Richard Vangrunsven, ça vous dit quelque chose ?
Il fait partie des « 51 gloires de l’aviation » selon le magazine aéronautique Flying. Cette liste établie en juillet 2013 le classe à la 22e position. Elle comprend en premier Neil Armstrong puis, entre autres, Louis Blériot, Antoine de Saint-Exupéry, Clyde Cessna, William Piper, etc.
En fait, Richard « Dick » Vangrunsven a radicalement changé le monde de la construction amateur dans lequel s’illustrèrent en France quelques précurseurs comme Henri Mignet ou Edouard Joly (le Jo de Jodel). Sous le nom commercial de Van’s le nombre d’avions construits selon ses plans est chaque année largement supérieur à celui de l’ensemble de la production de l’aviation générale américaine ! Il a su au fil des années capter la quintessence des désirs des pilotes de loisir et imaginer et construire des avions pour les satisfaire. Actuellement, il y a au monde plus de 10.000 Van’s qui volent dont 82 en France.
Ses avions sont rapides, agréables à piloter, robustes et surtout faciles à construire car ils sont en aluminium. Et en ces temps de machines aux formes extraordinaires en composites, l’aluminium a manifestement toujours le beau rôle.
Biographie
Richard Vangrunsven est né en 1939 dans l’Orégon, état de la côte ouest des Etats-Unis, au sud du Canada. Fils d’un fermier ayant un peu piloté, il achète en 1956, avec l’un de ses freres, un vieux Piper Cub et à 16 ans apprend à voler en décollant d’un champ de 250 m de long situé derrière la ferme paternelle. Après des études à l’université de Portland, il obtint un diplôme d’ingénieur en mécanique et entre dans l’US Air Force.
Daltonien il ne peut servir comme pilote et finit comme officier de transmission. Il travaille ensuite chez un fabricant de chariots élévateurs et consacre tout son temps libre à l’aviation. En 1962, il achète un Stits Playboy, monoplace de construction amateur dessiné par M. Stits, lequel se consacra ultérieurement à l’entoilage des avions en créant la société Stits Polyfiber mondialement connue par les pilotes d’avions entoilés.
Le Playboy était plus beau que bon. Ses performances médiocres incitèrent Richard Vangrunsven à l’améliorer. Il remplaça le Continental 65 ch par un Lycoming de 125 ch, mais l’avion se posait beaucoup trop vite. Il lui dessina alors une aile en aluminium avec des volets, l’équipa d’un cockpit bulle et de pantalons de roue. Ainsi naquit le Van’s RV-1 qui ne décoche plus qu’aux environ de 80 km/h.
Quelques années plus tard, Richard Vangrunsven dessina à partir d’une page blanche le Van’s RV-3, version tout aluminium améliorée du RV-1, qu’il amena au rassemblement annuel de l’Experimental Aircraft Association (EAA) à Oshkosh en 1972. Ce fut le début du succès. Le RV-3 fixa un nouveau standard pour les monoplaces de construction amateur. Avec aujourd’hui un Lycoming de 150 ch, il croise à plus de 300 km/h, dispose d’un rayon d’action de 900 km, a une vitesse d’approche de 105 km/h et décroche à 80 km/h. Ce n’est pas seulement un avion de sport capable de faire de la voltige de base mais aussi un avion de voyage. Richard Vangrunsven fit quelques 550 h de vol aux commandes du prototype. Aujourd’hui plus de 300 exemplaires ont été construits.
Ce fut aussi le début de la famille d’avions Van’s Aircraft, appareils qui ressemblent tous au RV-3. A chaque fois que Richard se posait avec son RV-3, des passionnés lui en demandaient les plans. Aussi, il fonda en 1973, en banlieue de Portland dans son Oregon natal, la Van’s Aircraft Factory qui se mit à proposer plans et kits de construction. En 1979, le RV-3 fut suivi par le RV-4, biplace en tandem puis par le RV-7 biplace côte-àcôte. Vint ensuite un quadriplace, le RV-10, et enfin, last but not the least, le RV-14, le biplace côte-à-côte le plus évolué dans sa conception et dans son kit de construction (éclaté ci-dessous).
