Quid de l’avion électrique dans les années à venir ?
Retour à la deuxième partie.
Il y a deux différences, de taille, avec le problème du véhicule terrestre électrique : le poids de la batterie, dont dépend l’autonomie, poids qui devient crucial, et le fait qu’un moteur d’avion est un moteur stationnaire, sans variations de puissance importante au cours du vol. La puissance maximum est demandée au décollage puis le moteur fonctionne de façon constante à 60% de cette puissance. De plus, un avion ne peut s’arrêter n’importe où lorsque la batterie est presque vide.
Il faut en outre assurer la sécurité de la décharge de la batterie. Si un élément ne fonctionne plus, les autres vont être plus sollicités, donc vont chauffer. Le risque d’une surchauffe se transmettant d’un élément à l’autre, en s’amplifiant, existe. Il en résulte souvent l’explosion du pack.
Un avion à moteur thermique s’allège au cours du vol : 100 litres d’essence correspondent en gros au poids d’un passager. Certains avions longs courriers ne peuvent se poser avec des réservoirs presque pleins. Un avion électrique a un poids constant parfaitement corrélé avec son autonomie.
En cas de panne, le moteur électrique à aimants permanents se bloque. L’hélice ne possédant pas de pas variable, on ne peut la passer en drapeau. L’avion voit alors sa trainée augmenter considérablement, rendant l’atterrissage en campagne problématique. Pas de bruit, un démarrage immédiat, un fonctionnement linéaire en fonction du nombre de tours, pas de pièces en frottement, donc presque pas d’usure mécanique, que d’avantages ! Fini les bougies, fini les vidanges, fini l’huile et ses fuites mais que vont faire les mécaniciens ?
La réponse est évidente : changer l’électronique. On en trouve partout dans l’avion électrique : électronique de puissance dans l’onduleur, électronique de gestion du nombre de tours, de la décharge de la batterie (éviter l’explosion du pack) et de toutes les servitudes (changement de packs d’accumulateurs, gestion de la charge, etc.).
L’avion électrique est-il écologique ? La réponse nous renvoie aux grands débats sur les centrales atomiques et sur le traitement des déchets industriels : que faire en effet des batteries usagées ? Le cadmium est hautement polluant tandis que le lithium – dont 30% des réserves mondiales se trouvent en Bolivie et qui n’existe qu’en quantité insuffisante pour une utilisation généralisée de véhicules électriques – est hautement polluant mélangé à l’eau. Il faut rendre parfaitement étanches et résistants aux chocs les packs de batterie, lesquels en cas de crash d’un avion dans un étang risquent de le polluer pour l’éternité.
En conclusion…
La voiture électrique n’est la plupart du temps qu’un énorme effet d’annonce. On met dans une carrosserie ultralégère un moteur de machine à laver, un peu d’électronique et un gros pack de batteries et vas y, roule… Ca accélère comme une fusée et ca s’arrête au bout de 5 km ou cela parcoure 100 km à 50 km/h avec une conduite on ne peut plus feutrée.
L’avion électrique est du même acabit : une Souricette équipée d’un moteur industriel de lave-vaisselle, un pack de batterie obtenu en assemblant en Corée une bonne centaine de packs de batteries de modèles réduits, ou encore un Colomban CriCri avec un moteur donnant 260 km/h pendant 2 minutes. Or actuellement, un avion électrique avec 70 kg de batteries, vole 1h30 à 95 km/h, ou encore 142 km à 95 km/h. Le même avion remotorisé thermique avec 70 kg d’essence, vole 21h00 à 150 km/h, ou encore 3.200 km à 150 km/h !
