Juin 1925, en VFR vers le pôle Nord, la tête à l’air… Dernier épisode de cette aventure racontée par Jean-Philippe Chivot
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Le 4 juin, la banquise entraîne un gros iceberg près de la piste qu’ils surnomment le Sphinx. Après cinq jours de travail harassant de découpage de blocs de glace et de déblaiement, Omdal a une idée : pietiner la glace qui s’amollit pour créer une piste dure et y faire glisser le N25. Amundsen calcule qu’il va falloir tasser encore au moins 500 m de glace pour pouvoir décoller. Le 14 juin, il note qu’a six, ils ont déplacé presque… 500 tonnes de glace.
Leur stock de nourriture diminue et Amundsen pense à un possible retour à pied de quelques semaines. Mais les hommes sont affaiblis. Il y a des barrières de glace à franchir, des bras d’eau à traverser avec leur barque en toile et presque plus rien à manger. Amundsen décide finalement d’attendre de bonnes conditions météo pour tenter un décollage avec le N25.
Le 15 juin, alors que la température oscille autour de 0°C, il inspecte la « piste » et ses 500 m de glace qui sont relativement lisses et semblent se raffermir dans l’air froid, mais de petites fissures se sont développées juste devant le N25. C’est maintenant ou jamais et à 20h30, les moteurs démarrent. Les six hommes déchargent tout ce qui est inutile pour le retour et grimpent dans le N25 en regardant tristement le N24 infirme qu’ils laissent derrière eux.
Riiser-Larsen met les gaz et le N25 commence à glisser sur la glace, moteurs rugissant à 2.000 tr/mn. Puis le bruit du frottement s’arrête et Amundsen, joyeux, comprend que le N25 vole. Après deux heures de vol vers le sud, les nuages se dissipent et le soleil apparait. Au sextant, ils vérifient l’exactitude de leur position. Sous eux, quelques flaques d’eau libre et partout de petits icebergs, il faut surtout que les moteurs tiennent le coup…
Des couches de nuages bas apparaissent et Riiser-Larsen essaye de passer en dessous. À 140 km/h, l’avion file à travers une forêt d’icebergs sortant de la brume. Rilse doit finalement monter au-dessus de la couche. Après une heure, elle se dissipe et la banquise réapparait. « Tout à coup, note Amundsen, un gros nuage s’estompe, dévoilant lentement une haute colline scintillante. Il n’y a pas de doute, c’etait le Spitzberg ».
Au-dessus d’une mer bien agitée, Riiser-Larsen dirige le N25 vers un détroit plus calme et se prépare à amerrir. Il demande à l’équipage de se mettre le plus en arrière possible pour garder, lors du toucher des crêtes de vague, le nez du Dornier le plus haut possible. L’amerrissage se déroule sans encombre vers 20h00 et Rilser échoue son hydravion sur les petits cailloux du rivage. Tout le monde saute à terre, Ils mangent un peu et se mettent à ramasser du bois flotté pour faire un feu signalant leur position.
Riiser-Larsen se redresse brusquement en scrutant l’horizon. « Il y a un navire ! » crie-t-il. Un petit bateau de chasse au phoque norvégien traverse en effet la baie, ignorant apparemment l’existence du N25 à l’ancre. Tout le monde remonte à la hâte à bord du Dornier. On démarre les moteurs et très vite l’hydravion rejoint le chasseur de phoques à la grande stupéfaction de ses marins en train de pêcher.
Après avoir restauré les aviateurs affamés, le capitaine du phoquier leur apprend que, depuis des semaines, des bateaux de sauvetage les recherchent. Amundsen lui demande alors de remorquer l’hydravion jusqu’à son lieu de départ, King’s Bay. Le remorquage fut aventureux car un coup de vent dans la nuit obligea bateau et hydravion à s’abriter dans une petite baie. Le lendemain, arrivé à King’s Bay, Amundsen découvre les navires et les deux hydravions Hansa Brandeburg W33 partis à sa recherche.
Le 25 juin, la N25 est hissé à bord d’un navire de transport pour le voyage vers la Norvège. Amundsen, Ellsworth et l’équipage montent à bord d’un autre bateau pour Tromsö, au nord de la Norvège. Accueillis en héros par une multitude de bateaux tout au long de leur tour de la Norvège vers Oslo, ils s’arrêtent à la base d’hydravions de Horten, près d’Oslo où le N25 est débarqué, remonté et mis à l’eau pour que le 5 juillet 1925, Amundsen et son équipage puissent parcourir en vol, et en patrouille avec des hydravions norvégiens, les derniers kilomètres de fjord et amerrir dans le port de la capitale où la foule et le roi Haakon leur font un accueil triomphal d’anthologie.
Fin du voyage : en vol près d’Oslo avant l’accueil triomphal…
Il nous faut enfin noter le courage extraordinaire et la sureté de décision de ces hommes qui aéronautiquement bénéficièrent d’un hydravion exceptionnellement réussi, le Dornier Wal, et de conditions météorologiques tout aussi exceptionnelles sous ces latitudes : températures très élevées dès la mi-février et absence remarquée des brouillards du nord. ♦♦♦ Jean-Philippe Chivot
Photos issues de l’album de Roald Amundsen et publiées par Les Ailes.
Ci-dessous, le Dornier N25 conservé au musée Dornier à Friedrischafen. Photo © CC/Alec Wilson