Le plus emblématique des X-Planes américains.
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, de nouvelles connaissances en matière d’aérodynamique et de résistance des matériaux doivent être acquises pour développer de nouveaux appareils pouvant voler plus vite et plus haut. L’ère de la réaction en est à ses débuts, la propulsion par hélice parvenant à ses limites avec la compressibilité de l’air.
Les Américains vont créer une série d’avions expérimentaux, les X-Planes, dont le premier, le Bell X-1 sera officiellement le premier à passer le mur du son en octobre 1947. Le X-2 va dépasser Mach 3 en 1956. Il faut encore aller plus haut et plus vite. Un programme est alors développé par le Naca (future Nasa à partir de septembre 1958) et l’US Air Force. Ce sera le X-15 destiné à traverser un nouveau mur, celui de la chaleur, en visant des vitesses hypersoniques, soit supérieures à Mach 5.
Plusieurs constructeurs présentent leurs projets et devant Douglas, Bell et Republic, c’est North American Aviation (NAA) qui remporte la mise mais son PDG décide alors de retirer son offre, le bureau d’études étant déjà aux prises avec le bombardier stratégique XB-70 Valkyrie visant Mach 3. De plus, la « rentabilité » d’un appareil expérimental demeure faible sans production de série. Finalement, il reviendra sur sa décision, au grand soulagement des ingénieurs du Naca plébiscitant le projet North American.
L’engin est rustique, avec de courtes ailes et un empennage cruciforme pour améliorer la stabilité. Le matériau principal est l’Inconel X, un alliage chrome-nickel difficile à travailler mais supportant de fortes températures. On est au début des années 1950 et tout va être défini à la table à dessin, calculé et validé à la règle. Une soufflerie permet de courtes simulations jusqu’à Mach 12. Trois X-15 vont voir le jour.
La propulsion sera due, dans un premier temps, à 8 moteurs-fusées XLR-11 avant de passer à un unique moteur-fusée XLR-99 dont la puissance peut être modulée entre 50 et 100%. Le cockpit fait appel à trois manches, un central classique et deux mini-manches latéraux. Aux limites de l’atmosphère, au-delà du FL180, les gouvernes aérodynamiques ne pouvant plus être efficaces, le pilotage se fait par jets de péroxide d’hydrogène.
Pour mettre en vol le X-15, un Boeing B-52 a vu son aile modifiée pour recevoir un pylône porteur. Les premiers vols sont menés en captifs, puis en vol plané (5 minutes tout au plus…), avec le pilote constructeur Scott Crossfield aux commandes. Le premier atterrissage en 1959 frôle la catastrophe avec des oscillations en tangage dues à un mauvais réglages du système d’amortissement, le X-15 étant posé durement dans le bas d’une sinusoïde plus ou moins contrôlée.
Puis ce seront début 1960 les premiers vols avec les moteurs-fusée, avec Scott Crossfield atteignant Mach 2.3 au premier vol motorisé, s’offrant un tonneau complet – autre époque… Les vols sont courts mais denses. Un essai impose la mise en place d’une armada, avec plusieurs avions de chasse, hélicoptères, avions de transport, des pompiers, des médecins… prêts à intervenir tout le long de la trajectoire, avec sous le X-15 plusieurs lacs asséchés pouvant servir de terrains de secours en cas de panne avant d’atteindre Edwards.
L’accélération de l’appareil est fulgurante. Le X-15 grimpe sous forte assiette et les faibles parties vitrées ne permettent pas aux pilotes d’avoir des repères visuels. Il faut piloter aux instruments tandis que dans le pare-brise, tout devient bleu sombre comme les premiers astronautes le constateront également… Les fortes accélérations peuvent provoquer de fausses illusions sensorielles. Heureusement, le X-15 dispose d’un système d’augmentation de la stabilité sur les trois axes et d’un ancêtre de la plate-forme à inertie. Son « ball nose » à la pointe avant, refroidi par hydrogène liquide, mesure avec précision les angles d’incidence et de dérapage.
Pour s’entraîner, les pilotes ont bénéficié d’un simulateur rustique et de séances de centrifugeuse, car l’appareil accélère constamment sous 2 à 4 g continu, en fonction de son allègement. Lors des essais en centrifugeuse, un pilote parviendra à tenir 31,25 g durant 5 secondes… Les pilotes d’essais bénéficient des premières combinaisons et casques signés David Clark.
