Dysfonctionnements en cascades dans un dossier de renouvellement d’une flotte…
Dans son rapport 2017, la Cour des Comptes épingle de nombreuses institutions pour leur gestion hasardeuse. La Douane n’échappe pas au tir… notamment en ce qui concerne la gestion de sa flotte aérienne déployée à Lann-Bihoué, à Hyères, au Havre, à Dugny (Le Bourget), à Bordeaux et aux Antilles à Fort-de-France.
Les Douanes compte ainsi « neuf hélicoptères, entrés en service à date relativement récente (2000), ainsi que deux avions monomoteurs utilisés pour la surveillance terrestre dont le remplacement n’est pas prévu. Elle utilise 15 avions bimoteurs Cessna F-406 plus anciens (1985), en charge de la surveillance maritime, qu’il s’agit de remplacer ». Le personnel navigant est constitué de 27 pilotes hélico et 45 pilotes avion.
Le rapport indique que « la Douane n’a pas eu de politique de remplacement programmé de son parc au fur et à mesure de son obsolescence et de l’évolution technologique. Ainsi a-t-elle dû décider, après trente ans d’utilisation, de remplacer en bloc les Cessna utilisés pour la surveillance maritime par des avions plus modernes (Beechcraft King Air 350) ».
Elle a fait preuve d’une « autarcie délibérée » pour le renouvellement de la flotte aérienne, faisant preuve d’une « méthode inadaptée » entraînant des « retards accumulés ». Ainsi, « la Douane a engagé, en 2004, une réflexion visant à remplacer sa flotte de quinze bimoteurs F406 Cessna par des avions plus modernes, plus performants mais en nombre moindre (il était prévu d’en acquérir 8 à l’origine). Malgré son importance au regard de l’exercice des missions propres de la Douane comme de celles relevant de l’action de l’État en mer, et le montant des crédits requis (plus de 130 M€), ce programme n’a fait l’objet d’aucune décision formalisée, que ce soit au niveau ministériel ou interministériel, ni sur son principe, ni sur ses modalités de mise en oeuvre ».
Le « choix des nouveaux appareils s’est porté sur des bimoteurs de marque Beechcraft de type King Air 350, capables de remplir les deux fonctions actuellement assurées par les Cessna (surveillance maritime et surveillance de la pollution maritime). Ces nouveaux appareils doivent embarquer une série d’équipements : radars, boule optronique équipée de caméras haute définition et infrarouges, scanner, moyens de communication par satellite et différents systèmes d’aide à la décision ».
Bien qu’elle ait consulté « la Direction générale de l’Armement (DGA) au début de ce processus, en 2004, la Douane n’a pas tenu compte de ses avertissements concernant la complexité de son projet. En effet, l’intégration des équipements techniques nécessaires était susceptible d’occasionner des risques de dysfonctionnements, à la fois de ces équipements mais aussi de l’avion lui-même, en raison des interactions possibles entre les équipements et le système de commande de vol ».
Elle a choisi cependant « en 2009, de conserver la maîtrise d’ensemble de l’opération en confiant à la DGA le soin d’acquérir les appareils non équipés (seul l’emplacement pour installer le radar de surveillance maritime était prévu dans un radome sous le fuselage de l’appareil) et en se réservant le soin d’acquérir elle-même et de faire intégrer sous sa responsabilité exclusive les divers équipements dont ces appareils devaient être dotés ».
Le rapport poursuit : « Le marché d’acquisition des avions a été notifié en 2010. En raison des contraintes de disponibilité des crédits budgétaires, son exécution s’est étalée sur cinq ans et demi. Le premier appareil a été réceptionné en janvier 2011 et le septième et dernier appareil, le 10 mars 2015 (il n’y aura pas de huitième appareil car le marché a expiré le 15 juin 2015 sans que la Douane, faute de moyens budgétaires, soit en mesure d’en passer commande) ».
Puis, « les principales difficultés, encore non résolues à ce jour, sont nées des opérations d’intégration des équipements que la Douane avait entendu mener seule. Elles ont pour origine le choix de ne pas recourir à un intégrateur unique, qui aurait eu la responsabilité de la bonne fin de ces opérations et de contracter avec trois partenaires différents que l’administration n’avait pas la capacité technique de coordonner ».
De surcroît, « l’étalement dans le temps des livraisons des avions, s’il avait été prévu dès le départ, a eu pour conséquence de compliquer l’intégration des équipements, car les évolutions technologiques affectant les appareils pendant cette période ont entraîné des ajustements dans le montage des équipements. Ce facteur a donc encore accru les délais. Pour autant, sans attendre les résultats de l’intégration des équipements sur un premier appareil, la Douane a acquis la totalité des divers équipements destinés à être montés sur les Beechcraft ».
On notera que la Douane ne fait pas mieux que la Protection civile qui avait décidé, lors du passage du Canadar CL215 à pistons au CL415 à turbines de « court-circuiter » la DGA. La Cour des Comptes souligne qu’en « novembre 2016, alors que tous les appareils ont été acquis, aucun n’était opérationnel pour les missions auxquelles ils étaient destinés faute d’être équipés. Les perspectives restaient à cette date incertaines : deux appareils devaient, selon la Douane, pouvoir être équipés des systèmes de surveillance maritime fin 2016, et deux autres en 2017 ».
« L’intégration des équipements de lutte contre la pollution se heurte toujours à des difficultés importantes, et aucune solution viable n’a été trouvée permettant à un appareil ainsi équipé d’obtenir son certificat de navigabilité. Il est même envisagé de ne pas utiliser les équipements de lutte contre la pollution pourtant achetés pour plus de 10 M€. Selon les prévisions de la Douane, les derniers appareils qui pourraient être équipés avec les deux systèmes ne seraient pas opérationnels avant 2019, soit huit ans après la livraison du premier ».
De plus, « dans l’intervalle, la Douane doit gérer et entretenir deux flottes : celle des anciens appareils Cessna qui restent opérationnels mais dont le nombre diminue et celle des nouveaux Beechcraft qui peuvent voler, mais sans utilité opérationnelle puisqu’ils ne sont pas équipés des systèmes de surveillance leur permettant d’accomplir leurs missions ».
La Cour des Comptes précise encore que « ces retards ont également des incidences sur la gestion des pilotes. Des formations ont été dispensées en vain : sur 17 pilotes formés sur Beechcraft, 3 sont déjà partis à la retraite à ce jour, sans avoir pu rendre de services. Au total, sur 133 M€ engagés depuis 2010, 117 M€ avaient déjà été réglés en 2016, sans qu’aucun appareil ne soit encore opérationnel, alors que le premier avait été livré en janvier 2011 ».
« S’ajoutent à cette somme les coûts de maintenance des appareils livrés et les dépenses pour les formations devenues inutiles. La direction de la Douane a donc pris un parti dommageable, aux conséquences coûteuses, en présumant que ses services auraient la capacité de conduire l’intégration des équipements alors qu’ils n’avaient pas les compétences ni l’expérience nécessaires. Elle n’a eu à rendre compte de ce choix ni devant le ministre dont elle relève ni à l’échelon interministériel, alors même que ces défaillances compromettent la réalisation de missions interministérielles, notamment en matière de lutte contre les pollutions maritimes ».
Implacable le rapport… Avec de telles pratiques, une société de transport « normale » aurait déjà fait faillite sans bénéficier des impôts des contribuables. Moralité : c’est plus simple de contrôler les aéronefs des autres que de bien gérer les siens ! ♦♦♦
Photo © Douanes françaises, tirée du rapport de la Cour des Comptes
Lien vers le rapport 2017 complet.