Jean-Philippe Chivot vous propose un retour en arrière de 80 ans pour découvrir une série de monomoteurs légers…
L’année 1936 résonnait de bruits de bottes, surtout en Europe. Le Troisième Reich avait trois ans et se dotait, à marches forcées, d’une force aérienne destinée à servir sa soif de conquêtes. Le RLM (Reich Luftfahrt Ministerium), dirigé dès sa création par Hermann Goering et organisme de planification de la construction aéronautique, avait choisi les principaux modèles d’avions militaires – ou militarisables – et leurs constructeurs.
Or, écartés de ce premier choix, il restait des constructeurs de valeur. Et pour les faire travailler, le RLM définit en 1937 un programme de réalisation d’avions légers et très légers à destination de la formation ab initio de pilotes civils, appareils pouvant servir d’avions de liaison pour les militaires. Il s’agissait de développer un Volksflugzeug (avion du peuple) équipé d’un moteur de 50 à 60 ch.
Cette idée fut réalisée par Arado (Ar-79), Klemm (Kl-105), Siebel (Si-202), Fieseler (Fi-253), mais également par Bücker qui conçut, à la suite du succès des Bü-131 Jungmann et Bü-133 Jungmeister, le modèle Bu-180. Les résultats concrets de ce programme furent étonnants bien que la Dernière Guerre mondiale en stoppa net, fin 1939, toute construction ou développement.
Ainsi, le Fieseler Fi-253, petit frère du Fi-156 Storch, ressemble furieusement à notre ULM national Skyranger apparu quelques 70 ans plus tard, tandis que l’Arado Ar-79, le Bucker Bü-180 ou le Siebel Si-202 ont des performances honorables pour des avions des années 1970, trente ans après leurs premiers vols.
On a coutume de dire qu’un avion se bâtit autour d’un moteur. Or les moteurs de faible masse de l’époque, de 45 à 60 ch, n’atteignaient que péniblement une puissance de moitié de celle d’un Rotax 912S et, même avec cette puissance réduite, les ULM du Troisième Reich se comportaient comme des ULM du troisième millénaire. Voyons cela en détail…
Tout d’abord, la perle des avions légers allemands de 1939 : l’Arado Ar-79. Dessiné en 1937, l’Ar-79 était un biplace côte-à-côte construit suivant les meilleurs principes de l’époque : fuselage en tubes d’acier et aile basse mono-longeron en bois. II avait un train rentrant fonctionnant manuellement comme celui du Saab Safir : un grand levier entre les deux places que l’on basculait de 90° sans trop d’effort car des ressorts et un contrepoids venaient aider à la manoeuvre.
Equipé d’un moteur Hirth, un 4-cylindres de 105 ch, il croisait à un bon 210 km/h, comme un Jodel Sicile Record des années 1960, mais on pouvait en plus… voltiger avec lui car sa vitesse limite permise en piqué atteignait les 420 km/h ! En 1938, il s’adjugea un record de vitesse sur 1.000 km à 228 km/h et 225 km/h sur 2.000 km. Il fut construit à une cinquantaine d’exemplaires jusqu’en 1941 et servit d’avion de liaison dans la Luftwaffe.
L’Arado avait comme concurrent direct le Bucker Bü-181 Bestmann, biplace à formes et performances assez comparables mais à train fixe. Avec le même moteur Hith de 105 ch, il était construit tout en bois et croisait à 195 km/h. Avec lui, peu de voltige car sa vitesse limite en piqué n’était que de 330 km/h !
Facile à construire car ne demandant que du bois, il fut produit à 2.700 exemplaires et servit comme avion d’école dans tout le Reich, en Suède bien sûr car son concepteur était suédois, en Tchéquie et jusqu’en Egypte. La France en récupéra après guerre un certain nombre pour ses aéro-clubs. Ils disparurent face aux biplaces français des années 50, avec les Jodel, Piel Emeraude et autres Gardan Sipa plus économiques car équipés de moteurs à plat américains.