Rajoutons qu’à 150 km/h, l’avion électrique ne ferait plus qu’environ 90 km… à comparer aux 3.200 km de l’avion thermique. Et si c’était un avion léger classique, type Robin DR-400, l’autonomie descendrait à 9 mn à 180 km/h, soit 27 km, toujours avec 70 kg de batteries. Il faut donc multiplier par plus de 10 la quantité d’énergie emmagasinée par kilogramme de batterie pour que l’avion électrique commence à être un concurrent de l’avion thermique…
Malheureusement, la loi de Moore chère aux informaticiens ne s’applique pas aux batteries. Les prévisions les plus optimistes tablent sur un doublement de l’énergie massique tous les 5 ans. On est encore loin de d’une multiplication par 10. L’abandon récent (mars 2017) des projets eFan électriques par Airbus vérifie cette lenteur du progrès en matière de batterie. Dans ses derniers développements, Airbus s’orientait vers un biplace électrique hybride dont la place arrière était occupée par un groupe électrogène !
On peut enfin citer le problème de la récupération d’énergie pour, si possible, recharger les batteries. En aviation, personne ne l’a fait car, dans la descente, il faut pouvoir transformer le moteur en générateur. Ca influe sur le choix du type de moteur et sur l’électronique à développer.
Il reste toutefois des utilisations excessivement marginales dès maintenant envisageables :
– le petit monoplace d’entraînement à la voltige : chaque vol ne dure pas plus de 20 mn et s’effectue aux alentours du terrain. Plus de bruit, des riverains apaisés, notre voltigeur peut avec ses trois packs de batteries satisfaire sa passion une après-midi entière en disposant d’un avion aux performances de montée remarquable – mais avec au plus une ou deux montées par vol.
– le planeur à moteur auxiliaire d’envol : il faudrait mieux évidemment que ca « pompe des briques » aux alentours car passer du temps à aller rechercher l’ascendance peut s’avérer problématique. Exemples : Pipistrel Taurus version électrique, Silent Electro.
– l’ULM pendulaire électrique pour de courts vols locaux : l’Electra Flyer Trike est conforme à la Part 103 de la réglementation de la FAA. Il peut voler une heure et demi avec son moteur de 18 ch et doit ensuite en recharger les batteries pendant 6 heures. ll est proposé par l’un des six plus importants vendeurs de l’aviation légère. Ce qui résume bien l’état actuel du marché de l’aviation électrique.
Enfin, parlons de l’équation économique liée à un avion biplace électrique. Airbus, dans ses rêves, parlait d’un marché de 40 à 50 unités par an. Notons qu’en 2016, pour la voiture électrique, 350.000 voitures électriques ont été vendues en Chine (population 1.384.800.000 habitants, France 65 millions soit 4,5%) soit ramené à la France, 15.000 à comparer avec les 21.000 ventes effectivement réalisées. C’est l’automobile qui amènera sur le marché des batteries à des coûts acceptables. Actuellement le coût de la batterie représente encore plus de tiers du prix de la voiture.
Et ca ne suffira pas pour l’aéronautique car, nous l’avons vu, l’avion a des exigences en matière de batterie autrement plus complexes que la voiture, à savoir le poids, la sécurité et l’impact écologique en cas de panne et de crash. Même Elon Musk en convient. Il a récemment déclaré qu’il faudrait une évolution « cosmique » de la technologie des batteries pour que le vol électrique devienne une réalité dans les 20 années qui suivent.
Bref, le voyage aérien électrique n’est pas pour demain, ni même l’écolage autour d’un terrain. Bien que, gardant espoir, certains essayent quand même d’avancer avec détermination dans ce domaine. L’exemple vient ces jours-ci des Etats Unis : subventionnée par des fonds locaux du comté de Fresno en Californie, une flotte de quatre avions école Pipistrel Alpha Electro (autonomie 1h30, croisière 150 km/h) sera disponible pour la formation de base des pilotes dès la fin de cette année.
Or il faut obtenir avant toutes choses l’aval de la FAA pour utiliser pour l’écolage un avion LSA électrique. Aucun texte n’existe et c’est l’utilisateur qui met la charrue avant les boeufs et pousse à créer une réglementation. Bien évidemment, cela va prendre du temps et dans un an, nous verrons si une telle expérience peut être tentée en toute sécurité. Une difficulté de plus pour l’aviation électrique ! ♦♦♦
Photos © Pipistrel