Suite du feuilleton de Jean-Philippe Chivot sur le périple de Francis Chichester en 1930, entre Londres et Sidney. Où l’on retrouve notre pilote au départ de Tripoli…
Lien vers le précédent épisode.
Au programme des troisième et quatrième étapes, Tripoli-Benghazi (985 km) et Benghazi-Abu Sueir, en Egypte (1.374 km). Le séjour à Tripoli fut des plus agréables. Les militaires italiens réparèrent le Moth en un temps record et ne voulurent rien savoir d’un quelconque dédommagement.
Pourtant Chichester était inquiet. Il n’avait jamais piloté dans la chaleur et craignait la faible portance de l’air. Au moment du départ, on lui demanda sa destination. « Sydney,répondit-il, à 20.000 km d’ici ». L’officier italien hocha la tête et chantonna en anglais « It’s a long way to go ».
Déjà à cette époque le survol de la Libye était peu sûr !
Le 9 janvier 1930, Chichester décolla au lever du jour de Tripoli vers l’Egypte en suivant au plus près le trait de côte. Pas une âme qui vive en bordure de mer à part les douzaines de maisons de pisé de Syrte et de Misrata. Plus la température s’élevait et plus la visibilité devenait médiocre. Chichester commençait à se demander si quelqu’un le retrouverait en cas d’atterrissage forcé.
Il atteignit la ville de Benghazi vers 15h00 où il passa la soirée en compagnie d’aviateurs lui racontant leurs pannes et mésaventures dans la région car les Italiens ne sortaient pas de la ville de nuit de peur des Arabes. Toujours à l’aube, Chichester décolla le lendemain pour la base anglaise d’Abou Sueir dans le delta du Nil où un de ses cousins était pilote instructeur. Il sauta l’étape – pourtant obligatoire d’entrée en Egypte – de Mersa Matruh pour arriver avant la nuit sur le Nil. Au bout de 9 heures de vol, il atterrit à Abou Sueir
La base de Abu Sueir dans le désert près du Nil en 1935
La base de Abou Sueir était interdite aux… avions civils et le militaire qui vint s’enquérir de l’identité de Chichester crut à une énorme plaisanterie. Il n’avait jamais vu de sa vie un avion si petit, une sorte de bébé avion. Le cousin de Chichester et ses camarades l’emmenèrent au mess où, à sa grande surprise, leur seul sujet de conversation fut la chasse aux canards au bord du Nil.
Mais il fallait déjà penser à la cinquième étape : Abu Sueir-Rutba Wells, en Irak (950 km). Après une nuit passée dans la chambre du cousin, Chichester décolla pour Héliopolis quelques 100 km en arrière pour y accomplir les formalités obligatoires. Une fois en l’air et hors de vue de la base, il décida de faire… demi-tour et pointa le nez de l’avion vers l’aérodrome de Gaza, importante étape de la KLM et des Imperial Airways où il était certain de trouver de l’essence.
Pendant les longs vols dans un air calme, Chichester écoutait le bruit du moteur et il avait souvent l’impression que le bruit changeait. A Gaza, une fois au sol, il voulut en chercher la cause et constata que ce n’était pas qu’une impression. Le cylindre n°2 avait perdu presque toute compression, l’empêchant de poursuivre sa randonnée jusqu’à Karachi.
Or rectifier un siège de soupape sans outils est impossible et on lui conseilla d’aller jusqu’à Rutbah Wells, la prochaine étape des Imperial Airways où il trouverait l’aide nécessaire. Une fois en l’air, Chichester sentit de plus en plus vibrer son moteur mais son souci majeur restait la navigation dont les seuls repères étaient les pistes et traces de caravanes dans le désert.
En effet les cartes de la région ne portaient aucune figuration du relief et se révélaient souvent fausses. Sur la carte, Chichester avait numéroté de A à O ses points de repère dans le désert. Au point C, il se perdit, fit marche arrière pour retrouver la piste, se perdit encore et grâce sans doute à son sang-froid finit par trouver le point O, Rutbah Wells, vers 4h00 de l’après-midi.
Le fort de Rutbah, dans le désert à 350 km à l’ouest de Bagdad, grande étape des avions des Imperial Airways
Une fois posé, il fallait traiter la soupape. Chichester fit appel au mécanicien des Imperial Airways qui se montra peu coopératif. Celui-ci n’avait jamais vu de moteur si petit et travailler la nuit n’était pas dans ses habitudes. Chichester commença lui-même le travail et l’autre finit par l’aider et à même achever de remonter le cylindre. Au petit matin, vers 4h30 Chichester lança l’hélice du Moth. Rien ne passa car il avait gelé cette nuit-là. Après plusieurs essais, le Moth consentit enfin à démarrer.
Au programme de sa journée, la sixième étape entre Rutb Wells et Bushire en Iran soit 1.300 km. Complètement épuisé par l’effort physique du démarrage à la main et par sa courte nuit de sommeil, Chichester décolla de Rutbah vers 7h00 avec une pression d’huile proche du minimum. Il faillit se reposer mais continua vers Bushire, escale des avions de la KLM allant à Bagdad.
Bushire en Iran sur le golfe en 1930, le champ d’aviation est derrière le village sur la droite
Après quelques minutes, la pression d’huile curieusement remonta et Chichester put savourer un paysage matinal magnifique. Il y avait un peu plus de monde au sol. Il croisa deux voitures pleines de soldats. Après avoir atterri à Bagdad pour faire le plein et consulter la météo, il décolla une demi-heure plus tard et atteignit la mer puis Bushire à la nuit tombée. Pas d’éclairage, Chichester se mit donc avec rage à chercher l’aérodrome car il n’avait plus d’essence pour aller ailleurs.
Il distingua enfin un grand hangar et se posa dans l’obscurité en évitant de justesse une voiture d’où étaient sorties en courant trois jeunes filles. Lorsqu’il coupa l’allumage devant le mécanicien d’Imperial Airways, son gros réveil se mit à sonner. Le mécanicien lui demanda le pourquoi de ce réveil et Chichester lui répondit : « Quand il sonne, il me reste dix minutes pour me poser ». ♦♦♦ (A suivre…)
Demain : Chichester poursuit son périple, atteint l’Inde puis la Birmanie… Lien vers le quatrième épisode.