Table ronde sur le plateau aérien d’un meeting lors de la dernière convention de France Spectacle Aérien (FSA).
Près d’une dizaine de pilotes de présentation ont constitué une « table ronde » lors de la récente convention de France Spectacle Aérien (FSA) avec pour thème le « vrai coût des présentations en vol » lors d’un meeting.
A la première question posée par Frédéric Beniada, animateur, à savoir « qui gagne de l’argent sur un meeting ? » lors d’une présentation en vol, aucune main ne s’est levée parmi celles de Gabriel Evêque et Jacques Lumbroso (France DC3), Jacques Habert (France’s Flying Warbirds), Marianne Shaw (Captens), Thierry Basset (Tango Bleu), Aude Lemordant (Extra 300), Patrice Marchasson (pilote de warbirds de l’écurie Jacquart) et Frédéric Akary (P-51 Mustang).
Seul Jacques Bothelin, leader de la Breitling Jet Team a levé… un doigt ! Pour expliquer que s’il fallait réellement facturer la prestation des 7 L39 Albatros à un organisateur de meeting, il n’y aurait plus de démonstration de la patrouille… L’objectif est de limiter « la casse » en s’approchant des coûts variables généralement non recouvrés. Heureusement, le sponsor – Breitling – assure le financement avec un forfait annuel, couvrant l’exploitation des appareils et les salaires de 16 personnes, mécaniciens compris.
A tour de rôle, les autres intervenants ont joué « cartes du table », sans « vouloir faire pleurer » mais pour détailler les coûts réels. Pour Aude Lemordant, championne du monde de voltige, « personne ne vit de la voltige » sauf les pilotes des Red Bull Air Races et ceux de l’EVAA de l’armée de l’Air, même si cette dernière cherche également des sponsors…
Avec un Extra 300SC qui coûte 330.000 € HT, si l’on dresse seulement les coûts d’exploitation, on atteint 1.100 € de l’heure pour 50 heures de vol par an, 900 € si l’on grimpe à 75 heures annuelles. La prestation lors d’un meeting ne couvre pas souvent le coût du convoyage aller-retour. La chasse au sponsor est devenu un sport national et le sponsoring a ses limites, aidant aux entraînements mais ne couvrant pas les présentations en meeting. On y va parfois pour le seul plaisir de rencontrer des copains.
Rentrant dans les détails financiers de l’exploitation de son P-51D Mustang, Frédéric Akary a listé tous les postes pour seulement 35 heures de vol annuelles avec plus de 44.000 € de frais fixes. Si l’on rajoute les frais horaires du moteur, les frais de cellule, le carburant (350 litres à l’heure en restant économe), les pièces détachées, on obtient 2.900 €/h sans la moindre provision ni le moindre coût de main d’oeuvre (vive le bénévolat !). Si l’on intègre des provisions, mais sans parler de prix d’achat ou d’amortissement, le coût grimpe à 4.100 €/h.
Quand il faut prendre en compte au moins 20 mn de démarrage, chauffage, roulage pour tout vol, quand il faut par exemple 3 heures aller-retour pour rejoindre un meeting, la participation de l’organisateur en litres de 100LL n’assure pas la pérénité des opérations. Ne lui dites donc pas « C’est trop cher » mais plutôt « Cela ne correspond pas à notre budget » car les prix communiqués constituent les butées basses… Le moindre coût imprévu (un radiateur qui casse, des pneus à changer) accroît la facture…
Volant sur SeaFury (1,2 à 2 millions d’euros) ou Spifire (2 à 4 M€), Patrick Marchasson évoque l’écurie de M. Jacquart où la politique, pour assurer le capital, est de prendre une assurance casse soit 4% de la valeur… Ainsi, pour 20 à 30 heures de vol par an par machine, la part d’assurance par heure de vol peut atteindre 1.350 à 2.000 €. D’où un coût forfaitaire de l’heure de vol qui atteint 5.000 €. En Spitfire, avec 280 l/h en croisière et 600 l/h en démonstration, un convoyage sur 200 nm avec 2 heures de vol au total, et un entraînement sur place, peut difficilement descendre sous la barre des 10.000 €. Vous voulez le coût de deux pneus pour SeaFury ? 2.400 €…
Des chiffres non démentis par Stephen Grey, présent dans la salle. Pour sa flotte de 15 avions, le patron de The Fighter Collection, à Duxford, table sur un coût horaire d’environ 5.000 livres Sterling par avion. Si l’on prend en compte 2 pilotes par machine pour pouvoir couvrir tous les aléas durant la saison, à raison de 3 vols d’entrainement par machine (45 à 60 mn), le budget atteint déjà 300.000 livres Sterling avant le premier meeting !
A moindre hauteur, suite aux Lycoming 160 ou 180 ch, la patrouille de Robinson R-22 Tango Bleu (Thierry Basset) et celle des Cap-10B des Captens (Marianne Shaw) sont assujetties aux mêmes problématiques car le coût de la présentation de quelques minutes sur le lieu du meeting ne couvre pas les convoyages et les vols d’entraînement en début de saison pour être opérationnels. Pour Jacques Habert, tout cela montre une grande passion en jeu car on peut au mieux limiter les dégâts financiers quand on est propriétaire d’un appareil de collection.
