visibilité de votre avion est alors de 7. Ainsi, à 700 pieds du sol et en vol, le point que vous voyez passer sous le capot est à 5.000 pieds devant vous. Si vous le distinguez mal, la visibilité est au plus de 5.000 pieds soit 1.500 m… Attention, vous êtes à la limite de l’infraction si la zone survolée est contrôlée.
Cette règle « au doigt mouillé » est suffisante pour qu’un pilote VFR estime si sa visibilité est « dans les clous », avec une verrière bien propre bien sûr. Des puristes diront que c’est une visibilité en oblique mais la surestimation reste négligeable. Toutefois, il faudra ruser avec un avion à train classique qu’il faut d’abord mettre en ligne de vol au sol avant de grimper dedans pour estimer son ratio de visibilité.
Parfois, lorsque la visibilité semble diminuer, il est possible de l’améliorer uniquement en perdant un peu d’altitude, une centaine de pieds ou plus. Dans des zones de plafonds bas, en particulier dans des zones pluvieuses – lorsqu’il n’y a pas de brume au sol – la visibilité est optimale en surface et se dégrade jusqu’à la base des nuages, où elle finit par atteindre pratiquement le zéro. En perdant quelques centaines de pieds, il se peut que nous perdions une partie de l’altitude de dégagement de certains obstacles, telles les grandes éoliennes récentes, ce qui peut être un signal de retour au point de départ ou à un aérodrome de dégagement que l’on vient de dépasser.
Une des clés de la réussite d’un vol en VFR marginal est d’avoir en tête les limites précises de visibilité et de plafond qu’il ne faut pas transgresser.
Ne pas emplafonner les autres machines volantes…
Qu’en est-il de la détection d’autres avions ? Si la visibilité est de 5 km, ils seront difficiles à repérer. Bien entendu ils seront moins nombreux que lors d’une journée ensoleillée, mais tout le trafic VFR va se concentrer sous le plafond des nuages. Cela signifie que le VFR marginal doit être une opération d’attention et encore d’attention. Si la visibilité est de 5 km et qu’un autre avion suit une route convergente à 90° et que les deux volent à 200 km/h, les deux avions se croiseront seulement une minute après être devenus visible l’un par l’autre.
Ne pas perdre le contrôle de son avion…
Maintenant, et si, malgré de bonnes décisions et une planification rigoureuse de vol, nous nous retrouvons dans les nuages ? Il faut d’abord avoir en tête qu’un pilote involontairement passé de conditions VMC à des conditions IMC se trouve dans une des situations de vol les plus dangereuses qui soient. Malheureusement, on constate qu’il y a de nombreux cas où des pilotes qualifiés aux instruments mais volant en VFR et passant involontairement en IMC perdent aussi la maîtrise de leur avion. Décoller pour un vol IFR soigneusement préparé est beaucoup moins risqué que de se retrouver soudainement dans des conditions IMC sans aucune préparation.
La principale cause de perte de contrôle est peut-être due au fait que le pilote essaie de faire trop de choses et trop rapidement… Ces dernières années en Europe, l’accent a été mis sur la formation des pilotes à pouvoir faire un virage à 180° aux instruments. L’idée est de pouvoir se sortir du mauvais temps après y avoir involontairement pénétré. Mais parfois, le plafond et la visibilité ne permettent pas au pilote de savoir s’il a réellement effectué un 180°. Et réussir un beau 180° aux instruments est bougrement difficile si le pilote n’agit pas en finesse…
Pourquoi mettre en cause la valeur de la formation aux instruments à 180° ? Prenons un exemple : nous sommes à 1.000 pieds au-dessus du sol avec une visibilité de quelques kilomètres. La pluie devient plus forte et nous force à descendre jusqu’à 700 pieds, nous obligeant à quitter une trajectoire longeant une autoroute. Apparaissent ensuite à notre niveau de vol quelques indices inquiétants. Le sol est visible d’un côté mais pas de l’autre, puis ca s’inverse, puis tout le sol disparait et par instant réapparaît. L’angoisse et un certain vertige s’installent.
