Le 7 décembre 1936, Jean Mermoz et son équipage disparaissaient en mer…
Jean Mermoz est toujours – et de loin… – le plus célèbre des aviateurs français. Si la gloire se mesure au nombre de rues à son nom, il y a en France presque autant de rues Jean Mermoz (1.059) que de rues Victor Hugo, Voltaire ou Zola. Viennent ensuite, mais loin derrière, Saint-Ex et Guynemer. Sa disparition en mer à 35 ans, le 7 décembre 1936, fut une catastrophe nationale comme fut pour les Russes la mort tragique de Youri Gagarine au même âge, le 27 mars 1968.
Sa gloire d’aviateur intrépide, ayant presque toujours volé à vue, au cap et à la montre, sa déception largement diffusée de voir s’étioler l’aviation française face à celle des Américains et des Allemands, sa recherche politisée et, par là, médiatisée de l’homme providentiel pour stopper cet étiolement, et enfin sa beauté de vedette de cinéma, sont les raisons d’une extraordinaire couverture presse dans les semaines de l’événement, égale à la couverture du déclenchement de la guerre d’Espagne.
Alors qu’en disaient les grands quotidiens et les journaux aéronautiques de l’époque ? Le 7 décembre, l’hydravion Croix-du-Sud disparaissait en mer. À son bord, cinq hommes dont Jean Mermoz. Trois jours après, l’hebdomadaire Les Ailes évoquait ce drame…
Mardi dernier, à midi, la plus vive inquiétude régnait quant au sort de Jean Mermoz et de ses quatre compagnons de vol. L’hydravion Croix-du-Sud était parti, en service régulier, de Dakar, lundi matin à 6h53, à destination de Natal. Il avait à son bord, outre Mermoz, le pilote Pichodou, le navigateur Ezan, le navigateur Cruveilher et le mécanicien Lavidalie. Tout se passa bien jusqu’à 10h30… À 10h43, le radio du bord annonça que le moteur arrière droit avait dû être arrêté – sans en indiquer la raison. Dès ce moment, les réceptions cessèrent. (…) A l’heure où nous bouclons ce numéro, nous partageons l’inquiétude, l’angoisse qui étreint toute l’aviation française.
De maigres espoirs de retrouver des survivants étaient encore permis. Si maigres qu’Antoine de Saint-Exupéry écrivit un plaidoyer émouvant pour la poursuite des recherches, publié dans l’Intransigeant du 11 décembre : « Il faut encore chercher Mermoz ».
Les hommes se découragent vite. Mermoz a disparu depuis quatre jours et déjà on ne parle plus de lui qu’au passé. Le lendemain même de sa disparition, on l’évoquait déjà comme un mort. On accepte ainsi l’irréparable, et, dans ce climat singulier, les recherches risquent de se détendre. Il faut conserver beaucoup de confiance pour qu’elles soient fertiles. Ce n’est pas l’amitié qui me fait protester. Les amis, hélas ! sont mortels aussi.
Mais, tout d’abord, quelles indications possède-t-on, sinon cette absence de message radio entre un incident mécanique et l’amerrissage ? L’incident a pu s’aggraver (incendie ou rupture d’arbre d’hélice) au point de provoquer une chute. Mais rien ne prouve que le message eCoupons le moteur arrière droite » n’a pas coïncidé avec l’instant même où, ce membre malade déjà retranché, il ne pouvait plus provoquer de drame. La descente, dans ce cas, fut normale et l’accident fut un accident d’amerrissage. Une coque crevée laisse quelques secondes de marge.
S’il en est ainsi, Mermoz et ses compagnons flottent à bord du canot de secours. Rien ne prouve que cette hypothèse soit probable, on n’a point trouvé le canot. Mais rien ne prouve non plus qu’il y ait eu chute. Celle-ci, en général, au point d’impact avec la mer crée une flaque d’huile qui brille au soleil comme un miroir et se distingue mieux qu’un canot : on n’a trouvé aucune tache d’huile. On ne sait rien.
À de telles remarques, il est répondu :
– Depuis quatre jours, on arpente la mer. Si l’équipage vivait, on l’aurait déjà, découvert.
– Non. Quand je me suis écrasé en Lybie, l’année dernière, plus de vingt avions militaires anglais et égyptiens m’ont cherché, et m’ont cherché là où je me trouvais. Au soir du quatrième jour, ils n’avaient toujours rien découvert. Voilà pourquoi la disparition de Mermoz, malgré les quatre jours écoulés, ne prouve rien encore. Nous ne savons rien de plus qu’à la première heure…
S’il est un signe qui demeure inquiétant et nous fait tout craindre, c’est celui que nous connaissions dès la première heure : pourquoi ne fut-il expédié avant l’amerrissage aucun
S-O-S ? C’est ce silence de quelques minutes qui nous angoisse bien plus que cette disparition de quatre jours.
Mais le 15 décembre, dans l’hebdomadaire Marianne, Saint-Ex avait perdu tout espoir et s’adressait ainsi à son ami Mermoz :
Jean,
Je n’ai pas encore de souvenirs. Je ne te range pas si vite parmi les fantômes… Ah ne les ais-je entendu chanter depuis quatre jours tes vertus ! Tu n’as point encore de vertus. Il sera bien temps dans quelques jours… Je ne veux pas te respecter encore, pardonnes-moi, je ne puis encore te croire parfait, de la perfection des morts…
Le 30 décembre, Jean Mermoz eut droit à des funérailles solennelles aux Invalides, à Paris.
L’hydravion Croix-du-Sud était, en 1936, un vieil hydravion dont le premier vol datait de 1931 et que l’on utilisait faute de crédits pour acquérir un appareil de conception plus récente. Ses moteurs avaient toujours connu de nombreux problèmes avec leurs réducteurs, lesquels permettaient l’utilisation de grandes hélices tripales tournant lentement.
L’hypothèse de Saint-Exupéry sur la cause du drame est celle qui fut définitivement retenue : grippage par manque d’huile des engrenages du réducteur, casse de l’arbre d’hélice et sectionnement par l’hélice, qui se serait détachée, des commandes de vol passant dans la queue. Or, Mermoz volait à une altitude d’environ 200 m et à une vitesse de 170 km/h. La chute dans l’océan ne dura que quelques secondes… L’hydravion n’a jamais été retrouvé. ♦♦♦
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