De l’importance des mots… qui s’envolent sur la fréquence contrairement aux écrits.
Demeurant l’événement le plus meurtrier de l’histoire de l’aviation commerciale, l’accident survenu le 27 mars 1977 sur l’aéroport de Los Rodeos au nord de l’île de Tenerife aux Canaries a concerné un Boeing 747 de KLM et un 747 de la Pan Am. Suite à de mauvaises conditions météorologiques, plusieurs avions ont été bloqués sur l’aéroport et faute de place avec plus d’avions parqués que prévus sur les parkings, le taxiway n’est plus utilisable.
Le 747 de la Pan Am doit ainsi remonter la piste pour pouvoir dégager vers le terminal tandis qu’à l’opposé le 747 de la KLM s’apprête à décoller, le tout en situation de fort brouillard. Plusieurs erreurs vont être commises. Le rapport d’enquête a relevé « une clairance du contrôle, relative au taxiway à emprunter pour sortir de la piste, qui a été mal interprétée par l’équipage de la Pan-Am et l’a amené à rester plus longtemps que prévu sur la piste ».
Le commandant de bord du 747 KLM a annoncé le début de son décollage mais le contrôle a considéré que l’avion venait de s’aligner, étant prêt au décollage, puisque la clairance de décollage ne lui avait pas été encore donnée. Pressé par le temps, le commandant de bord du KLM a entamé le décollage, tandis que son copilote a eu des doutes sur le fait que le Pan Am ait bien dégagé la piste mais n’a pas su les exprimer face à son commandant de bord.
Le 747 de la KLM, lancé dans sa course au décollage, a percuté violemment le 747 de la Pan Am, ce dernier n’ayant pas encore totalement dégagé la piste. L’une des recommandations faites par la commission d’enquête dans son rapport portera sur « l’emploi d’un langage aéronautique standardisé, concis et sans équivoque ». Sur la fréquence, il faut être sobre mais bien diffuser les données les plus importantes et le choix des mots devient crucial pour une bonne compréhension par les autres intervenants.
Dans son bulletin d’octobre 2016, la DSAC revient sur ces problèmes potentiels de mauvaise compréhension entre différents intervenants (pilotes, contrôleurs, assistance au sol) car de nombreux comptes-rendus d’événements « contiennent des précurseurs de cette nature » et ces incompréhensions « ne sont pas toujours identifiées comme telles par les acteurs concernés et chaque partie impliquée se retrouve alors avec sa propre représentation mentale de la situation, favorisant ainsi la survenue d’un événement ».
Si les cas cités concernent essentiellement l’aviation d’affaires ou commerciale, les situations rencontrées restent transposables à l’aviation légère. Un exemple est donné pour « deux occasions perdues » lors d’un malentendu entre pilote et contrôleur : « Alors qu’il est en fin de vent arrière gauche, un DR-400 se voit demander par le contrôle d’éffectuer un 360° de retardement par la droite afin de l’écarter d’un avion de ligne en approche ».
« Quand le petit avion a effectué 270°, le contrôle lui demande de « reprendre le circuit ». Sur l’écran radar du contrôleur, l’appareil apparaît alors sur une sorte de longue étape de base gauche: c’est cette étape que le contrôleur souhaitait voir le DR-400 poursuivre en lui demandant de « reprendre le circuit ». Le pilote, qui se trouvait en vent arrière au moment où on lui a demandé d’interrompre son circuit, pense, pour sa part, qu’il lui est demandé de reprendre le circuit là où il l’avait interrompu: il repart donc en vent arrière ».
Ndlr : le comportement du pilote du DR-400 est logique et si le contrôleur avait voulu le voir passer en étape de base après ses 270° de virage, il aurait dû lui demander de passer « directement en base »…
Le compte-rendu poursuit : « L’appareil finit par se retrouver en finale, rattrapé par l’avion de ligne qu’il était censé éviter. Pour résoudre cette situation potentiellement conflictuelle, le contrôleur demande au pilote du DR-400 de « dégager au nord ». Pour le contrôleur, cela signifie « partir vers le nord, voler au cap nord ». Pour le pilote, il s’agit de « se placer au nord de l’axe » : c’est ainsi qu’après avoir pris la direction du nord, on le voit virer puis voler parallèlement à l’axe de la finale, c’est-à-dire toujours en situation conflictuelle avec
l’avion de ligne ».
Ndlr : si l’ordre de dégager au nord est plus clair, mieux aurait valu préciser au pilote :
« Prenez un cap nord ».
Ainsi « deux occasions d’éviter le rapprochement entre les deux avions ont été perdues en raison, à chaque fois, d’un malentendu entre le pilote et le contrôleur, chacun interprétant différemment ce qu’il a dit ou entendu ». CQFD ♦♦♦
Lien vers le bulletin de sécurité « Objectif Sécurité » de la DSAC, intitulé « Du malentendu à l’accident ».