Une plongée très rafraichissante dans le monde de l’aviation, entre 1910 et 1915, raconté par le pionnier.
L’écrivain Blaise Cendrars ne s’était pas trompé en présentant cet ouvrage comme le « document le plus extraordinaire, et le plus pittoresque et le plus vivant que l’on puisse lire sur les débuts de l’aviation ». Les éditions Phébus ont eu la bonne idée d’éditer la première édition intégrale de l’ouvrage signé du pionnier, des Mémoires relativement courtes puisqu’elles couvrent les années 1910 à juillet 1914, avant la déclaration de la guerre. Ces Mémoires sont complétées d’un court texte (Journal de guerre) couvrant la période allant du 16 août 1914 au 17 avril 1915.
Dans ce dernier document, il est question du dispositif mis en place par Raymond Saulnier sur un Morane pour permettre le tir à travers le disque hélicoïdal. Le système est rustique, avec des déflecteurs métalliques montés sur l’hélice pour protéger des balles les pales de cette dernière… Roland Garros l’utilisera en combat et durant une mission devra se poser suite à une panne en territoire ennemi. N’ayant pu suffisamment détruire le système par le feu, le concept de tir à travers l’hélice sera repris par Antony Fokker, en l’améliorant pour réaliser la synchronisation du tir avec le régime moteur. Roland Garros parviendra de son côté à s’évader et à reprendre le combat…
De Roland Garros, pour peu que l’on s’intéresse à l’histoire de l’aviation, on connaît évidemment sa traversée de la Méditerranée en 1913 et sa mort en combat aérien en octobre 1918. Mais on connait moins son passé de « saltimbanque » aérien au sein du cirque des frères Moisant, aux Etats-Unis. Encore moins ses débuts dans le pilotage. Avec un style très littéraire, plaisant à lire et un recul sur sa propre expérience et ses erreurs, Roland Garros raconte ainsi ses débuts dans le monde de l’aviation alors qu’il est concessionnaire automobile. C’est l’achat d’une Demoiselle de Santos-Dumont – l’appareil le moins cher sur le marché – qui finira en « tas de bois » après quelques courtes envolées à Issy-les-Moulineaux, destinées à apprendre à piloter…
A peine breveté, il décroche avec deux autres pilotes un contrat pour un meeting à Cholet ! Avec des moteurs qui ne démarrent pas toujours – sans oublier les limitations imposées aux machines dès que le vent se lève un peu pour ne faire un « soleil » ou un « pylône » en cassant son hélice – ce sera un cuisant échec pour le trio que Garros raconte dans le moindre détail. Il reviendra cependant quelque temps plus tard à Cholet pour « sauver l’honneur » !
L’aventure aux Etats-Unis, très intéressante, mérite assurément le détour. Avec d’autres pilotes, le pionnier va en effet y aguerrir son pilotage, en Demoiselle puis en Bleriot XI. Il fait partie de la troupe de la Moisant International Aviators Ltd, une entreprise créée pour organiser des meetings itinérant, comptant de 70 à 80 personnes dont 8 pilotes. Ceux-ci, avec les mécanos, guichetiers, managers, agents commerciaux, monteurs de tentes et de tribunes, voyagent en train spécialement affrêté, avec avions, moteurs et pièces de rechange.
Les résultats financiers ne sont pas toujours à la hauteur. Parfois les conditions météo limitent les démonstrations à quelques roulages et à la protection des avions quand le public impatient compte se rembourser en brûlant les tribunes ! D’autres fois, c’est le succès total, avec survol de la ville, vols multiples, course entre avion et voiture, rase-mottes sur les tribunes ! Le reste du temps est passé dans les hôtels, les restaurants, salles de boxe ou de jeu… – une vie que le pionnier nous conte, avec les anecdotes du quotidien, son appréhension à retrouver un terrain après s’être perdu au-dessus d’une couche de nuage, ses joies…
En 1913, l’une d’elle sera de réaliser la première traversée de la Méditerranée, avec un moteur Gnome de 80 ch qui « cogne » pendant des heures avec un axe de culbuteur à moitié-cassé et un ressort de soupape en moins, et moins de 20 mn de carburant à l’arrivée à Bizerte, en Tunisie, après un décollage à Saint-Raphaël. Auparavant, il y aura eu aussi un périple en Amérique du Sud, le tout en moins de quatre ans d’aventure. Au fil des pages, on croise d’autres pionniers, Charles Voisin, Raymond Saulnier, Brindejonc des Moulinais… offrant ainsi au lecteur une très intéressante plongée dans les débuts de l’aviation racontés par l’un de ses plus talentueux acteurs. ♦♦♦
– Mémoires, suivi de Journal de Guerre, par Roland Garros. Ed. Phébus. 440 p. dont un cahier de photos, 23,00 €. L’ouvrage est complété d’un dossier réalisé par Jean-Pierre Lefèvre-Garros, avec une chronologie de la vie du pionnier et quinze notices biographiques sur des personnages « ayant marqué le parcours de Roland Garros »