De l’évolution des méthodes de pilotage à la française à travers plusieurs époques…
Vivifiante que la lecture de cet ouvrage signé Fabrice Dubost ! L’approche est intéressante tant sur le fond que sur la forme du contenu. Cela nous change des « traditionnels » manuels de pilotage ! Pour le fond, il s’agit en effet d’évoquer l’évolution des pratiques techniques et des méthode d’apprentissage du pilotage durant un siècle. Quatre grandes périodes significatives ont ainsi été retenues par l’auteur :
– avant la Première Guerre mondiale, quand les premiers ouvrages et des articles parus dans les journaux donnaient les éléments de base du pilotage, pas encore parfaitement analysé. C’est le « temps du pilotage à l’intuition« , avec beaucoup de tâtonnements et d’essais-erreurs.
– l’entre-deux-guerres, avec les premiers manuels de pilotage, rédigés en priorité pour la formation des pilotes militaires. C’est « l’époque du pilotage aux sensations« .
– l’après-guerre qui voit le développement de nouvelles méthodes d’instruction et c’est « la période du pilotage basé sur les repères visuels« .
– l’époque contemporaine bénéficiant de la fiabilité des moteurs et des structures, et aussi
de nouvelles technologies (instrumentation, radionavigation, GPS, etc.). C’est la « période du pilotage aux paramètres« .
Sur la forme, chaque chapitre débute par la même phase de vol passée au crible des différentes périodes historiques en suivant un pilote fictif dont le prénom a été choisi pour rappeler certains personnages célèbres. Ainsi, pour 1911, le pilote sera Ferdinand (Ferber…) sur sa « cage à poules », Maryse (Bastié…) en 1934 avec son biplan à train classique et cockpit torpedo, André (Turcat…) en 1963 aux commandes d’un Jodel à train classique mais cabine fermée, et enfin Virginie (Guyot… leader de la PAF il y a quelques années) en vol sur un biplace école moderne type Katana.
Ainsi, chaque phase de vol bénéficie d’une entrée en matière avec les quatre pilotes agissant selon les préceptes de leur période, rappelés notamment par des extraits de manuels de pilotage de la période concernée. Exemples choisis : « La perte de vitesse est comme un chien méchant qui ne mord que quand on ne le connaît pas » ! Ou encore : « Si vous aimez les émotions de la panne sèche au départ, ne vérifiez pas si les robinets sont ouverts » !
Puis l’auteur analyse les fondamentaux liés à chaque phase de vol, rappelant les bonnes pratiques ayant pu évoluer, en bien ou en mal, au fil des années. Certains points seront ainsi oubliés avec l’arrivée de moteurs plus fiables et d’une instrumentation plus sophistiquée, l’utilisation de check-lists après l’usage, toujours recommandé en secours, de formules mnémotechniques. Certaines pratiques désormais oubliées par le monde de l’avion certifié sont reprises par les usagers de l’ULM comme, par exmeple, réaliser, lors de la visite prévol, un contrôle visuel de l’appareil à distance pour vérifier les symétries et donc mieux distinguer une possible déformation de structures parfois légères.
C’est le rappel aussi de techniques de pilotage ayant disparu des manuels de pilotage « modernes », comme la glissade, le « coup de frein au pied » ou l’atterrissage tout réduit, voire moteur coupé – qui se pratique en ULM mais n’est pas autorisé sur avion. On découvre que pour déterminer la pente optimale de montée, il était d’usage dans l’entre-deux-guerre – comme l’indique le Manuel de pilotage du ministère de l’Air en 1934 – de donner des petits coups d’ailerons pour tâter la réactivité de l’appareil et donc d’éviter de trop câbrer si la commande de roulis répond moins bien…
Chaque chapitre, illustré de quelques photos ou croquis techniques, apporte son lot de rappels pratiques nécessaires au maintien des compétences mais aussi une participation à sa culture aéronautique. Il y est ainsi question de préparation du vol, du départ, de l’envol, de la montée, du vol horizontal avec les virages, de la navigation, de la panne, de la descente, de la prise de terrain et de l’atterrissage avant une conclusion sur l’apprentissage et les manuels.
On voit ainsi au fil des pages l’évolution de la « méthode de pilotage à la française », avec notamment dans les années 1960 la mise au point de l’Evangile de Saint-Yan, établi par les instructeurs du Centre national de formation aéronautique, un apprentissage basé sur l’utilisation du SV-4 Stampe avec un pilotage essentiellement bâti sur la maniabilité (PTU et PTS !) mais avec des « recettes ». Il y est alors question de « cadence » en virage (aujourd’hui le taux de virage) et le pilotage en virage se résume parfois à « tirer le manche et mettre du pied intérieur » pour augmenter la cadence ou « tirer le manche et pied extérieur » pour diminuer la pente…
Dans les années 1980, avec l’Evangile selon Saint-Geoirs (autre Centre national de formation aéronautique passé successivement des couleurs du SFA à l’ENAC via le SFACT et le SEFA…), on passera du pilotage à la gestion du vol, avec l’arrivée de la radionavigation, la fin du triangle des vitesses pour l’usage du facteur de base en préparation de navigation, le prédominance de la PTL et le virage deviendra une « inclinaison de la portance ». Jacques Aboulin a apporté son soutien (par une préface) et son expertise (en relisant le manuscrit) à cet ouvrage. Ayant été instructeur d’instructeur pendant 28 années passées dans l’Aviation civile, il connait cette évolution jusqu’à nos jours…
Deux erreurs à mentionner :
– la légende de la double illustration en page 127 (Savoir glisser) n’est pas conforme avec les schémas. Sur la vue à gauche, l’appareil est en glissade sur l’aile gauche (manche à gauche, pied à droite) et donc la bille devrait être à… gauche. Sur la vue à droite, le virage est dérapé (manche à droite mais avec trop de pied à droite et donc mauvaise conjugaison), l’avion dérape à gauche et donc la bille devrait être également à… gauche. Avec un peu de réflexion, le lecteur corrigera…
– dans le lexique (page 144), la définition d’un atterrissage de piste n’est pas « un atterrissage consistant à faire courir le plus possible l’avion près du sol » mais plutôt un atterrissage effectué en ligne de vol, sur le train principal, dans le cas d’un aéronef à train classique…
Malgré ces broutilles, l’ouvrage mérite vraiment le détour et certainement pas uniquement pour les pilotes volant, encore ou parfois, sur avions « anciens », en cockpit torpédo, à train classique, sans freins si ce n’est la béquille, avec un indicateur de vitesse Etévé à la place d’un tube Pitot ou un ruban dans les haubans à la place de la bille. Bien au contraire, il s’adresse surtout aux pilotes actuels pour acquérir des connaissances complémentaires en pilotage, découvrir l’origine de certaines pratiques, développer sa culture aéronautique. Certaines pratiques du passé peuvent en effet encore servir de nos jours, pour mieux connaître et ressentir son appareil, gérer une panne.
L’auteur, pilote avion et planeur, est professeur d’université, un atout permettant de lire un texte clair, ciselé, tandis que sa qualification d’instructeur ULM apporte un regard pédagogique et pragmatique du pilotage en prenant en compte la sécurité des vols. La bibliographie offre des pistes de réflexion avec différents manuels ou ouvrages liés aux périodes traitées. Lecture recommandée ! ♦♦♦
Photo © F. Besse / aeroVFR.com
– Piloter à l’ancienne, par F. Dubost. Cépaduès Editions. 154 p. 24,00 € www.cepadues.com