Ou comment mettre le lecteur dans un cockpit d’avion de combat embarqué lors d’un conflit…
Sélectionné par la Marine nationale en 1998, Yannick Piart a été formé en France puis aux Etats-Unis pour devenir pilote de chasse embarqué. Ce sera ainsi le passage successif par les cockpits de T2C Buckeye, T45 Goshawk avant d’arriver sur Super Etendard et être qualifié appontage en 2001. Détaché dans l’armée de l’Air, il fera du Mirage 2000D, missions sur l’Afghanistan comprises en 2010. En biplace, particularité pour un pilote de l’Aéronavale habitué à voler sur monoplace, ce sera de l’appui aérien aux ordres de JTAC au sol guidant les frappes aériennes. Aux commandes d’un avion à 100 millions d’euros, les pilotes peuvent au passage utiliser des jumelles à 19,90 euros pour mieux localiser la cible !
Puis c’est le retour dans l’Aéronavale avec le lâcher Rafale Marine à Istres et l’intégration de la 12F, alias la Douzefff, à Landivisiau ou sur le porte-avions Charles-de-Gaulle. De retour d’Afghanistan, le repos sera de courte durée car les « Printemps arabes » sont alors d’actualité début 2011. A l’initiative de la France, une zone d’exclusion aérienne est créée au-dessus de la Libye mais le gouvernement français accélère le processus en effectuant le premier tir quelques heures après la signature d’une résolution des Nations Unies le 19 mars 2011.
Le capitaine de corvette Yannick « Hans » Piart fait partie du dispositif mis en place avec le Groupe aérien opérationnel sur le porte-avions. Après les classiques séances d’entraînement à l’appontage sur la piste de « Landi » avant tout appontage sur le PA, les Rafale Marine ont ainsi à nouveau rejoint le navire de 42.000 tonnes servi par 2.000 personnes pour une vingtaine d’aéronefs. L’Aéronavale mais aussi l’armée de l’Air, aux côtés de forces notamment anglaises et américaines, vont alors participer aux opérations en Libye menant à la fin de la dictature de Kadhafi, reçu en grandes pompes quelques mois auparavant à Paris.
On le sait aujourd’hui, la France a largement participé à la décision de passer de l’exclusion aérienne au déclenchement de la guerre, sur la foi d’une dépêche de la chaîne télévisée quatarienne Al Jazeera aussitôt reprise dans le monde entier, faisant état de propos bélliqueux du fils du dictateur, menaçant la population libyenne. Depuis, Barack Obama a fait son mea culpa. Dans un rapport, les parlementaires britanniques ont dénoncé depuis l’intervention militaire du Royaume-Uni et de la France en Libye. En France, le débat n’a pas eu lieu. L’auteur évoque juste des écrits sur « les raisons politiques ou économiques moins louables qui menèrent à cette guerre », comme le font régulièrement les rumeurs liées à des financements de campagne présidentielle…
Mais tout ceci, c’est l’après-conflit… Dans cet ouvrage au texte fluide et précis, très agréable à lire, l’auteur entraîne le lecteur sur le « terrain » – comprendre le pont ou les coursives du PA – révélant le quotidien d’un pilote de chasse embarqué. On y découvre les modalités de réalisation d’une mission menée le plus souvent de nuit et à deux appareils, l’un au moins étant équipé d’un pod Damoclès, pour identifier les cibles avant de les désigner au laser pour les bombes embarquées sous ailes, et des capteurs du système Spectra pour prévenir les menaces. Il faudra cependant valider la cible en passant par le processus décisionnel et notamment l’avis de l’Awacs qui surveille à distance le théâtre d’opération, et respecter les règles d’engagement fixées par chaque pays pour éviter les « dommages collatéraux ».
C’est aussi toute l’utilisation du Rafale Marine qui est évoquée avec le catapultage de 22 tonnes d’acier en deux secondes pour passer de 0 à 150 Kt. Ce sont les ravitaillements en vol derrière une « nounou » qui peut prendre la forme d’un KC-10, d’un C-135 ou d’un C-130 Hercules ce dernier imposant de réduire la vitesse de 300 à 200 Kt, rendant moins simple cette phase d’avitaillement en vol. Et c’est aussi le retour sur le navire, après la mission, où souvent la phase d’approche et l’appontage constituent la phase la plus critique du vol.
Il faut en effet venir « écraser » l’avion sur un « terrain de tennis », de nuit, à la suite de 188° de secteur de virage après la vent arrière pour s’aligner sur le pont désaxé du navire. L’avion se trouve alors dans le « groove », suivant les indications du miroir et les commentaires de l’officier d’appontage. Il est rare de faire une « passe museau », sans susciter la moindre remarque de l’OA qui surveille et note chaque appontage.
Trois brins attendent la crosse du Rafale. Le premier – baptisé Athéna, déesse de la guerre – doit être évité car trop proche de l’extrémité du pont. Le troisième – Andromède… – est la dernière chance avant le « bolter », soit un touché-décollé pour recommencer l’approche, après peut-être un avitaillement derrière la « nounou » qui orbite au-dessus du dispositif naval pour des compléments de pleins… Le brin d’arrêt idéal est donc le second – Aphrodite, déesse de l’amour.
Le récit découpé en une vingtaine de chapitres, complétés de deux cartes et d’un cahier de photos couleurs, est agrémenté de multiples « retours en arrière » évoquant d’autres moments de la carrière du pilote ou d’autres facettes du métier, comme l’entraînement au tir en mer sur une plaque métallique tirée par un long câble à l’arrière du porte-avions, les occupations du personnel lors des journées de relâche (« no fly-day ») ou encore les escales à l’étranger.
Dans la lignée de « La guerre vue du ciel » du commandant Marc Scheffler, paru chez le même éditeur, l’ouvrage du CC Yannick Piart, dont le dernier vol sur Rafale a été effectué en 2014, fait ainsi découvrir la vie d’un pilote de chasse embarqué au 21e siècle, « petit rouage » d’un méga-système où un pilote aux commandes d’un Rafale Marine devient le « bras armé » d’un Etat, « la pointe du diamant ». Le lecteur ne sera pas déçu par ce « documentaire ». ♦♦♦
– La pointe du diamant, par Y. Piart. Ed. Nimrod. 280 p. 21,00 €
Photo © Dominique M. Lasco/US Navy