Avec le XLR-99, il faut 6 secondes pour passer de Mach 5 à Mach 6 ! En accélération, c’est un gain de 150 km/h à chaque seconde… A Mach 6, le revêtement subit des températures 8 fois plus importantes qu’à Mach 3 ! Un ou deux degrés d’imprécision sur la pente de montée et l’altitude visée peut être sous ou sur-estimée de près de 40.000 ft ! Milton Thompson, l’un des pilotes, dira que le « X-15 est le seul avion où j’était content quand le moteur s’arrêtait »…
Une fois sous trajectoire balistique, le pilotage se fait par petites impulsions de gaz, avant de revenir dans l’atmosphère et de reprendre des accélérations. Certains des 12 pilotes du programme X-15 gagneront leurs ailes d’astronautes en ayant atteint les limites de l’espace. Le corridor d’essai débutant au nord-est d’Ewards, le X-15 étant largué dans la direction de sa base, mesure 700 km avec de multiples radars pour le suivi télémétrique. A la descente dans les basses couches, un ou deux F-104 Starfighter rejoignent le X-15 pour inspection et aider le pilote dans son approche.
L’arrivée verticale se fait à 30.000 ft et 3 mn plus tard, le X-15 sera au sol… Il faut éjecter la dérive basse qui revient sur terre sous parachute. L’engin fait 4,5 points de finesse en vol plané. Certes, le Rogers Dry Lake à Edwards est bien long… Si les pilotes parviennent à se poser à 30 m du point de touché prévu, la glissade au sol qui s’en suit peut mesurer plus de 2.000 m. Le touché se fait sur les patins arrière puis le nez s’abat lourdement (jusqu’à 6 g !) en écrasant les amortisseurs du diabolo avant.
Pour ce faire, les pilotes se sont entraînés sur F-104 réacteur tout réduit, en sortant le train en courte finale. Avec les difficultés à évaluer la hauteur de l’arrondi sur les gigantesques lacs séchés – Neil Armstrong endommagera le ventre d’un Starfighter avant une remise de gaz pleine PC, train non entièrement déployé – des marques seront faites au sol et des fumigènes enclenchés pour donner le vent au pilote.
Le X-15 va défricher de nouvelles frontières. En 1961, il atteint Mach 6 avec Bob White. En août 1963, Joe Walker grimpe à 107 km d’altitude. De nombreux vols seront annulés avec retour du B-52 au sol, X-15 toujours sous l’aile car les problèmes techniques sont multiples. Un essai au sol du XLR-99 va entraîner une explosion endommageant la cellule. Un passage sur le dos, après atterrissage, blessera Jack McKay. Le programme connaîtra un seul accident mortel avec la désintégration du X-15 suite à une vrille hypersonique. Mike Adams a été victime d’une panne instrumentale et d’un phénomène de désorientation avec un dérapage qui ne pourra être contrôlé.
La vitesse maximale sera atteinte en 1967 par Pete Knight avec Mach 6,75. Le record tiendra jusqu’en 1981 avec l’arrivée de la Navette spatiale. Des extensions du programme vers Mach 7 et Mach 8 ne verront pas le jour. Le programme est destiné à s’arrêter fin décembre 1968. Les trois X-15 auront enregistré 199 vols dont 4 à plus de Mach 6 et 108 à plus de Mach 5. Les trois prototypes n’auront enregistré que 130 heures de vol dont une dizaine sous moteur-fusée. Le 200e vol prévu pour clôturer le programme ne sera jamais réalisé malgré 10 tentatives !
Avec le n°3 perdu en vrille, seuls deux X-15 subsistent de nos jours, dans les collections du Smithsonian Institude à Washington et au musée de l’US Air Force à Dayton. Le type a été le premier à atteindre Mach 4, Mach 5 puis Mach 6. Les données acquises ont servi à d’autres aéronefs par la suite dont la Navette spatiale. Le X-15 a défriché le pilotage en vitesse hypersonique, effectué les premières rentrées atmosphériques et permis de développer des combinaisons utilisées pour le programme spatial.
Cet étonnant programme de recherche est résumé en 80 pages par Peter Davies, à qui l’on doit déjà dans la même série (X-Planes) le fascicule sur le Bell X-1. Une bonne iconographie, dont des vues d’artistes et un écorché du cockpit, et quelques profils couleurs des différents X-15 complètent le contenu, une synthèse très complète sur le sujet. Pour les lecteurs voulant aller plus loin, on recommandera vivement la lecture de « At the edge of space » (texte en anglais), le témoignage de Milton Thompson, l’un des pilotes du X-15… ♦♦♦
Photos © Nasa et USAF
– North American X-15, par Peter Davies, Osprey, 80 pages. Texte en anglais