En 2006, Richard Vangrunsven devint une des célébrités consacrées de l’état d’Orégon puis, en 2013, un des dirigeants de l’EAA, la plus grande organisation mondiale de fanatiques d’aviation qui compte maintenant quelques 200.000 membres et organise chaque année à Oshkosh le plus important meeting mondial d’aviation. Le 24 juin 2013, la revue américaine Flying le fit entrer dans la liste mondiale des 51 personnalités ayant marqué l’histoire de l’aviation.
Raconter la vie de Vangrunsven, c’est raconter la vie d’un « homme-avion ». En effet, Dick passe encore une bonne partie de son temps à voyager avec ses machines. Il en est l’utilisateur le plus critique. C’est le concepteur d’avion de loisir qui a le mieux compris les désirs du pilote privé. Cet homme a crée une sorte de culte, un groupe de frères qui prennent leur Van’s et volent religieusement. Il y a des clubs de Van’s, des formations au pilotage de Van’s, des forums de discussion, des blogs.
Il y a des gars qui ont construit 5, 6, voire 7 exemplaires d’avions de Van’s. Ils volent avec eux pendant un moment, les vendent et achètent un autre kit car Ils adorent construire des Van’s. Ce culte est unique et ne ressemble à aucun autre. Il diffère par exemple du culte de la Harley Davidson. Le culte du Van’s n’a rien faire du paraitre et n’est basé que sur des points techniques factuels et indiscutables : la facilité de construction, la robustesse, le soutien du constructeur, l’intégrité, la performance, la performance et encore la performance.
Ses avions
Dick a lancé Van’s Aircraft avec le RV-3. Cet avion et tous ceux qui ont suivi ont été réalisés en aluminium 2024-T3. De toute évidence, Dick préfère ce matériau aux composites, aux tubes avec entoilage ou encore au bois. L’aluminium est bien connu pour sa résistance, sa durabilité et son endurance. Il a dominé l’aviation militaire et commerciale pendant 75 ans. Avec le RV-3, Dick a voulu créer son propre dessin d’avion. Il a gardé l’esprit du Playboy, mais là où le Playboy était en bois, en tube d’acier et en tissu, Dick a fait une cellule entièrement en aluminium.
« C’était basé sur ce que je savais en aviation et c’est devenu une sorte de pierre angulaire pour l’entreprise » dit-il. En 1969, Dick a commencé à construire un prototype de RV-3 et le pilota pour la première fois en 1971. Il était ravi des qualités en voltige de son bébé et de sa vitesse. Il décida donc de le commercialiser en kit. A l’époque, un « kit d’avion » avait une tout autre signification que maintenant. Les kits n’étaient pas complets. Ils comprenaient les plans et quelques-unes des parties difficiles à réaliser comme les nervures, les cloisons, les carénages, le bâti moteur, et certaines pièces en aluminium au dessin non développable.
Les constructeurs amateurs devaient ensuite trouver des feuilles d’aluminium, des rivets, des boulons, des garnitures, de la peinture, des instruments et un moteur. « Pour moi, vendre en kit était alors plus facile qu’aujourd’hui, car vous n’aviez pas besoin d’être équipé d’outils complexes et sophistiqués pour réaliser des kits complets. Et les machines à commande numérique n’existaient pas ». Le premier magasin Van’s était un garage de voiture doublé d’un grenier de grange. « Cela a bientôt changé. L’industrie évoluait et les gens voulaient des kits plus complets ». L’objectif fut alors pour Van’s de faire le genre de travail pour lequel les constructeurs amateurs standards n’avaient ni les outils ni les compétences nécessaires.
Aujourd’hui les machines à commande numérique pré-perforent tous les trous. Toutes les pièces en acier sont prêtes à être boulonnées, et il ne reste que de l’assemblage à la charge du constructeur amateur. Dick vend toujours des kits RV-3 pour ceux qui veulent faire en solo de la voltige sous les 4,5 g et des voyages à 300 km/h Peu de temps après la présentation du RV-3, Dick commença à développer un biplace. À cette époque, il y avait beaucoup de constructeurs amateurs de monoplaces et les appareils à deux places étaient rares, mais beaucoup de gens en révaient Or Dick était tellement content des performances du RV-3 qu’il ne voulait dans un nouvel avion ni sacrifier la vitesse ni la voltige pour une place supplémentaire.
