Deuxième partie du feuilleton proposé par Jean-Philippe Chivot, où l’on retrouve notre intrépide pilote britannique lors de ses deux premières étapes en Gipsy Moth. Accrochez votre ceinture…
Première partie du feuilleton à lire ici…
Le lendemain, 19 décembre 1929, Chichester décolla de Brooklands pour Croydon (en ouverture, photo de ce terrain vers 1930) à 30 km de là et se… perdit dans la brume. Il lui fallu plus d’une heure pour atteindre son but et commencer à faire les pleins et à charger tout son barda. Penaud, il accomplit toutes les formalités de départ et se dirigea avec son rouleau de cartes et un thermos vers l’hôtel situé près de la tour.
Pour sa première étape – Croydon-Pise soit 1.400 km – Chichester avait décidé de partir vers 5h00 du matin. Il dormit 2 heures et appela la météo qui lui confirma que le temps sur l’Europe était un beau temps d’hiver bien clair, bien froid mais que plus loin, les terrains du Moyen-Orient étaient tous inondés.
A 3h00 du matin, de retour au terrain, il avisa un couple de jeunes fêtards près d’une voiture, leur demanda de l’aider à sortir le Moth du hangar et d’aller éclairer avec leurs phares le bout du champ d’aviation car le projecteur de la tour n’était pas encore allumé. Vers 4h00, dans le noir, il démarra l’avion à la main, s’installa, lança un énorme « cheerio » et commença à rouler sur un sol dur et gelé. Le Moth devait dépasser la tonne aussi Chichester utilisa toute la piste avant de se retrouver en l’air dans la clarté d’une lune voilée…
Bien sûr, Chichester ne pouvait lire facilement les indications du compas phosphorescent. Il visa donc une lumière au loin et se dirigea droit dessus pour essayer d’évaluer sa dérive grâce aux lignes peintes sur les ailes. Mais de nuit, ces lignes étaient difficilement utilisables. Il estima quand même sa dérive à quelque 25° et s’en remit à sa mémoire des cartes pour reconnaître par leurs lumières les grandes villes survolées.
Il aperçut la ligne de côte vers Folkestone et piqua, non sans appréhension, résolument vers la pleine mer. La lune, qui l’avait accompagné jusque-là, disparut derrière un nuage et il se retrouva sans ligne d’horizon. L’avion commença à monter et à descendre jusqu’à ce qu’il remarque juste en dessous de lui une tache plus claire qui semblait être la mer. Il regarda alors l’altimètre et constata que le cadran phosphorescent s’était mis à tourner rapidement sur lui-même à cause des vibrations.
Pas ému pour autant, Chichester cala l’altimètre sur zéro, bloqua le cadran et monta de 500 pieds. Il savait alors qu’il était au moins à 500 pieds au-dessus de l’eau ! Après 20 minutes de vol, sans voir une quelconque terre ferme, Chichester commença à angoisser : le vent avait-il changé de direction, s’était-il renforcé ? Il pensa monter vers 3.000 pieds mais il aurait perdu la vue de la tache de mer.
Il pensa corriger son cap soit en l’augmentant si, d’aventure, l’avion se dirigeait parallèlement à la côte vers la Hollande, soit en le diminuant s’il se dirigeait vers Le Havre. Faire des zigzags de nuit sur la Manche ne lui sembla pas une bonne idée et il continua au même cap. Après trois quarts d’heure d’angoisse et de vol sur l’eau, Chichester aperçut de faibles lumières de bateaux de pêche. Il calcula qu’il devait être à une altitude d’environ 1.000 pieds. Or son altimètre indiquait 5.500 pieds ! Chaque minute passée lui semblait un siècle….
Enfin, une heure après avoir quitté la côte anglaise, le continent apparut soudain sous la forme de hautes falaises de craie blanche. Il volait presque à la hauteur de leur sommet ! Chichester se mit à en longer la longue ligne et nota le cap suivi au compas. Cinq minutes après, il vérifia ce cap : le cap compas n’avait pas varié. Il dégaina alors sa lampe torche et étudia la carte…
La conclusion fut que la seule partie de falaise bien droite et longue d’au moins 20 km se trouvait entre Criel et Dieppe, là où se situe aujourd’hui la centrale de Penly. Alléluia, enfin repéré, il vira donc à 90° vers la terre, se donna 10° de dérive pour compenser le vent du nord avant de se diriger dans la nuit finissante vers Paris.
Le jour se leva enfin et pas de Paris en vue pour Chichester ! Le vent l’avait poussé vers la Loire… Les champs étaient couverts de neige et les canaux et étangs étaient gelés. Chichester attrapa son thermos et but un thé froid. Après Roanne, il mit le cap sur Lyon tout en chantant pour évacuer sa fatigue nerveuse. Chichester l’attribuait aux vibrations et, à sa grande surprise, elle ne l’empêcha pas de faire, après 7h30 de vol, un superbe atterrissage à Lyon malgré un pneu crevé par le sol gelé du décollage de Croydon.
