Mike Busch est plutôt direct… En parlant de la maintenance en aviation, il précise que « souvent, elle endommage les appareils plutôt que de les réparer ». Provocation ? Propos d’un fou ? Pas vraiment. Aux Etats-Unis, si « LE » pilote de voltige s’appelle Sean Tucker et « LE » collectionneur d’avions Kermit Weeks, « LE » mécanicien s’appelle assurément Mike Busch. Dirigeant depuis 2008 un atelier de… maintenance dans le domaine de l’aviation générale, il a reçu en 2008 de la FAA le titre de « National Aviation Maintenance Technician of the Year ».
Surtout, il collectionne sur différents sites ou revues aéronautiques des chroniques ou articles sur le sujet. Patron de Savvy Aviator, c’est aussi un pilote et instructeur aux plus de 7.500 heures de vol, notamment sur son bimoteur Cessna 310 personnel. L’an passé, s’appuyant sur de multiples chroniques déjà publiées, il a édité un ouvrage intitulé « Manifesto. A revolutionnary approach to general aviation maintenance » (Manifeste. Une approche révolutionnaire de la maintenance en aviation générale). Sa lecture est captivante sur un sujet qui ne passionne généralement pas la foule des pilotes. Décapante même…
Il prône en effet une maintenance minimaliste, centrée sur la fiabilité et souhaite juste l’entretien minimum pour maintenir un aéronef en état de vol. Rien de plus… Il recommande ainsi de ne pas tenir compte des TBO (Time Before Overhaul, temps entre les grandes visites) des moteurs et hélices… Et pas plus de la plupart des intervalles de maintenance préconisés par les constructeurs. Un fou ? Pas tant que cela… Mike Busch appuie sa démonstration sur l’effet Waddington. Conrad Waddington, incorporé dans la Royal Air Force, a constaté en 1943 que les B-24 Liberator du Coastal Command sont constamment à l’atelier, avec 50% d’appareils au sol.
Menant son enquête, il va découvrir que les pannes surviennent essentiellement après la sortie de l’atelier et que le taux de panne décroit régulièrement ensuite jusqu’à… la prochaine visite où il remonte juste après l’intervention des mécanos ! Malgré la résistance initiale des hautes sphères, il va diminuer le nombre des opérations de maintenance et le taux d’utilisation va aussitôt grimper, avec une meilleure disponibilité des bombardiers. La maintenance n’est pas forcément une bonne chose… En faire trop diminue la sécurité et la fiabilité. D’où le dicton ancien « Mécano, danger ! ». CQFD.
A la fin des années 1960-début des années 1970, deux chercheurs vont retrouver le principe Waddington (les archives de Conrad Waddington ne seront déclassifiées qu’en 1973) menant à une nouvelle méthode, la maintenance basée sur la fiabilité (Reliability centered maintenance ou RCM). Elle sera appliquée en aviation commerciale. Elle remet en question la fausse idée qui considère qu’une pièce s’use forcément avec le temps et donc que sa fiabilité décroît avec son âge. Or, il est démontré qu’il faut mieux continuer à voler avec un moteur bien fiabilisé, bien qu’ancien, plutôt que de monter un nouveau moteur non fiabilisé. Surtout quand les statistiques montrent que les pannes moteurs arrivent en moyenne dans les 200 premières heures d’un moteur…
Mike Busch considère que cette approche basée sur la fiabilité doit s’appliquer à l’aviation générale. Il l’applique d’ailleurs à des machines de propriétaires gérées dans son atelier, conformément à la réglementation américaine et ceci concerne les appareils immatriculés en N, y compris volant ailleurs qu’aux Etats-Unis. Partant d’une étude menée avec des données du NTSB (le BEA américain), un autre chercheur, le Dr. Ulrich, a montré que, statistiquement, les pannes moteur survenaient surtout après un changement de moteur. Et donc, qu’il n’est pas utile de respecter les TBO si l’on suit bien son moteur (analyse de l’huile, absence de parties métalliques, inspection au bore-scope, fonctionnement régulier du GMP, etc. mais sans prendre pour argent comptant la consommation d’huile et les compressions, paramètres secondaires). C’est le cas des moteurs du Cessna 310 de Mike Busch qui ont plus de 200% des heures prévues pour leur TBO.
