Il y a 70 ans, le programme des X-1 avait pour objectif de franchir le « mur du son ».
Si vous lisez l’anglais, ce petit fascicule mérite le détour si les avions expérimentaux vous intéressent. Il s’agit du premier d’une nouvelle série (X planes) de l’éditeur britannique Osprey, concernant les avions expérimentaux ou les prototypes militaires innovants. Pour le premier tome, la série des Bell X-1 a été retenue en bénéficiant du 70e anniversaire, en octobre prochain, du « premier passage officiel du mur du son » par un avion piloté.
Nous sommes à la fin de la Deuxième Guerre mondiale et si les Américains ont récupéré une partie de la technologie allemande en matière d’avions à réaction, il reste encore beaucoup à apprendre et notamment défricher les hautes altitudes et les vitesses supersoniques. Il faut vaincre le « mur du son », une expression due au scientifique britannique W. Hilton qui a noté, lors d’essais en soufflerie, l’accroissement important de la traînée aérodynamique (comme un « mur ») en zone trans-sonique.
Faute de soufflerie pouvant simuler le phénomène, il faut « aller voir » et la Naca (future Nasa) associée à la nouvelle US Air Force définit un programme de recherche. Le constructeur Bell, aux prises avec une chute des commandes liée à la fin du conflit, répond au cahier des charges avec un monoplace expérimental dont le fuselage a été réalisé sur le profil d’une balle de 12,7 mm connue pour pouvoir passer la vitesse du son. Même si les bénéfices aérodynamiques de l’aile en flèche sont déjà connus, les inconvénients en structure font préférer une aile droite, de 10% puis de 8% d’épaisseur relative. La structure du XS-1 – dénommé par la suite X-1 – résiste à 18 g.
La propulsion provient d’un moteur fusée avec quatre chambres indépendantes. Pour faciliter les essais, le X-1 est emporté en altitude dans la soute ouverte d’un ex-bombardier quadrimoteur, Boeing B-29 ou B-50, avant d’être largué pour son court vol. Les premiers essais se font en plané avant d’enclencher par la suite la propulsion, avec Jack Woolams, pilote d’essais de Bell. Ce dernier ayant trouvé la mort aux commandes d’un racer, les essais se poursuivent avec Chalmers Goodlin mais celui-ci s’avère surtout motivé par les primes. Les essais coûtent cher et l’USAF reprend la gestion du programme car elle veut aller plus vite que le rythme prudent imposé par la Naca.
Un pilote militaire est recherché. Bob Hoover est pressenti mais le patron des essais, le colonel Boyd n’a pas apprécié que ce dernier fasse un passage bas en P-80 au-dessus d’un aéroport en… vol dos ! Sans jamais voler à bord d’un X-1, il sera néanmoins le « back-up » de Charles Yeager. Ce dernier ne fera pas mieux dans le genre, avec des tonneaux barriqués effectués dès le premier vol effectué en X-1 ! Il est vrai que non chargé en carburant, l’appareil est agréable à piloter en vol plané. Ce sera moins le cas à pleine charge et à haute vitesse, avec efforts importants et régimes vibratoires.
Les essais sont menés progressivement en augmentant la vitesse jusqu’à ce 14 octobre 1947 où le « Glamorous Glennis », peint en rouge-orange pour mieux le localiser dans le ciel, franchit le « mur du son ». C’est le premier passage « officiel » de Mach 1, officiel car des bangs soniques auraient été entendus par différents témoins dans la région de Muroc AFB (futur base d’Edwards aujourd’hui baptisée Neil Armstrong) et ce dans les semaines précédant la date historique, avec la possibilité que M. Welsh, pilote d’essais de North American, ait déjà franchi la « barrière » avec le prototype du F-86 Sabre…
On sait déjà que Chuck Yeager s’est cassé deux côtes la veille au soir en faisant du cheval. Que son ingénieur d’essais lui a fabriqué un bras de levier avec un bout de manche à balai pour verrouiller la trappe latérale une fois à bord. On sait moins que la photo d’ouverture, montrant le X-1 dépassant le « chase-plane » après son vol historique d’octobre 1947, a été prise par Bob Hoover depuis son P-80. Le résultat obtenu du X-1 sera tenu secret pendant plusieurs mois car on est déjà en pleine Guerre froide et il faut surtout ne pas dévoiler l’un des secrets du X-1, son empennage monobloc à commande électrique, permettant de s’affranchir des ondes de choc d’un plan fixe devant une gouverne.
Mais la saga des X-1 ne s’arrête pas là. D’autres essais vont se poursuivre pour un programme étalé sur une dizaine d’années, avec plusieurs pilotes d’essais, de Pete Everest à Joe Walker en passant par Neil Armstrong ou Arthur Murray. Les derniers paramètres obtenus seront 90.000 ft et Mach 2.5, avec des vols critiques, quand on découvre le couplage inertiel qui fait pivoter l’appareil autour de ses différents axes, hors de contrôle du pilote, avec une descente en vrille incontrôlée jusqu’à des altitudes où l’air est plus dense et les gouvernes à nouveau efficaces.
Sept X-1 (A, B, D, E…) verront le jour, améliorés au fil du temps avec une aile encore plus fine, une meilleure visibilité pour le pilote, un siège éjectable sur le dernier modèle, des mini-jets de CO2 pour piloter l’appareil autour de ses trois axes en atmosphère peu dense. Tous connaîtront de multiples ruptures de la jambe de train avant à l’atterrissage. Sans perte humaine, quatre des sept X-1 seront détruits, certains largués de justesse dans le désert par le quadrimoteur après le début d’explosions multiples lors de la pressurisation des circuits carburant avant le vol d’essai – la qualité de certains joints sera mise en cause.
En 80 pages bien denses en informations techniques et historiques, avec une soixantaine de photos complétées de cinq profils en couleurs des différents modèles et d’un écorché du fuselage du X-1, l’auteur propose une remarquable synthèse de ce programme expérimental, bibliographie comprise. Cette campagne d’essais aura de multiples retombées sur différents programmes aéronautiques par la suite, du X-15 au F-104 Starfighter mais aussi pour les F-100 Super Sabre et F-101 Voodoo. ♦♦♦
– Bell X-1, par Peter E. Davies, Osprey Publishing, série X Planes. 80 p. 19,00 €. Texte en anglais