Il avala une énorme omelette arrosée de vin rouge et se sentit en forme pour la traversée des Alpes vers Gènes, son but d’étape de l’après-midi. A 13h00, il décolla de Lyon et, comme les Alpes étaient dégagées, il se dirigea vers Modane et le col du Mont Cenis. Il grimpa jusqu’à 3.000 m pour avoir en cas de panne le temps de choisir un endroit d’atterrissage.
Il survola Turin et rejoignit la côte après Gênes ou commencèrent turbulences, nuages et nuit tombante. Il atteignit Pise et trouva de nuit un terrain non éclairé. Il le survola et donna des coups de gaz pour demander l’allumage des balises. En vain, cependant le T d’atterrissage blanchâtre luisait faiblement dans la nuit et il se posa durement dans le sens indiqué.
Au sol, il s’enlisa dans la boue et les militaires italiens qui vinrent amicalement le chercher lui reprochèrent de ne pas avoir tourné au-dessus du terrain pendant la demi-heure réglementaire qui habituellement leur permet d’allumer tous les éclairages. A 10h00 au lit, il ne put dormir que 3 heures car il avait prévu un départ à… 2h00 du matin.
La deuxième étape comptait 1.700 km entre Pise, Catane et Tripoli… Le trajet se déroula sans anicroche jusqu’à Naples où Chichester commença à la fois à lutter contre le sommeil et quelques nuages orageux. Dans la nuit encore bien sombre, il enleva son serre-tête et pencha, pour bien se réveiller, la tête en dehors du cockpit dans l’air froid brassé par l’hélice.
Ce fut efficace et il atteignit Catane au petit matin. Posé à 9h00, il n’en repartit qu’à 13h00 après ce qu’il appela un « rallye italien », c’est-à-dire une course à pied à travers un aérodrome vide pour trouver essence, douane, responsables, etc. Il se dirigea vers Malte puis vers Homs. Il rencontra alors un lot d’orages qu’il dut traverser. La grêle frappait l’avion et il réduisit fortement le nombre de tours car il craignait que les grêlons n’endommagent le bord d’attaque non protégé de l’hélice en bois.
Enfin, à la nuit, il atteint la côte libyenne sans la moindre lumière pour se repérer. En la suivant, il se dirigea vers l’est, vers un feu intermittent. Ce n’était pas un aérodrome mais une voiture sur une piste. Il aperçut ensuite une étendue noire, délimitée par des lumières violentes. L’aérodrome de Tripoli jubila-t-il, mais ce n’était qu’un petit port côtier… Enfin il vit Tripoli et le phare aéronautique de l’aérodrome.
Il distinguait bien la base du phare et à 200 m de celle-ci deux grands hangars, mais pas de piste balisée, seules quelques étendues sombres qui semblaient être du sable mouillé. Le sable mouillé est dur pensa-t-il, je peux donc me poser et il choisit une trajectoire parallèle aux hangars à mi-distance hangars-phare. Fatigué par ses quelque 14 heures de pilotage la tête à l’air, il ne prit pas de risques et fit une approche de précaution, bien plate, avec un zeste de moteur.
Durant l’arrondi, il entendit un bruit bizarre de jet d’eau venant des roues. Presque arrété, l’avion piqua du nez et stoppa gentiment la queue en l’air. Chichester dégrafa sa ceinture, posa un pied sur l’aile et sauta au sol. Un grand plouf… il était au milieu d’une lagune peu profonde d’eau salée. Désespéré, pensant avoir cassé sa monture il attendit que l’on vint.
Noël 1929. Le Moth dans la lagune d’eau salée à Tripoli…
Une cinquantaine de soldats rigolards arrivèrent et l’emmenèrent à leur officier. Celui-ci avait entendu l’avion et décidé d’attendre le pilote car tous les officiers italiens avaient coutume d’aller en bus dîner chaque soir en ville et d’y passer la soirée. Chichester traversa un mess vide, prit au passage une tranche de jambon et fonça se coucher.
On le réveilla tôt le lendemain matin pour aller constater les dégâts qui s’avérèrent beaucoup moins importants que ce qu’il craignait : une hélice cassée, un des mats de liaison entre les ailes fendu et des trous dans la toile. Immédiatement Chichester commanda par télégramme les pièces à De Haviland et s’apprêta à passer Noël en Libye… ♦♦♦ (A suivre…)
Demain : notre « Tintin des airs » poursuit son chemin de Libye vers l’Egypte puis l’Irak. Lien vers le 3e épisode.