La DSAC (Direction de la sécurité de l’aviation civile) a diffusé récemment sa newsletter « Objectif sécurité » n°21 (mars 2015) concernant les alarmes. Avec le développement de dispositifs d’alerte pour améliorer la sécurité des vols (des alertes de proximité du sol ou GPWS pour les avions de ligne aux alarmes de non-sortie de train pour des avions plus légers), on a constaté une amélioration de la sécurité mais ces dispositifs peuvent connaître des limites, liées à l’opérateur humain… Les experts du sujet parlent de « capacité cognitive de l’être humain ».
La newsletter passe en revue plusieurs incidents ou accidents liés aux alarmes, avec des alarmes similaires non prises en compte par l’équipage suite à une confusion (attention à l’alarme de train qui peut être similaire à celle du GPS annonçant que l’on est arrivé à destination !), de « fausses » alarmes non réelles qui le deviennent un jour à force de ne pas y croire, des alarmes gênantes pouvant pousser l’équipage à les « shunter » puis à les oublier alors qu’elles sont devenues inopérantes, et aussi des alarmes non entendues par l’équipage.
Les pilotes se souviennent sans doute de cette vidéo d’un TB-20 en approche à Megève, où l’équipage « ne semble à aucun moment entendre l’alarme sonore, pourtant stridente et continue, qui lui signale que le train de l’appareil n’est pas sorti ». Jusqu’au « moment de l’atterrissage, les pilotes ne semblent pas comprendre ce qui se passe » – illustration parfaite de la surdité (ou de l’aveuglement parfois face à une alarme visuelle) dans laquelle un équipage peut être plongé du fait des limites de l’organisme humain à traiter un grand nombre d’informations au même moment.
La newsletter de la DSAC, sur le même registre, cite le cas d’un Beech King Air 300 de la compagnie russe Air Samara, lors d’un transport de fret, atterrissant train rentré. L’équipage « est resté sourd aux alarmes Tow Low Gear, puis Caution Terrain, Too Low Terrain et enfin Terrain Ahead Pull Up, préjugeant qu’elles étaient infondées ».
Cette insensibilité à une alarme, dénommée « surdité inattentionelle », est étudiée par l’équipe Facteurs humains et Neuro-ergonomie du Centre aéronautique et spatial (CAS) de l’Institut supérieur de l’Aéronautique et de l’Espace (ISAE), à Toulouse. « Une expérience en simulateur a par exemple été menée par cette équipe, pour tester la vulnérabilité des pilotes à la surdité inattentionelle avec des conditions météorologiques qui peuvent amener à une focalisation du pilote sur un ou plusieurs paramètres. Dans ce cas, cela correspondait à deux phases d’approche, avec présence ou non de windshear (cisatillement de vent). Alors que tous les pilotes ont dit avoir entendu l’alarme dans la simulation sans windshear, ils sont 39% à ne l’avoir pas entendue en cas de windshear ». CQFD.
Ainsi, en situation normale, l’organisme humain est apte à analyser un certain nombre d’informations en provenance des instruments ou de l’extérieur, mais si une part de stress se mêle à l’équation (par exemple suite à des conditions météorologiques difficiles, ou une trajectoire modifiée à la dernière minute, ou encore la pression temporelle à se poser rapidement sans faire un tour de piste standard en déroulant ses procédures habituelles…) alors le cerveau peut saturer et une alarme sonore peut alors ne plus être « entendue », une alarme visuele ne plus être « visible ».
Si cela peut paraître surprenant, en regardant une vidéo au calme chez soi, il faut bien prendre en compte les limites du fonctionnement de l’être humain, notamment aux prises avec un stress qui accapare ses capacités d’analyse et de réflexion, pouvant le pousser à commettre des actions inappropriées ou, au contraire, à ne pas réagir face à une menace dont la proximité est pourtant révélée par une alarme… De tels scénarios n’ont donc « rien d’exceptionnel » précise la DSAC.
Un pilote averti en valant deux, vous êtes prévenus ! Cela ne suffira peut être pas mais connaître ces limites de l’opérateur humain (tout pilote, même expérimenté, peut atteindre dans certaines situations un niveau où son cerveau « dijoncte »…), c’est déjà un pas de plus pour ne pas se faire prendre un jour par ce piège, en tentant de prendre du recul pour bien analyser une situation. ♦♦♦