Finalement, vers 1975, Dick pensa à la disposition en tandem et se mit à dessiner le RV-4 : un superbe biplace en tandem. Quand finalement en août 1979 le RV-4 vola, Dick eut une heureuse surprise. Le RV-4 était beaucoup plus performant que prévu. C’était un RV-3 agrandi : 20% d’ailes en plus, un fuselage plus long, un train classique, une aile basse et bien sûr et surtout une construction métallique. On le pilotait de la place avant, ce qui améliorait la visibilité à l’atterrissage.
Le RV-4 croise à 270 km/h avec son Lycoming de 150 ch, fait de la voltige et décroche à 85 km/h. Après être passé à Oshkosh en 1980, les commandes affluèrent et Dick embaucha du personnel à plein temps pour l’aider à produire plans et kits. Face à une demande exponentielle, il commença par vendre des kits de pièces de construction des empennages (pour permettre aux amateurs de se faire la main sur la construction en métal), puis des kits d’ailes, et enfin au bout de trois ans, des kits de fuselages.
Vint ensuite le RV-6. Les pilotes voulaient des biplaces côte-à-côte. Ils avaient appris à voler sur de telles machines et leurs femmes ne voulaient surtout pas s’assoir en place arrière. Par ailleurs, ils étaient prêts à se passer de voltige pour avoir un grand compartiment à bagages. Dick dut ravaler son amour de l’optimisation des performances en faveur de l’accroissement du volume utile de l’appareil. Il réutilisa, en les modifiant légèrement, un bon nombre de pièces du RV-4 comme les empennages ou l’aile. Et le RV-6 devint un biplace côte-à-côte un peu moins rapide que le RV-4 mais tout aussi capable de voltiger.
Dès sa présentation à Oshkosh en 1986, Le RV-6 a rencontré un énorme succès. Bien mieux, le purisme de Dick a évolué et pour aboutir au RV-6A au train tricycle. Plus de 2.500 RV-6 et 6A ont été construits jusqu’en 2000 et quelques 1.500 supplémentaires sont en construction ou abandonnés non finis. Chaque année depuis la date de fin de la vente du kit, une cinquantaine de RV-6 sont encore immatriculés.
Le RV-8, c’est selon Dick une version survitaminée du RV-4 avec plus de puissance (jusqu’à 200 ch) et plus d’espace pour l’équipage. Il fut présenté à Oshkosh en 1996. Grâce à la découpe des pièces par machine numérique, les kit de RV-8 sont plus complets, mieux finis que ceux du RV-4 et la principale amélioration réside dans la facilité de construction. Une version, le RV-8A, possède un train tricycle. En 1998, le RV-8 fut l’avion le plus vendu au monde : en moyenne un par jour !
Après avoir revisité le RV-4, Dick s’attela au peaufinage du RV-6. Visuellement le RV-7/7A est identique au RV-6. Dick a coutume de dire que la différence se trouve « sous la peinture », malgré une cabine un peu plus grande pour accueillir des pilotes plus costauds. Et encore une fois, il se débrouilla pour que les trous du kit s’alignent bien, pour que les kits comprennent plus de pièces finies et que le travail de l’acquéreur soit le plus facile et rapide possible. Il nous faut ici parler de la réglementation de la construction amateur. Celle-ci impose que reste à la charge de l’acquéreur du kit 51% du travail de construction de l’avion. C’est tout l’art de Richard Vangrunsven que de rester dans la limite des 49%.
En 1998, le RV-9 fit son premier vol. C’est un fuselage de biplace RV-6 sur une aile beaucoup plus grande afin de lui donner des caractéristiques d’avion d’école. Finie la voltige, un avion devenu moins rapide, des vitesses de décollage et d’atterrissage plus faibles, des volets plus grand, bref un avion moins pointu à piloter pour des pilotes vieillissants. Dick a adapté le RV-9 au pilote en ne cherchant plus à adapter le pilote à la machine. L’avenir lui prouva qu’il avait choisi une bonne voie.