Finalement après 15 ou 20 secondes, nous nous retrouvons en plein vol aux instruments, donc après 15 ou 20 secondes de moitié VFR et moitié IFR. Selon la FAA, la moitié des pilotes privés n’a pas traversé de nuages moyens en vol aux instruments au cours des deux dernières années et seulement 14% ont eu une instruction sommaire d’un court pilotage aux instruments. Il y a donc des chances pour que le jeune pilote aux commandes, qui pénètre dans les nuages, n’ait pas d’expérience récente de ce type de vol.
Une fois en IMC, sa seule idée sera de faire demi-tour et sortir de la crasse. Il commencera à la hâte à débuter son demi-tour. Le capot de l’avion baissera, les commandes durciront. Subitement, le sol apparaîtra à 180°, puis disparaitra rapidement… À notre avis, la meilleure chose à faire en cas de pénétration accidentelle en IMC est de rester un instant sans bouger. Regardez l’horizon artificiel et assurez-vous qu’il est horizontal. Si vous bougez le manche, bougez-le doucement pour être à inclinaison nulle. Ensuite, vérifiez que l’altitude est suffisante pour éviter tout point haut du terrain. Puis, essayez de rester aussi calme et concentré que possible en fonction de ces circonstances certes angoissantes.
Souvenez-vous de deux choses : il faut faire un 180° graduellement et avec précaution, et commencer à tout mettre en ordre pour appeler le contrôle à la radio, lui expliquer les choses et l’amener à faire tout son possible pour vous aider. Si la sortie doit être à 180° du cap initial, jetez un coup d’oeil à la carte et vérifiez que vous êtes suffisamment haut au-dessus de tous les obstacles au sol pour faire le virage. Puis lentement, en regardant principalement l’horizon artificiel, commencez le virage à 180°.
Gardez l’inclinaison à 10 ou 15° et pas plus. Un coup d’oeil occasionnel au gyro vous indiquera la progression du 180°. Une fois celle-ci terminée, avec un 180° bien vérifié, vous pourrez redescendre avec précaution à l’altitude utilisée avant l’entrée en IMC. Puis volez pendant un certain nombre de minutes. Si vous revenez dans des conditions VMC, c’est bon. Trouvez l’aéroport le plus proche, atterrissez, allez au bar et payez une tournée générale…
Si vous n’arrivez pas à sortir de la crasse, la meilleure chose à faire est alors de rester ou de monter à l’altitude de sécurité au-dessus du sol et d’appeler le contrôle et de lui expliquer la situation. Le contrôleur peut vous aider, mais il ne peut pas piloter l’avion. Un jour en traversant la Manche en monomoteur, le moteur se mit à ratatouiller. Je sélectionnais les magnétos, tirais le réchauffage-carburateur, et bougeais la mixture sans résultats. J’appelais alors le contrôleur qui me répondit calmement et gentiment : « Rappelez-moi dans 5 minutes si ca continue ».
Cela s’arrêta quand la soupape qui perlait se débarrassa de la saleté qui l’empêchait de bien fermer. En fait, la principale chose que le contrôleur peut faire est de donner un cap et des mots encourageants. Cela suffit généralement si le pilote retrouve son calme. Il faut bien constater que le rôle du contrôle aérien a bien changé au cours des dernières années. Il y a trente ans et surtout en Grande-Bretagne, le contrôle vous aidait, vous conseillait et vous rassurait en toutes circonstances.
Dans le « Grand cirque », Pierre Clostermann, perdu sous la pluie et les nuages bas, à bord de son Hawker Tempest à 300 km/h moteur réduit, demande un cap retour à son contrôleur, lequel le conduit jusqu’à la finale sur son aérodrome d’Angleterre. Il y a trente ans, tout cela était encore dans les gènes des contrôleurs. Aujourd’hui, on est passé à un contrôle souvent punitif pour un vol VFR venant perturber le travail d’intelligence artificielle de contrôle du trafic IFR. Et la peur de la punition amène souvent le pilote VFR à faire des bêtises catastrophiques. Je souhaite qu’en conclusion le monde du VFR évolue au sein d’un contrôle que l’on pourrait qualifier maintenant d’amical. ♦♦♦
Photos via auteur et © F. Besse / aeroVFR.com
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« La prise de décision du pilote. Critères plafond/visibilité »
« Critères de décision face à la dégradation du plafond et de la visibilité »