La traversée de la mer de Tasmanie en Moth avec Francis Chichester.
Lien vers le précédent épisode.
Voici désormais Francis Chichester au départ pour sa deuxième étape maritime aux commandes de son Moth à flotteurs, motorisé par un 100 ch.
Dès qu’il eut perdu de vue Norfolk pour près de 900 km de vol sur l’eau, il nota que le compas se coinçait lorsque l’avion s’inclinait et que tout l’ensemble vibrait à tel point qu’il avait du mal à tenir son journal de bord. Il coinça donc le compas avec un journal…
Au bout de la deuxième heure, les vibrations firent sauter les vis du compas qui se détacha. Chichester le cala sur son support avec du papier journal. Mais l’aiguille du compas continuait à balayer un secteur de 20° de chaque coté du cap à suivre… L’altimètre, indispensable dans la méthode de la droite de hauteur, se mit lui aussi à vibrer rendant toute lecture impossible !
A la sixième heure de vol, le soleil disparut derrière les nuages, plus de droite de hauteur possible. Chichester se mit à gamberger. Plus d’alti, plus de compas, une mesure de la vitesse aléatoire, il ne lui restait qu’à évaluer à l’instinct son altitude et ses variations de cap. Miraculeusement, à l’heure du dernier point, Chichester trouva un trou dans la couverture nuageuse et arriva à se placer obliquement dessous. En réduisant les gaz, il se maintint dans la tache de soleil et « by jove » calcula sa position.
Vinrent ensuite les nuages d’averses qui, vus d’en haut, ressemblaient à Lord Howe Island. Du calme se dit-il, j’arrive, je me fiche de ma consommation car je n’y peux rien mais il faut que cela finisse. 6h53 de vol la tête à l’air, une nouvelle averse et, miracle, la « Ball Pyramid » émergea de l’eau.
Cet ilot, reste de lave de volcan, n’est accessible qu’en hélicoptère et fait maintenant la joie des touristes fortunés… Chichester, fils de pasteur, remercia Dieu, l’Ecosse, le roi, De Haviland et chercha une baie propice à l’amerrissage en faisant plusieurs fois le tour de cette île paradisiaque qui ressemble à la tahitienne Bora Bora.
Entre temps, le vent s’était levé et trouver un endroit abrité relevait de la mission impossible.
Chichester amerrit du coté sous le vent. L’hydravion fut violemment secoué et ressemblait à un canard sur un étang agité. La communication avec la barque, venue voir cette étrange machine volante arrivant d’une autre planète, fut impossible à cause du vent. Chichester jeta une ancre dont la corde fut instantanément coupée par les coraux.
L’avion partit à la dérive. Les rameurs souquèrent ferme et finirent par le rattraper. En s’approchant, la barque faillit plusieurs fois emporter un morceau d’aile. Tout se stabilisa enfin. Chichester, avec l’aide des rameurs, échoua son avion sur une plage à l’ombre des pins et fut invité à partager pour la nuit la plus belle maison de l’île.
Lord Howe island : hydravion coulé, hydravion ressuscité au paradis des aviateurs. L’île de nos jours : le paradis en mer… avec une courte piste
Fatigué, légèrement ivre et énervé par les émotions, Chichester eut du mal à s’endormir et cauchemarda en pensant être dans une gare au milieu des trains. Se réveillant à moitié, il entendit un bruit énorme, grave et, reconnaissant un bruit de tempête, il se demanda si le toit n’allait pas s’envoler. Aussitôt debout, en descendant l’escalier, il buta sur son hôte qui, comme lui, pensait à l’hydravion.
Le vent subitement cessa et ils partirent dans la nuit, sous les pins, vers l’endroit du mouillage. Rien sur l’eau… bien qu’il semblait y avoir une drôle de forme émergeant à peine de la surface du lagon. C’était « Madame Elijah » qui, renversée, montrait sa queue et ses flotteurs…
Le jour se leva et Chichester essaya de mettre l’épave au sec. Les ailes remplies d’eau en empêchaient la remise à l’endroit. Chichester, la mort dans l’âme, se mit à désentoiler des parties d’ailes et, avec l’aide des spectateurs, put tirer son avion au sec.
Que faire maintenant ? Renoncer et repartir par le bateau bihebdomadaire… ou imaginer autre chose.
Chichester avait-il une tête à renoncer ? Il pensa tout de suite reconstruire son avion, mais sans savoir comment, ni par qui. De toutes façons, il fallait tout démonter, sécher, mettre le moteur en morceaux et traiter toutes les pièces métalliques contre la corrosion. Or pas de voiture, pas de moteur, pas d’outillage sur cette ile de 500 habitants à 600 km de la cote australienne.
La liste de pièces à acheter, qu’il envoya à De Havilland Sydney, faisait plus de 15 pages. Et à part avoir, six mois auparavant, collé une rustine sur une déchirure de la toile, Chichester n’avait aucune expérience de la réparation d’un avion. Il fallait faire vite car plus l’hiver austral approchait, plus en mer il y aurait de tempêtes.
Toute la population de l’île se mit au travail. Les femmes firent le lardage de l’entoilage et une partie des enduits, les hommes la menuiserie, le nettoyage et le remontage du moteur. Bref, en trois mois, l’opération fut miraculeusement bouclée. Vinrent ensuite les essais du moteur, l’avion au sec. Or il fallait lancer l’hélice à la main et, une fois le moteur en marche, couper aussitôt le contact pour ne pas voir l’avion glisser sur l’herbe.
Chichester lança l’hélice, le moteur démarra mais, bien entendu, quand personne ne s’y attendait. Le natif de l’île n’entendit pas l’ordre de couper le contact et le moteur ne s’arrêta que quand l’essence fut épuisée.
Chichester lance l’hélice pour tester le moteur…
A bouts de bras « Madame Elijah » fut portée dans l’eau et les essais en mer commencèrent.
Après un premier et facile déjaugeage, le moteur toussa et s’arrêta. Chichester en trouva la cause : un minuscule bout de chiffon dans le carburateur… Au deuxième vol, il exulta : avec un fil à plomb, sans expérience, il avait parfaitement réglé ailes et commandes de l’avion. Après avoir donné des baptêmes de l’air aux gens qui l’avaient aidé, en les asseyant sur le réservoir supplémentaire et pris en photo l’étrange « Ball Pyramid », il se lança dans la dernière étape : le retour en Australie. ♦♦♦
Demain : dernière étape de cette aventure incroyable.
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