Le RV-10… Plus il voyageait, plus Dick constatait que l’offre et la demande d’avions quadriplace évoluait. L’offre était vieillissante, d’un coût toujours plus élevé alors que les kits Van’s étaient de plus en plus capables de proposer un kit quadriplace. Le RV-10 quadriplace vit le jour en 2003. Ses pièces furent conçues grace à la CAO. En réalité, les composants, nervures, longerons sont globalement identiques quelle que soit la taille de l’avion, seule la conception de la machine diffère suivant le nombre de places. En dix ans, plus d’un millier de kits de RV-10 ont été vendus. Le RV-10 muni d’un Lycoming 260 ch croise à 275 km/h et l’on voit actuellement des propriétaires de Cirrus SR-22 achetés neufs venir au RV-10, certes un peu moins confortable mais tellement plus économique à utiliser…
Le RV-12 est la réponse de Dick au mouvement LSA (Light Sport Aircraft). C’est un LSA en kit même si certains ont été livrés clés en main. Il se vend bien et Dick considère le programme comme un succès. Le RV-12 peut être construit soit comme un E-LSA (Experimental Light Sport Aircraft), auquel cas il doit être construit exactement comme indiqué sur les plans sans personnalisation aucune, soit comme un avion « Experimental » (construction amateur aux USA).
il s’agit bien sur d’un avion tout aluminium à aile basse avec sièges côte-à-côte qui croise à 210 km/h, vitesse limite imposée par la classification LSA. Cette vitesse, a contrario à celle de bons nombres d’ULM rapides et légers, est utilisable en atmosphère turbulente. Le moteur est un Rotax 912ULS de 100 ch. La charge utile est importante avec son équipage de deux personnes de 95 kg, ses 80 litres de pétrole et ses 20 kg de bagages. En fait Dick ne voulait pas d’un Cessna 150 LSA mais d’un petit avion un peu sportif avec même, en option, l’équipement vol de nuit, un PA et des sièges relax. Le temps de construction du kit LSA est estimé entre 700 et 900 heures (plus la peinture) en fonction du matériel utilisé et de l’expérience du constructeur.
Au fil des ans, Dick a vu beaucoup de changements dans le marché de la construction amateur. Avec le RV-12, Van’s Aircraft est entré dans le marché E-LSA. Marché où un pur amateur possédant quelques compétences et quelques outils peut arriver à construire vite et bien un avion à la fois utilitaire et sportif.
Le Van’s le plus récent est le RV-14, un biplace cote-à-cote dérivé du RV-6, Plus haut sur pattes que ses ainés pour une meilleure visibilité au sol, à 75 % de sa puissance il croise à 280 km/h avec un Lycoming de 210 ch. Pour cela, il utilise une aile allongée au profil de celle du RV-10. C’est l’évolution ultime du biplace sportif de tourisme capable de satisfaire tous les rêves d’un pilote de loisir d’un bon niveau.
Enfin remarquons que Richard Vangrunsven a toujours cru à l’aluminium pour la construction d’avion et surtout pour la construction amateur. En effet, l’aluminium n’est pas sensible à la température lors de la construction et se prête beaucoup mieux au travail sporadique dans un garage de particulier que toute construction amateur en composites.
Richard Vangrunsven a ainsi bien révolutionné le monde de la construction aéronautique non par des techniques novatrices mais par l’adaptation parfaite de techniques traditionnelles aux besoins et à l’habileté des pilotes de loisir. Vous ne pourrez plus maintenant ignorer son nom. Savez vous qu’avec plus de 10.000 Van’s construits en 45 ans, de 1972 à 2017, Dick atteint le paradis des avionneurs.
En comparaison, le Cessna 152 construit de 1977 à 1985 n’arrive qu’a 7.500 exemplaires. Seul un ULM dépasse de peu l’exploit de Vangrunsven : le Chotia Weedhopper avec ses 13.000 appareils construits. Parmi les noms de « Fliegende Hollander », le hollandais volant (Richard Wagner), Richard « Dick » Vangrunsven a dépassé Fokker. ♦♦♦
Photos © auteur, Van’s Aircraft, Club Van’s et DR