Le couple Ranjon, créateur de la société Centrair, se raconte…
Pour ses cinquante ans de mariage, Marc Ranjon a souhaité éditer un ouvrage sur sa carrière de pilote et industriel aéronautique aux côtés de sa femme, Geneviève. Mais étant plus à l’aise pour rédiger des ouvrages techniques, sur les Piper ou les Cessna, après une tentative avec un auteur extérieur, c’est finalement sa femme qui s’est attelée à la tâche de raconter cette aventure humaine vécue à deux.
Les deux premiers chapitres, intitulés « Moi » et « Lui » racontent leurs enfances respectives, leur éducation scolaire, leur milieu familial jusqu’à leur rencontre au Blanc, lui étant alors à la fois au cabinet parental d’assurances et d’immobilier, et chef-pilote du club vélivole après un passage de cinq années par l’Aéronavale, notamment comme pilote sur Lockheed P2V7 Neptune, elle étant la fille d’un colonel de la base militaire locale. Puis vient le chapitre le plus développé, « Lui et moi »…
Ce sera alors le début dans « l’industrie » aéronautique avec la représentation en France du Ka-6, un planeur produit par le constructeur allemand Schleicher, que le couple fait connaître aux vélivoles français. On est encore loin de l’Europe d’aujourd’hui et le passage de la frontière franco-allemande et la procédure de certification du premier Ka-6 en France après des vols au CEV, effectués par un pilote n’ayant jamais volé en planeur, dénotent leur époque ! Les commandes affluent et le couple Ranjon se lance ainsi dans la vente de planeurs tout en assurant le fonctionnement du cabinet d’assurances et d’immobilier…
Après le Ka-6 monoplace, viendra l’ASK-13 biplace dont l’intérêt grimpe après l’arrêt de vol des Bijave, suite à une rupture en vol du longeron de voilure sur un exemplaire… Le négoce vélivole prend de l’ampleur et en janvier 1970, la société Centrair est créée, devenant désormais la seule activité du couple. Une usine est alors créée sur l’aérodrome, avec le logement familial à proximité.
Pour augmenter le chiffre d’affaires, la représentation est acquise pour vendre des Cessna, la Centrair devenant à l’époque l’un des 17 représentants français de la marque de Wichita, le patron de Reims-Aviation, alias Cessna France, prenant une participation au capital de Centrair – un certain Pierre Clostermann… L’aventure Cessna sera arrêtée après une centaine d’appareils vendus, suite à une politique commerciale agressive à Wichita vis à vis de ses vendeurs.
Ce sera alors plusieurs décennies passées à développer l’activité de la Centrair, en aimant ce métier qui donne l’impression de ne pas travailler, fait d’aventures aéronautiques, de rencontres avec des personnages, de hauts et de bas notamment en procédures administratives. Au fil des années, la représentation sera prise pour plusieurs constructeurs : Grumman, Bellanca, Caproni, IAR…
Mais l’apogée de la Centrair se fera avec la conception de planeurs français. Après la production sous licence de l’ASW-20F (F pour France), auquel Marc Ranjon rajoutera en pionnier des winglets – ou « pennes » – la Centrair développera ainsi son propre classe Standard, le monoplace C-101 Pégase. Après plusieurs séries de 50 unités et des relations qui n’ont jamais été au beau fixe avec la famille Schleicher, la Centrair prend ainsi son autonomie. Le prototype vole en 1981. Les essais de certification seront poussés jusqu’à la sortie de vrille en moins d’un tour au centrage arrière avec un ballast plein et l’autre vide, le patron de Centrair se transformant en pilote d’essais.
A raison de 500 heures de production, plus de 300 Pégase vont sortir des moules. Puis viendra le programme du biplace Marianne, souhaité par la FFVV mais dont le succès sera moindre.
La Centrair produit également des éléments en composites pour des constructeurs d’automobiles, de missiles, d’hélicoptères, d’avions de ligne, de drones. Jusqu’à la reprise
de la société par les frères Chauffour, dans les années 1980, après la mise en difficulté financière de Centrair et la pression exercée sur les épaules du couple Ranjon pour vendre leur entreprise. M. Mégrelis prendra alors la direction de la SNC Centrair, « nouvelle société » créée en avril 1988.
Le groupe Chauffour ne s’arrêtera pas là, reprenant également les Avions Robin, Reims-Aviation et Mudry Aviation, soit l’essentiel du tissu industriel de l’aviation légère en France, le tout devenant par la suite le groupe Apex International dont on connaît la fin piteuse. Comme pour Pierre et Thérèse Robin, le couple Ranjon sera progressivement dépossédé de son rôle de conseiller, écarté des décisions pour l’avenir de la société. Une accusation de vols de plans du Pégase, classée sans suite par la suite, et une perquisition du logement hors présence des propriétaires achèvera la fin sordide de cet épisode.
Après un passage à vide, heureusement vécu à deux, viendra le temps de la remontée pour Marc Ranjon, devenant expert auprès des assurances, avec la création de la société AirExpert, après avoir refusé la proposition d’Auguste Mudry de reprendre la direction de l’usine de Bernay. Ce sera aussi un temps la représentation française pour Mooney Aircraft. Plus de trente ans après leur éviction, les deux créateurs de Centrair ont pu à nouveau revisiter l’usine en novembre 2017, reprise par un nouvel acquéreur, avec pour activité la sous-traitance en composites pour l’industrie aéronautique. Si la plaie n’est pas forcément cicatrisée, la boucle a été refermée.
Tout ceci tient en 245 pages agrémentées d’anecdotes en tous genres et d’un cahier de 32 pages de photos et documents. C’est le récit d’une vie passée en duo dans le domaine de l’aviation générale, celle où pour être millionnaire, il faut commencer par être milliardaire.
Un récit destiné dans un premier temps aux proches mais qui renseignera les pratiquants
sur les dessous d’un constructeur ou « la vie d’un industriel français de l’aéronautique ».
Le témoignage de deux passionnés…
Photo © MGR Editions
– Envolée à deux, par Geneviève Mondran-Ranjon, MGR Editions, 245 p. 20,00 €.