Deuxième et dernière partie de l’aventure d’une « belle oubliée de l’histoire, Prudence Richarda Morrow-Tait, première femme pilote à boucler un tour du monde », par Jean-Philippe Chivot…
Lien vers la première partie du récit
Deuxième partie : Changement d’avion et traversée de l’Atlantique
Le Proctor, une aile cassée gisait dans les arbres. Or les Américains avaient à récupérer un de leurs avions près du lieu du crash. Dans les jours qui suivirent, ils en profitèrent pour ramener l’épave du Proctor à Fairbanks (Elmensdorf) où ils le démontèrent et le mirent dans un container. Une Forteresse volante emmena Dikki et Townsend à la base d’Edmonton Naomi, au Canada, à 2.500 km de là, pour planifier les réparations auprès d’un ancien de la RAF.
Le container fut convoyé par camion et n’arriva qu’en février au Canada pour les réparations. En effet, il avait fallu attendre que la glace soit assez épaisse pour supporter le camion lors de la traversée de la Smoky River. Townsend dut alors rentrer en Grande-Bretagne terminer ses études. Malheureusement, le Proctor ne supporta pas la brutalité du transport et se révéla irrécupérable. Furieuse, à court d’argent et constatant que le sinistre était arrivé après la fin de validité de son assurance, Dikki fit du stop de Fairbanks à Edmonton et sermonna un des conducteurs du camion qui lui dit gentiment : « Votre engin est tombé du ciel d’au moins 3.000 pieds, ce n’est pas les 3 pieds de chute d’un camion qui l’ont abimé ».
Dikki n’abandonna pas son rêve de tour du monde et se mit à rechercher une solution pour trouver les moyens de continuer : argent, avion et navigateur. Impressionnés par sa détermination, ses nouveaux amis ex-RAF eurent l’idée d’organiser un appel à la générosité des fanas locaux d’avion pour recueillir les fonds nécessaires à l’achat d’une machine.
Avec les 500 dollars récoltés, un ex-instructeur de l’USAF lui trouva un BT-13 Vultee Valiant, avion militaire d’école d’abord prêté au Mexique et disponible sur la base canadienne de Niagara Falls.
Le Valiant était un BT-13, c’est-à-dire un Basic Trainer se situant entre le Boeing Stearman PT-17 Primary Trainer et le North American AT-6 Advanced Trainer. Il ressemblait à s’y méprendre à un T-6 à train fixe, doté d’un plus petit moteur, un Pratt & Whitney de 450 ch. Il y eut presque 9.500 Valiant construits de 1940 à 1943. Ils furent bradés à des civils dès la fin de la guerre. L’exemplaire de Dikki avait été prêté en 1941 au Mexique puis rapatrié en 1944 aux Etats-Unis. Dikki le céda plus tard à son aéro-club de Cambridge qui ne l’utilisa pas et le fit ferrailler en 1952. En effet, avec ses 450 ch, il croisait à un petit 200 km/h en consommant ses 80 l/h et en n’emportant que deux personnes.
L’instructeur pilote ramena le Vultee BT-13 à Vancouver avec, à ses commandes, Dikki comme élève. Elle fit réviser l’hélice et les instruments. Elle trouva alors un nouveau navigateur en la personne de Jack Ellis, un ex-pilote de la RAF qui cherchait un façon originale et peu onéreuse de rentrer voir sa femme en Angleterre. Ensemble, ils allèrent avec le Valiant de Vancouver à Elmensdorf, survolèrent l’endroit du crash du Proctor et se posèrent à Edmonton où elle fit installer un réservoir supplémentaire de 60 US gallons sous les pieds du pilote, portant à une dizaine d’heures l’autonomie du Valiant.
Par petites étapes, ils arrivèrent à Buffalo, à l’est des Etats-Unis. Là, Frank Ellis déclara forfait et rejoignit sa femme, venue entre temps d’Angleterre par bateau, à Toronto, ville canadienne toute proche. Dikki, indomptable, fit face à l’adversité, rappela son vieux copain Michael Townsend qui rappliqua en juin sur l’aérodrome de Buffalo.