L’argument que ce dernier développe fait appel au bon sens. Si l’on croit au concept de TBO, cela implique que l’état d’un moteur est uniquement lié à son nombre d’heures de fonctionnement, une hérésie car rien de comparable entre un avion qui dort dehors et fait 400 heures d’instruction par an et un autre avion de propriétaire, n’accumulant que 80 heures annuelles. Le TBO « officiel » devient un concept théorique très éloigné de la réalité mais qui rassure les constructeurs, motoristes et les agents de l’administrations pour éviter – au détriment de la facture acquittée par les utilisateurs – d’être tenus responsables en cas de problème…
Et donc plutôt que d’imposer un TBO, notre mécano révolutionnaire préfère suivre une maintenance en fonction de l’état réel du moteur imposant différents outils : analyse visuelle du filtre à huile, analyse spectrographique du lubrifiant, analyse sur ordinateur des paramètres moteur avec suivi des pression et température huile, inspection des cylindres et du vilebrequin. Les motifs pour envoyer un moteur en RG sont avant tout de la limaille dans l’huile, une crique dans le carter surtout s’il y a une fuite d’huile, des problèmes de soupapes, un contact de l’hélice avec le sol ou un surrégime. Une approche que Mike Busch effectue depuis des années pour des milliers d’avions, faisant ainsi faire des économies aux propriétaires concernés.
L’auteur recommande aux propriétaires de bien analyser la panne relevée, en effectuant le bon diagnostic, avec une analyse numérique des paramètres moteur (un Digital Engine Monitor s’impose donc sur tout appareil, même simple) et non pas un simple « sentiment ». Ce relevè des paramètres par enregistement doit se faire en vol et non au sol. Ainsi, le test du circuit d’allumage doit s’effectuer à puissance élevée et le mélange bien mixturé, les conditions les plus exigeantes pour tester l’allumage. Mike Busch donne également la méthode pour vérifier la différence de mixture dans les différents cylindres. Il recommande de bien analyser le fonctionnement de l’appareil après une visite technique, pour valider cette dernière.
Au final, un petit ouvrage revigorant, dont le contenu alerte des 12 chapitres fera sans doute hausser les épaules à bien des mécaniciens « standardisés » depuis des décennies par des pratiques jamais remises en cause – de l’OSAC à la plupart des ateliers de maintenance – mais qui démontre bien pourtant que « trop de maintenance » n’est pas la panacée, qu’il ne faut pas toujours suivre les « recommandations » des constructeurs, que certains transforment par méconnaissance ou crainte en « obligations » – le dossier des SID pour les Cessna étant le dernier en date dans ce domaine. Et qu’imposer par exemple une grande visite tous les 3 ou 4 ans à un avion – pour un coût proche du tiers de la valeur de la machine – n’a aucun sens mais de là à ce que les préconisations de Mike Busch fassent leur chemin au sein l’EASA et de la DGAC, il faudra sans doute attendre… ♦♦♦
Manifesto. A revolutionnary approach to general aviation maintenance, par Mike Busch. 102 pages. Moins de 13 $. Disponible sur Amazon
BARREAU dit
A signaler aux lecteurs d’aéroVFR le formidable travail fait par la FAA qui a réactualisé l’AC43-13 en revoyant
complètement l’iconographie, ce qui améliore considérablement la lisibilité.
On trouve GRATUITEMENT ces ouvrages ici :
http://www.faa.gov/regulations_policies/handbooks_manuals/aircraft/amt_airframe_handbook/media/amt_airframe_vol1.pdf
http://www.faa.gov/regulations_policies/handbooks_manuals/aircraft/amt_airframe_handbook/media/amt_airframe_vol2.pdf
Et bien d’autres là :
http://www.faa.gov/regulations_policies/handbooks_manuals/
Ce qui est remarquable dans ces ouvrages, c’est qu’on y détaille tous les bons usages depuis le biplan en bois entoilé en lin jusqu’aux avions en composites.
Notre administration ferait oeuvre d’intelligence en faisant traduire ces ouvrages et en les mettant sur leur site.
Té ORA dit
Il y a des années que j’avais constaté ce phénomène, mais je ne suis pas mécano, seulement observateur.
Il me semble à la lecture de votre article que ce n’est que du bon sens.
Quant à l’évolution de la réglementation …. n’y pensons même pas !