Passons aux avions à moteur Zundapp de 50 ch… Le Siebel Si-202 Hummel était un biplace léger tout en bois, construit à une soixantaine d’exemplaires entre 1938 et 1941. On a là un véritable ULM à la sauce du 21e siècle. D’une envergure d’environ 10 m, il était équipé d’un moteur Zundapp de 50 ch, un 4-cylindres en ligne.
Son poids en charge ne dépassait pas les 550 kg. Il croisait à 135 km/h comme un Jodel D-19 et avait un rayon d’action de 500 km. Il s’illustra en 1938 et 1939 dans toute une série de records d’altitude et d’endurance pour avions légers et fut employé comme avion de liaison par la Luftwaffe jusqu’en 1944.
Le Klemm Kl-105 était, pour le Siebel, un concurrent beaucoup plus agréable à regarder…
Ce fut le premier avion école à cabine construit par le célèbre avionneur Hanns Klemm en 1937, lequel avait opté pour une construction tout en bois par demi coques collées, un procédé utilisé ultérieurement par De Havilland pour son Mosquito.
Le Klemm Kl-105, biplace côte-à-côte, avait une envergure de 11 m et était équipé du sempiternel Zundapp de 50 ch, un 4-cylindres en ligne. Son poids en charge était de 560 kg.
Il croisait à 135 km/h et avait un rayon d’action de 500 km. Vitesse d’approche de 65 km/h et plafond de 3.000 m. Son premier vol eut lieu en septembre 1938. Klemm lança une série de 11 appareils destinée, entre autres, à vérifier les avantages du procédé de construction et tout s’arrêta à la déclaration de la guerre.
Pour finir, voici le Fieseler Fi-253, le « premier ULM de l’histoire », tellement semblable à notre franchouillard Skyranger d’aujourd’hui… Gerhard Fieseler, le concepteur du Storch bien connu, eut l’idée de produire un Storch en réduction pouvant se poser et décoller de n’importe quelle prairie, être sorti et hangaré par un seul homme et ayant pour cela des ailes facilement repliables.
Si les ailes n’étaient pas correctement verrouillées, la porte de la cabine refusait de s’ouvrir… Les contacts étaient à l’extérieur de l’habitacle. Bref un véritable ULM-hélicoptère avant la lettre. Il appela son Fieseler Fi-253 « Spatz » – soit « moineau » – après avoir surnommé « cigogne » son Fi 156 « Storch ».
Biplace d’une envergure de 11 m, doté comme le Storch d’une fente courant sur le bord d’attaque de l’aile, d’un poids total en charge de 500 kg, le moineau emportait deux personnes de 80 kg, croisait à 125 km /h tiré par son Zundapp de 50 ch et se posait en moins de 60 m, après une approche à 40 km/h. En l’absence d’hélicoptère, le Spatz aurait été l’avion idéal pour les fermiers, les chasseurs, les médecins… Son premier vol eut lieu en novembre 1937 et seulement six exemplaires furent construit car la guerre mit fin aux activités civiles de Gerhard Fieseler.
Le point commun à tous ces ULM allemands d’avant-guerre est que ces avions demandaient une bonne formation au pilotage car la notion « d’avion qui pardonne les fautes » était bien loin des soucis des concepteurs. En effet, les constructeurs allemands de 1939 croyaient à un changement radical de l’aviation dans les cinq années à venir, changement dû au remplacement du moteur à piston par le réacteur. Et donc la facilité de pilotage ne les préoccupait pas.
La DVL, équivalent allemand de la DGAC, ne demandait-t-elle pas à l’époque, pour certifier une machine, que chaque avion léger puisse satisfaire à l’obligation de sortir facilement et rapidement de vrille après le septième tour, et ce quel que soit le sens de rotation ! Les ULM allemands étaient excellents, souvent en avance sur leur temps, mais n’étaient absolument pas conçus pour être produits économiquement et en grand nombre.
Par ailleurs, les avions légers allemands étaient facilement reconnaissables : de longs fuselages et des moteurs en ligne. Ils n’eurent pas de descendance. Le souvenir de leurs silhouettes portant la croix gammée et la disparition des moteurs en ligne pour des moteurs à plat, mieux équilibrés et plus fiables, découragèrent durant l’immédiat après-guerre toute tentative de reprise de production. ♦♦♦
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