Deuxième épisode du feuilleton historique de Jean-Philippe Chivot. Première tentative pour Jean Batten : de Londres aux… faubourgs de Karachi.
Lien vers l’épisode précédent.
le 9 avril 1933, par un temps de curé, Jean Batten décolle à 6h30 de Lympne, près de Douvres, en direction de l’Italie.
Poussée par un bon vent arrière, elle saute l’étape de Marseille et met le cap sur Rome, survolant pour la première fois la mer loin des côtes. Après 10 heures de vol, elle se pose sur l’aérodrome de Roma Littorio – maintenant Roma Urbe – au nord de la ville.
C’était un dimanche, pas d’essence et elle doit aller à Naples. Ce vol est déjà en soi un exploit mais à cette époque et à cette saison, l’Italie se voyait traversée chaque semaine par un de ces fous volants qui tentait d’atteindre, seul en avion, le nirvana de l’Extrême Orient. Aussi, Jean passa-t-elle presqu’inaperçue. Le lendemain elle va de Naples à Athènes, bien évidemment sans radio.
D’Athènes, à 3h00 du matin à la lumière des phares de voiture, elle décolle pour Alep, seule dans son cockpit sans autre éclairage que la lampe de poche qui lui sert à lire la carte. Au petit jour, elle atteint la côte turque et se pose après 9 heures de vol à Alep, alors sous contrôle français. Elle quitte Alep après le déjeuner et rencontre peu après une série de vents de sable qui secouent l’avion et lui font perdre son cap.
Elle décide alors d’atterrir dans le désert, ce qu’elle réussit sans casse. La tempête l’a rattrapée et pendant une heure, elle s’accroche à l’aile du Moth pour l’empêcher d’être renversé par le vent. Le calme revenu, elle lance l’hélice, monte dans l’avion et décolle pour Bagdad dans un temps mêlant soleil et brume. La nuit commence à tomber et sous la lune elle repére des traces de caravane qu’elle se met à suivre.
Au bout d’un moment, épuisée, elle se pose de nuit, encore sans dommage, près des traces des chameaux. Elle couvre le moteur d’un drap pour éviter les entrées de sable, se regarde dans son miroir, se trouve laide, s’enroule dans une couverture et s’endort… Sous le grand soleil, elle se réveille et constate qu’elle n’est plus seule.
Huit arabes barbus la contemplent. Ils se mettent à tourner autour de l’avion cherchant à l’évidence le pilote qui ne peut être qu’un homme. Ne pouvant se faire comprendre, elle leur offre des cigarettes et mime les gestes de pilote. Elle essaye ensuite de démarrer le moteur mais les Arabes veulent l’aider. Elle doit crier pour les en dissuader car en robe, ils risquent de se faire écharper par l’hélice. Enfin, elle réussit à lancer le moteur, à courir et à sauter dans l’avion. Elle décolle et une demi-heure plus tard, elle se retrouve à Bagdad devant un copieux breakfast.
Le temps s’est remis au beau. Elle fait étape à Jask, à l’entrée du détroit d’Ormuz, où elle enfile sa combinaison de vol d’été, toute blanche, combinaison qui la rend si belle aux yeux des journalistes et pilotes de l’époque.
Presqu’arrivée à Karachi, elle rencontre une tempête de sable, perd la vue du sol, descend en rase-mottes et se pose dans un minuscule champ cultivé. Malheureusement en bout du champ, il y avait une rigole… Le Moth s’y enfonce et s’arrête la queue en l’air et l’hélice cassée. Les villageois en turban s’approchent et sont stupéfaits de voir une femme blanche s’extraire de cette drôle de machine.
Le chef du village arrive, lave les pieds de Jean et la conduit à cheval au palais du seigneur local. Elle peut ensuite rejoindre l’aérodrome de Karachi et, pas abattue pour deux sous, commande immédiatement une hélice neuve chez l’agent local De Havilland. Deux jours plus tard, à dos de chameau, elle ramène l’hélice et la monte sur le Moth.
Le lendemain au petit matin, elle réussit un décollage acrobatique du minuscule champ et met le cap sur Karachi. Elle espère toujours battre le record d’Amy Johnson quand, tout à coup, un grand bang dans le moteur lui glace les sangs. L’hélice s’arrête dans un bruit de métal arraché. A seulement deux minutes de vol de Karachi, une bielle venait de casser, perçant le carter moteur.
Jean pense un court instant que son beau voyage est fini et, par instinct, se pose droit devant elle, sur un chemin étroit serpentant dans les dunes. Le Moth bute dans les pierres de bornage, se retourne et Jean s’en sort indemne en rampant avec, dans ses mains, les papiers de l’avion. Une voiture qui passait l’emmène à l’aérodrome.
Les restes du Moth de Victor Dorée près de Karachi, après son atterrissage catastrophique.
La cause de l’accident est la rupture de bielle que craignait si fort Jean Batten. De nos jours, nous savons que lorsque l’on brise une hélice, le moteur s’arrête brutalement et que les bielles peuvent se tordre. C’est ce qui lui était arrivé lors de son dernier atterrissage dans les dunes et une des bielles fragilisée n’avait pas longtemps résisté.
Les journaux s’emparent de l’histoire d’autant plus que vient de se tuer un Italien qu’elle avait croisé et qui tentait un raid similaire. Ce fut la chance de Jean Batten. Averti, un riche industriel, Lord Wakefield – président de la Castrol Company qui était son fournisseur d’essence – veut l’aider et lui offre un retour en bateau vers l’Angleterre. ♦♦♦
Demain : Deuxième tentative, de Londres aux faubourgs de Rome…
Lien direct vers le troisième épisode.