Fin de ce feuilleton sur l’un des raids de Francis Chichester…
Lien vers l’épisode précédent.
Dix-huitième étape : Camooweal-Longreach (900 km). Dix-neuvième étape : Longreach-Bourke (910 km) et vingtième étape : Bourke Sydney Mascot (455 km).
Camooweal vu du sol de nos jours
Le lendemain, au départ de Camooweal, Chichester rencontra la pluie. Cela n’avait rien à voir avec celle de la mousson. Le seul inconvénient était que, mouillé et sans sa combinaison, il commençait à avoir froid.
Longreach Airfield en 1930 avec ses trois pistes, disposition inédite à cette époque.
A Longreach, avant de se poser, il remarqua, dessinées sur l’aérodrome, trois pistes formant un triangle, chose totalement inconnue à cette époque. Il en devina l’utilisation et se posa sur celle orientée au vent. En effet hors pistes le terrain était un marécage. A chacune de ces dernières étapes, les autorités lui réservèrent accueil enthousiaste et discours, ce qu’il trouvait très ennuyeux.
Bourke aujourd’hui vu à 1.500 m d’altitude
A l’arrivée à Sydney, la flotte de Moth de l’aéro-club de Mascot lui donna rendez-vous à 4.000 pieds au-dessus du fameux pont métallique de la ville et les dix avions du club l’accompagnèrent pour un passage bas sur les hangars de Mascot avant que le maire ne vienne le féliciter et lui remette un message de congratulations du secrétaire d’Etat à l’Air britannique .
Sydney-Mascot en 1930
Les De Havilland Moth au stationnement à Sydney en 1930
L’arrivée à Sydney marque la fin heureuse de la première aventure aérienne de Sir Francis Chichester. Il y en eut d’autres ! Vingt ans après la première traversée de la Manche (30 km), un simple touriste aérien a ainsi parcouru dans son petit avion 20.000 km en 40 jours, soit 550 km par jour ou encore 4h30 de vol. 80 ans après, à bord d’un avion léger, on ne peut faire mieux. A la vue de l’itinéraire parcouru, on comprend le caractère exceptionnel de l’exploit de Sir Francis Chichester.
Francis Chichester avait une inaltérable confiance en lui. A l’inverse de certains des pilotes les plus célèbres de l’époque, il ne souffrait pas d’aquaphobie, affection qui fait perdre tous ses moyens au pilote traversant seul aux commandes de longues étendues maritimes. Il dormait peu et réfléchissait beaucoup. Cela lui permettait de décoller à l’aube dans les pays chauds et d’entretenir lui-même sa machine.
Son voyage de Londres à Sydney comporta quatre temps forts : la traversée de la manche, l’arrivée à Tripoli, la rencontre du mauvais temps sous les tropiques et la traversée de l’Australie. La traversée de l’Australie, presque banale dans les récits de Chichester, était, en l’absence de moyens de navigation, aussi dangereuse que la traversée sans horizon artificiel des cascades d’eau du front intertropical. De 1930 à 1940 beaucoup de pilotes y laissèrent leur vie tels ceux de l’aventure dite « Coffee Shop » du célèbre aviateur australien Sir Charles Kingsford-Smith.
L’avion de Sir Francis, le De Havilland DH-60 Moth, explique en grande partie comment Chichester s’est sorti des mauvaises passes. Il eut la chance d’avoir une machine d’une fiabilité rarement égalée jusqu’à nos jours, et de piloter un avion qui surtout n’allait pas vite, tout en étant très manœuvrant et qui, en 1930, avait déjà été construit à plus de 1.000 exemplaires dispersés entre l’Angleterre et son Empire.
Aussi dans le mauvais temps, Chichester pouvait réduire sa vitesse à 100 km/h, virer pratiquement sur place tout en conservant un avion parfaitement stable et loin du décrochage (vitesse de décrochage du Moth avec moteur, environ 60 km/h). Dans la pluie et la mauvaise visibilité, il pouvait sortir la tête du cockpit. Il était comme sur une moto…
Il eut encore la chance d’avoir un biplan équipé d’un moteur en ligne Gipsy monté droit, c’est-à-dire avec les cylindres sur le haut. Ce montage gênait un peu la visibilité directe vers l’avant mais permettait un accès immédiat aux culasses sans carénages à démonter, aux soupapes et à leur siège, principaux points d’usure. De plus, à l’arrêt, l’huile descendait par gravité dans le carter et les bougies restaient propres. Les démarrages étaient donc faciles à faire seul à la main en balançant l’hélice. Enfin, il y avait un agent De Havilland disposant de pièces détachées de Moth dans toutes les grandes villes de l’Empire britannique alors au faîte de son rayonnement.
La personnalité de Chichester explique le reste. Son exceptionnelle ténacité lui fait réparer son moteur et son avion alors qu’il n’a aucune expérience des machines volantes. Ses dons hors du commun pour la navigation – il avait certainement, comme les pigeons, de la magnétite dans le sang – lui firent prendre les bonnes décisions lorsque, de nombreuses fois, il constata qu’il s’était égaré. La célèbre aviatrice Amy Johnson disait de lui en 1936 : « C’est le plus grand navigateur de tous les temps » et la méthode de navigation Chichester dite de « l’erreur délibérée » fut reprise par nombre d’aviateurs et la RAF.
De 1930 à 1937, beaucoup de pilotes suivirent l’exemple de Chichester volant vers l’Australie. En 1933 à la belle saison, le terrain de Rutbah Wells (Irak) voyait chaque semaine passer un de ces fous volants au long cours. Beaucoup périrent tandis que les lignes aériennes régulières, emportant enfin des passagers, rendaient leurs exploits inutiles tant pour le développement technique de l’aviation que pour le temps gagné sur tout autre moyen de transport. L’imminence de la guerre mit un point final à ces aventures aériennes de solitaire. ♦♦♦
Les sources de ce récit viennent en grande partie du livre « Solo to Sydney » écrit par Francis Chichester en avril 1930, dès son retour en Nouvelle Zélande.
J’ai piloté l’avion de Chichester !
Le DH-60 Moth est l’avion à l’origine de l’aviation privée, car le premier à être une copie en réduction d’avions militaires. Doté d’un moteur 4-cylindres en ligne léger, puissant et fiable dont les cylindres et pistons étaient au début de la production ceux des surplus de guerre du moteur français Hispano monté sur le Spad, un 8-cylindres en V.
Il est incroyablement facile à piloter grâce notamment à ses becs de sécurité rétractables sur l’aile supérieure. Rien à voir donc avec les autres biplans de l’époque : Stampe, Bücker ou Waco, plus sportifs. J’ai piloté à Headcorn, aérodrome proche de Canterbury, siège du Moth Club, un des plus beaux exemplaires restant. Il est équipé d’une béquille à la place de l’habituelle roue arrière, béquille qui est son seul moyen de freinage à l’atterrissage mais qui oblige au sol à pousser sur le manche et à donner des coups de gaz pour le faire tourner dans le vent.
La visibilité est médiocre vers l’avant mais dans la cabine, on ne sent que très peu le souffle de l’hélice. 2.100 tr/mn, décollage à 50 mph, montée à 70 mph. L’avion est doux aux commandes et fait exactement ce qu’on lui dit de faire. Approche 1.200 tr/mn à 65 mph. Atterrissage tout réduit à 55 mph, un léger arrondi et l’avion touche le sol en douceur et s’arrête en 200 m sur un sol herbu. J’ai eu l’impression de pouvoir aller au bout du monde avec ce Moth qui est un prolongement naturel du corps du pilote, prolongement lui permettant de voler…
Jean-Philippe Chivot