Les ennuis administratifs commencèrent. Le Valiant était un avion immatriculé aux Etats-Unis en avion des surplus. Il devait avoir un propriétaire américain et être piloté par un détenteur d’une licence américaine. Dikki avait obtenu une licence américaine et elle trouva un prête nom américain comme propriétaire. Dikki et Townsend quittèrent alors Buffalo pour Montréal afin de réceptionner le kit de navigation et d’attendre la permission de se poser sur les bases américaines du Groënland.
L’autorisation arriva à l’heure dite mais le fonctionnaire canadien de service qui la leur remit se fendit d’un sourire en déclarant qu’il ne voyait pas comment ils allaient pouvoir continuer car un avion américain classé X – pour eXperimental – du fait du réservoir supplémentaire, n’était pas autorisé à voler au Canada et que, en outre, un monomoteur privé ne pouvait franchir des étendues maritimes, même l’embouchure du Saint-Laurent.
Tout cela prit fin le 30 juillet lorsque, avec un laissez-passer spécial, ils purent quitter le Canada vers Burlington (Mass), le plus proche aérodrome douanier des Etats-Unis. On ne les laissa partir qu’avec les 40 gallons d’essence dument mesurés nécessaires au vol. Une des objections des autorités canadiennes était l’état soit disant lamentable du Valiant, état jugé sur celui de la peinture taguée et particulièrement sale. Or l’avion n’avait qu’a peine 250 heures de vol. Ils le nettoyèrent à la base US de Dow (Bangor) et dédouanèrent à Old Town en direction du Groënland à l’aube du 3 aout 1949.
A cette saison, la météo sur leur route à suivre est le résultat d’un centre de hautes pressions centré sur le Groënland, flanqué de basses pressions variables situées sur l’île de Baffin et sur le nord-ouest de l’Islande. Donc de mauvaises conditions de vol à l’ouest du Groënland et sur la traversée Groënland-Islande. Toutefois, l’étape la plus longue à effectuer sans escale était Goose Bay-Narsassuak soit 880 km, distance inférieure à celle du point de non retour du Valiant avec son réservoir supplémentaire – ce qui leur permettait de revenir en cas de « zéro zéro » régnant à Narsassuak.
Ils s’attendaient à des relevés et prévisions météo relativement fiables car les avions et les bateaux nombreux sur le parcours transmettaient régulièrement des observations. Cependant, le vent du sud ouest prévu, s’il diminuait le temps de vol, accumulait les nuages bas sur la frange côtière ouest du Groënland et donc sur le fjord de Narsassuak.
Le décollage de Old Town s’effectua avec deux heures de retard car dans le froid de l’aube, le moteur du Valiant refusa obstinément de dépasser les 1.500 t/mn. Bougies, magnétos, compressions et filtres d’essence ne révélèrent aucune anomalie. C’est alors qu’un vieux mécanicien s’approcha et dit à Dikki qu’à son avis c’était l’entrée d’air du carburateur qui givrait. Or il faisait une température de printemps anglais mais sous une sacrée humidité. Le soleil et le réchauffage carbu corrigèrent le problème.
Après 6 heures de vol dont 5 dans les nuages, les 5.000 ft de plafond à Goose Bay leur ouvrirent les bras et, ayant demandé un atterrissage d’urgence, ils furent chaleureusement accueillis par le personnel militaire US de la base. Cela ne dura pas longtemps car les Canadiens voulurent qu’un Catalina de secours en mer les accompagne au Groënland. Dikki et Townsend passèrent alors une semaine à Goose Bay.
En effet, les Américains avaient rétorqué aux Canadiens que c’était à eux de fournir l’hydravion. La situation devint ubuesque. Ils ne pouvaient survoler le Canada pour rentrer aux Etats-Unis car le Valiant était classé en « experimental ». La seule solution, peu réglementaire, était d’aller au Groënland dès que le temps le permettrait.