Chez France DC-3, les deux Pratt de 1.200 ch du DC-3 (330 l/h à 50% de la puissance, régime utilisé) font partie de l’équation, avec 56 bougies et 8 l/h d’huile. La machine impose 1.000 heures de main d’oeuvre par an, heureusement assurées par des bénévoles. Les frais fixes atteignent 90.000 € seulement ! Le hangar est offert par ADP et 6.000 € de subvention proviennent de la compagnie à la crevette. Les frais variables sont de 38.800 € sans oublier 16.000 € de coûts complémentaires soit 144.800 € de charge annuelles. A raison de 75 heures de vol par an (60 en moyenne ces trois dernières années), le coût de l’heure de vol atteint ainsi 2.400 à 2.500 €.
Tous pratiquent donc du « yield management », avec une « adaptation » des devis au type de manifestation, à l’éloignement, à la possibilité de regrouper plusieurs manifestations un même week-end en sachant que l’activité est loin d’être pérenne.
De ces chiffres, il ressort qu’il y a souvent un décalage entre l’offre et la demande, entre les coûts d’exploitation subis par les propriétaires et les tarifs pratiqués par les organisateurs de meetings voulant limiter le coût d’entrée de leur manifestation pour rester attractifs. Avec des tarifs d’entrée plus élevés dans d’autres pays, Stephen Grey juge que le ticket d’entrée pourrait être relevé en France pour ne pas dévaloriser le coût des présentations en vol, avec un spectacle qui dure plusieurs heures, au-delà d’une grande épreuve sportive ou du concert d’une vedette de la chanson.
Frédéric Akary ne parvient à facturer réellement la présence de son Mustang que dans certains pays n’ayant pas (ou peu) de collectionneurs de warbirds. Pour Jacques Bothelin, il y a parfois pléthore de présentations au programme d’un meeting français alors qu’aux Etats-Unis, un plateau « standard » ne comprend qu’une grande patrouille, une poignée de warbirds, quelques présentations d’avions plus « modestes », un ou deux avions d’armes et c’est tout…
Mais l’expérience du meeting de Lens, intégralement gratuit, est là pour contre-balancer cette approche, avec une communication renforcée, des relations fortes avec les pouvoirs politiques locaux, un public du nord très enthousiaste et en faisant appel au bénévolat, même s’il faudra trouver 130.000 € supplémentaires en 2017 pour répondre aux nouvelle exigences de sûreté… ♦♦♦
Photos © F. Besse / aeroVFR.com
flyingairy dit
Excellent sujet ! Du temps où je donnais des coups de mains mécaniques à quelques « opérateurs » d’avions anciens excerçants en meeting, je leur communiquais un petit tableau de calcul prenant les frais pour faire voler leurs avion en determinant un coût par NM volé, ou par minute de presentation en vol en meeting (le post carburant pèse pas mal dans la difference)…cela permettait de communiquer un « coût » de convoyage+présentation en vol documenté auprès des organisateurs qui pouvaient alors accepter ou refuser la proposition en toute connaissance des facteurs financiers des passionnés qui mettent « à disposition » leurs très « chers » avions anciens ! Mais comme toujours dans le monde de l’aérien, « on ne gagne pas d’argent avec des avions »… ou comme il se dit aussi « vous savez comment devenir millionaire ? il faut être milliardaire et acheter des avions ! ». Quant aux tarifs d’entrée des meeting, il faut aussi regarder la situation géographique des aerodromes. En effet en plaine, en terrain degagé, nombreux sont les spectateurs à s’installer en dehors des surfaces d’accueil prévues et se dispersant dans la nature, rendant alors quelque fois la sécurité meme du meeting difficile à gérer (spectateurs sous le volume de presentation, voire en zone de « crash »), etc… Ce qui fait le succès de certains meetings, c’est donc surtout (de nos jours) leur relatif éloignement et leur condition d’accès, comme par exemple La Ferté Alais, sur un plateau, cerné d’une zone forestière dense, seul moyen de pouvoir contrôler un accès à un meeting payant pour le public qui ne peut accéder aux presentations en vol et à la vue des avions au sol qu’après « la montée » au plateau. A l’inverse, un meeting sur un aérodrome du type Rouen, Chartres, Dreux, Orléans-St-Denis, etc. et grand nombre de terrains ne peut avoir une entrée payante ou seulement à très faible coût, au-delà de quelques euros, les spectateurs vont pique-niquer dans les champs, en recherchant « la meilleure vue », et compromettant souvent la sécurité du volume de presentation (sauf à avoir un gros renfort des forces de l’ordre pour contrôler tous les accès routiers), et que ceux-ci soient equipés de véhicules tout-terrain, car de nos jours les spectateurs viennent quelques fois en quad ou moto tout-terrain ! La géomètrie financière d’un meeting aérien est donc un compromis entre géographie et niveau des finances exigibles auprès des partenaires comme des spectateurs.