En huit chapitres, Jean-Philippe Chivot vous propose un « feuilleton » au quotidien sur un « fou volant au long cours », l’Anglais Francis Chichester et son périple, en 1930, de Grande-Bretagne à l’Australie. C’est aux commandes d’un Moth que le pilote rejoignit Sydney (Mascot) au départ de Londres (Croydon). Aventure garantie !
En 1930 les progrès de l’aviation avaient permis aux grandes puissances coloniales d’établir des lignes régulières aériennes de transport de courrier puis de passagers. Ces lignes utilisaient une nouvelle infrastructure de terrains d’aviation, terrains d’étape et de secours que des pilotes privés aventureux s’empressèrent d’utiliser…
L’un d’entre eux, presque le plus téméraire, fut l’Anglais Francis Chichester plus connu trente ans après pour son tour du monde à la voile en solitaire et ses traversées de l’Atlantique. Pour ses exploits, il fut anobli et devint Sir Francis Chichester.
En 1930 Sir Francis alla de Londres à Sydney (21.000 km) puis en 1931 d’Auckland à Sydney (2.800 km) et en 1932 de Sydney à Katsuura (60 km d’Yokohama, 11.500 km) seul dans son biplan de 100 ch « Madame Eljah », bien sûr sans radio, sans éclairage et sans autres instruments qu’une boussole. Chichester ne cherchait pas la gloire mais désirait simplement aller dans sa propre machine de Londres à Sydney puis de Nouvelle Zélande à Londres en passant par le Japon, les iles aléoutiennes, le Canada, le Groenland et l’Islande. Voici son histoire…
Fils d’un pasteur, Francis Chichester eut la dure enfance d’un pensionnaire myope dans un college réservé aux enfants du clergé anglican. A 18 ans, il partit en Nouvelle-Zélande où il fut successivement garçon de ferme, chercheur d’or, vendeur en porte à porte d’annuaires. Il s’associa alors avec un ami dans le commerce du bois et, en six ans, ils gagnèrent suffisamment d’argent pour devenir sur place les représentants du constructeur anglais Avro.
En 1929, Chichester qui n’avait pas vu sa famille depuis dix ans, décida de revenir en Angleterre et d’en profiter pour apprendre à piloter, ce qui économiserait les frais du pilote à chaque présentation d’avions Avro. Il se donna neuf mois pour y arriver. En aout 1929, il acheta un biplan, un De Havilland Gipsy Moth de 100 ch.
Un De Havilland Gipsy Moth… (photo J.-P. Chivot)
En septembre, il commença à parcourir l’Angleterre par tous les temps et même de nuit. Fin octobre, il fit seul un voyage d’entrainement qui le conduisit de France en Italie puis en Yougoslavie et en Roumanie. Il revint en Angleterre par l’Allemagne où il se posa dans un champ presque de nuit à cause du mauvais temps, survola Bruges, Dixmude et le 20 novembre revint se poser à Brooklands près de Londres. Pas mal pour un jeune pilote laché seul le 13 aout 1929 !
Mais Chichester ne voulait pas en rester là. Des la mi-novembre, il décida de retourner en Australie, seul dans son biplan, aussi vite que possible, et de battre au passage le record sur le parcours établi en 1928 par un autre Australien, Bert Hinkler sur un Avro Avian guère beaucoup plus gros que le Moth.
En ces temps-là, la fortune souriait aux audacieux et L’empire britannique était au faîte de sa puissance. Dans son projet, Chichester pouvait compter sur la multitude de terrains d’aviation de l’armée britannique et sur les terrains utilisés par les services vers l’Australie de la poste aérienne des Imperial Airways et vers les indes néerlandaises de la KLM. Ces services étaient hebdomadaires et il y avait de l’essence et un correspondant local sur chaque champ d’aviation.
L’itinéraire de l’avion postal Fokker XII sur la ligne Amsterdam-Batavia (maintenant Djakarta) en 1930.
Chichester devait d’abord trouver l’argent du raid, puis avoir toutes les autorisations de survol, assurer son avion et sa personne, définir précisément l’itinéraire et les escales, y faire souvent positionner de l’essence et, enfin, adapter son avion à des vols de plus de 7h00 sans escale.
Il fit donc installer, sur le siège avant, un énorme réservoir supplémentaire doté d’une pompe à main qu’il ne pouvait actionner qu’en se levant du siège arrière. Cette pompe lui permettait de remplir en vol le réservoir normal, situé en hauteur entre les deux ailes supérieures. Il avait aussi fait percer des trous dans le dossier du siège avant pour attraper son thermos de thé, ses oranges ou ses biscuits.
Mais son avion était un avion torpédo et Chichester devait piloter fouetté par l’air, air qui pouvait s’avérer très froid. Il enfilait donc avant tout vol une combinaison Sidcot – inventée par l’Australien Sydney Cotton, ami de Winston Churchill et de Georges Eastman – qui était en fait une combinaison de mécanicien en grosse toile imbibée ensuite de graisse et doublée de laine mohair, le tout d’un poids respectable…
Il lui fallait aussi des cartes… Afin de les lire correctement dans le vent de l’hélice, il les colla toutes ensemble, bout à bout, et en découpa ensuite un bande de 25 cm de large et de 10 m de long, bande qu’il enroula dans un gros tube. A partir du 20 novembre, il se levait tous les jours à 3h00 du matin pour apprendre – par coeur – la carte de chaque étape projetée et ce, avant le jour !
Le 18 décembre 1929, Chichester demanda à De Haviland d’apporter au Moth une dernière modification. Il fit peindre sur l’extrados des ailes inférieures d’énormes lignes de dérive. En vol, vu du pilote assis dans le cockpit, si un objet au sol semblait ne pas s’écarter de la première ligne cela voulait dire que l’avion dérivait de 10° par rapport au cap suivi, cap lu sur l’imposante boussole horizontale située alors entre les jambes de Chichester, boussole qui équipa la majorité des avions anglais jusqu’à l’après-guerre. ♦♦♦ (A suivre…)
Un hangar de Croydon en 1929 : un nid de DH-60 Gipsy Moth
Demain : 2e partie mise en ligne, où notre pilote se perd… dès le décollage, pour cause de brume. Avec quelques difficultés lors d’un vol de nuit sans lune, il parviendra à rejoindre Lyon puis Pise. Autres temps ! Lien vers la seconde partie du récit…