Ils teléphonèrent à la météo de Narssasuak qui leur annonça un vent de face de 20 Kt portant la durée du trajet à 8 heures et un temps clair à l’arrivée. Après 5 heures de vol dans un temps correct, ils virent la côte du Groënland surmontée d’une barre de nuages crénelés. Ces nuages, accrochés au sol, empêchaient de voir l’embouchure du fjord mais après les avoir survolé en direction de l’intérieur du pays pendant quelques minutes, ils se dissipèrent et le Valiant se posa sur la piste bétonnée de la base.
Ils repartirent le 17 août sous un soleil radieux, traversèrent le Groënland à près de 10.000 ft et attrapèrent le signal du radiocompas de Keflavik. Après 8 heures de vol, ils se posèrent en Islande sous un plafond descendu à 1.000 ft. A l’aube du lendemain 18 aoüt, soit un an jour pour jour après leur départ de Croydon, ils mirent le cap sur l’Ecosse où le temps devint franchement mauvais, avec une couche soudée à 300 pieds. Ils montèrent au-dessus et trouvèrent heureusement un trou qui leur permit de voir l’île d’Arran et de rejoindre à 25 km de là, au bout de 6 heures de vol, l’aérodrome de Glasgow Prestwick.
Le 19 août 1949, Dikki termina son tour du monde en se posant à Croydon après un an et un jour de voyage durant lequel elle pilota tout au long des 40.000 km de la boucle. Elle devint ainsi la première femme pilote à faire le tour de la Terre aux commandes d’un avion.
L’accueil à Croydon, bien qu’a priori chaleureux, nous laisse perplexe. Il en existe une vidéo qui explique l’attitude ultérieure des médias. Cette vidéo est visible à l’adresse suivante.
Tout d’abord, ce bout de film est une mise en scène pour la caméra. Michael Townsend descend de l’avion en costume-cravate et Dikki en tenue de sport, manches retroussées. On voit ensuite le mari de Dikki venir l’embrasser et lui tendre sa fille de deux ans et demi qu’elle n’a pas vue depuis un an. Michel Townsend, l’ami du mari et fidèle navigateur, est à ses cotés.
Or très vite, il apparut que le couple Morrow-Tait n’en était plus un et que Townsend avait remplacé Morrow-Tait dans le coeur de Dikki. Les journalistes se sentirent bernés par la cérémonie d’arrivée d’autant plus qu’ils apprennaient que Dikki était enceinte des oeuvres de Michael et allait vivre avec lui. L’Angleterre était encore un peu victorienne en ce milieu de siècle et les articles fêtant notre intrépide et obstinée Dikki allaient se faire très rares, ne manquant pas une occasion de se moquer de Norman Morrow Tait, « le plus fameux des babby sitters de Grande-Bretagne » ayant changé les couches d’un bébé pendant un an. Dikki donna naissance 8 mois plus tard à un fils Giles Townsend. Peu après, Norman Morrow Tait demanda le divorce.
Pourquoi appelle t-on ici Mrs Morrow-Tait « flying wife » ? C’est ironique parce que en 1947, la pétulante Dikki écrivit à ce même journal qui parlait d’une première licenciée pilote « flying woman » de l’après guerre qu’il ne fallait pas confondre « flying woman » et « flying housewife », et qu’elle était bien la première « flying housewife » de l’après-guerre car, comme pilote, elle avait été la première à emmener avec elle en vol son bébé de deux mois.
Norman obtint le divorce aux torts de Dikki qui s’empressa d’épouser son hardi navigateur… En ces temps-là, les émotions des vols sans visibilité avec peu d’essence rapprochaient les coeurs des équipages mixtes ! ♦♦♦
Le mari, l’aviatrice et l’amant navigateur qui a toutes les cartes en main !