« Non, fiston… tu ne peux pas emprunter l’avion ce soir. Papa et moi, nous l’utilisons » !
Suite de l’histoire par l’image de la publicité pour l’avion de particulier.
Dès 1944, à l’approche de la fin de la guerre, les constructeurs d’avions se remémorèrent l’après-guerre de 1919 avec les stocks d’avions inemployés et les fermetures et reconversions d’ateliers aéronautiques. Ils recherchèrent un nouveau marché et pensèrent à celui d’une machine volante individuelle remplaçant les machines roulantes les plus évoluées avec en ligne de mire les milliers de pilotes de guerre qui voudraient continuer à voler. Ils pensèrent que l’automobile n’avait plus d’avenir sauf pour les trajets de proximité…
Bien sûr, les constructeurs américains, ayant en 1944 un quasi monopole mondial, furent les premiers à se lancer. Piper étudia une série de projets appelés Piper PWA (Post War Aircraft). Lockheed dessina The Little Dipper, Douglas le Cloudster, Republic l’amphibie Seabee et North American le Navion.
Le département du Commerce US estima, en 1945, que les ventes d’avions de particuliers allaient atteindre les 200.000 par an ! En 194,6 elles approchèrent quand même les 38.000 et le soufflé retomba : 15.000 en 1947 et 5.000 en 1948 contre 500 neufs en 2016. Ce rêve fou se retrouve illustré dans les publicités américaines de l’époque mais aussi dans celles de l’Angleterre, de la France et d’autres pays européens.
Toujours des bagages chics, des bagages chocs, des clubs de golf dans ce Stinson 108 Voyager et, bien sûr, le chapeau du pilote ! Le Stinson Voyager 108 fut construit de 1946 à 1950 à près de 5.500 exemplaires. Equipé d’un Franklin 6 cylindres de 165 ch, ce quadriplace croisait à un petit 200 km/h. La publicité représente un 108 avec son fuselage tubulaire recouvert d’aluminium, ce qui faisait beaucoup plus chic.
Et l’avion devait remplacer la voiture surtout s’il s’agissait du Bellanca Cruisemaster de 1945 qui, comme le Bonanza ou le Navion, visait la clientèle de Pontiac ou Cadillac. Le 14.13 Cruisemaster de 1946 était un quadriplace à train rentrant, à fuselage en tubes soudés et à ailes en bois. Equipé d’un Franklin de 150 ch, il croisait à 215 km/h.
Le diacre est à l’heure, grâce à son Bellanca Cruisair… 6 voitures, au moins 3 avions, la paroisse est riche !
Et même l’avion devint amphibie et conjugua voiture et bateau par sa cabine et sa coque. On y croyait alors à cet instrument de loisir pour gens fortunés, combinant le yacht et l’avion. Un Américain disposant en Floride d’une maison, avec un quai privé, devait pouvoir aller faire ses courses ou ses voyages d’affaires avec un Goodyear Duck GA2 ou, mieux, avec un Republic Seabee RC-3 comme sur cette publicité. Le Seabee fut même construit à plus de 1.000 exemplaires de 1946 à 1947 dont 250 continuent à voler avec leur moteur Franklin de 210 ch, et leurs 4 places. Son petit 200 km/h en croisière le fait rester un avion de rêve pour les pilotes connaisseurs surtout européens.
Cela dit, les pilotes militaires retraités ne voulurent plus entendre parler d’avion et les constructeurs cherchèrent à attirer des nouveaux clients en affirmant que tout le monde pouvait piloter. Les publicités d’Aeronca, de Piper et autres Luscombe assurèrent que c’était facile et peu onéreux. Et même avec un avion économique, on peut aller loin comme l’affirme Piper et son Super Cruiser…
Curieusement, l’Europe suivit le mouvement… Tout d’abord la France, en vendant des avions d’origine allemande tel le Nord 1100 Ramier ex-Messerschmitt Me-208 : pas de désir de capture de nouveaux pilotes mais des caractéristiques à faire réver ceux d’avant guerre.
Son appellation officielle de « Ramier » dénote la transformation d’un quadriplace de course, le Me-108 ou Nord 1000, en quadriplace placide, le Nord 1100 à train tricycle bien plus facile à poser.
Et quand en 1946, la SNCAN voulut vendre sa production maison inspirée du Nord 1100, le Norécrin, elle le fit avec une publicité ressemblant à un bricolage des années 1930, bien triste pour « le plus bel avion de France ».
Quel bel avion dont la finesse fit qu’il ne pardonnait pas à un président d’aéro-club, pourtant sensé être le meilleur pilote du club, une aventure IFR dans les nuages. La sortie des stratus par le bas, doublée d’une survitesse et d’un grand coup de manche arrière, faisait se replier les ailes d’un bel oiseau qui, avec son moteur Régnier de 135 ch et ses trois occupants, croisait à 215 km/h.
Même les Tchèques s’y mirent avec le Sokol M1 qui était un triplace sorti en 1946. J’ai eu l’occasion de faire quelques voyages avec l’exemplaire de l’UTA. Un bel avion agréable à piloter, avec un train rentrant manuel et une vitesse de croisière d’environ 200 km/h.
Un jour, il fut interdit de vol car il était en bois collé à la colle à l’urée. Celle-ci cristallisait avec l’âge en rendant les assemblages cassant. Il termina son existence comme bois de chauffage…
Les Anglais recyclèrent leurs avions d’avant guerre légèrement assagis. Le Proctor V est l’évolution du beau et mythique Percival Vega Gull d’avant guerre. Triste évolution car pour donner de la place dans la cabine, on est passé du cheval de course au percheron ! ♦♦♦
Prochain épisode : 1948-1955, les débuts de la publicité pour l’avion d’affaires de particulier…