Avec l’utilisation de plus en plus importante de caméras sportives et de smartphones faisant office d’appareil photo en vol – sans parler des drones privés… – la production d’images prises en vol, en mode air-sol, n’a jamais été aussi importante ces dernières années. Souvent en méconnaissance d’un article du code de l’Aviation civile (le D.133-10) qui précise qu’est «interdite la prise de vue aérienne par appareil photographique, cinématographique, ou par tout autre capteur, des zones dont la liste est fixée par arrêté ministériel».
La réglementation impose en effet à «toute personne qui souhaite réaliser des enregistrements d’images ou de données dans le champ du spectre visible au-dessus du territoire national de souscrire une déclaration au plus tard quinze jours avant la date ou le début de période prévue pour l’opération envisagée»… A première vue, ce texte n’a pas été abrogé et il reste donc en vigueur !
Bon, en pratique, n’ayant pas la liste évoquée ci-dessus des zones interdites de photo, tous les pilotes et passagers prennent leurs photos en vol, surtout si c’est pour un usage personnel. Le texte réglementaire précise en effet qu’est «dispensée de la déclaration la prise de vue photographique ou cinématographique effectuée – à titre occasionnel – et à finalité de loisirs par un passager, au cours d’un vol dont l’objet n’est pas la prise de vue». Vous noterez qu’est cité le «passager» mais pas le pilote ! Et que si vous partez avec des passagers «faire les châteaux de la Loire», le vol peut alors avoir pour objet principal la prise de vues… Attention, il y a alors préméditation ! Vous aggravez votre cas !
Tout ceci relève évidemment encore de l’ambiance type Guerre froide, avant l’avénement des photos satellites ou des drones qui survolent les centrales nucléaires… Mais bon, quand la réglementation est désuette ou inapplicable, il faut aller au bout de son raisonnement. Cette fameuse liste des zones interdites à la prise de vue aérienne étant déposée dans les préfectures et les directions régionales de l’Aviation civile, plusieurs préfectures et la DGAC ont été contactées en novembre dernier pour connaître les sites à ne pas photographier, notamment sur les départements de l’Essonne, de la Seine-et-Marne et du Loiret. Nul n’est censé ignorer la loi !
La préfecture du Loiret a été la première à répondre – quelques jours après avoir reçu un courrier recommandé avec accusé de réception – par un mail laconique : « En réponse à votre courrier en date du 18 novembre. Je vous informe qu’il n’y a pas de zone interdite à la photographie aérienne dans le Loiret ». Circulez ! Liberté donc de prendre en photo le centre de formation spécialisée de la DGSE à Cercottes.
Un peu plus tard, la préfecture de l’Essonne a répondu par mail : « En réponse à votre courrier du 18 novembre 2014 dans lequel vous souhaitez connaître la liste des sites interdits à la photographie sur le territoire essonnien, cette liste étant classée confidentiel défense (compte tenu de la sensibilité de ces sites, leurs positions exactes ne doit pas être divulguée), elle n’est donc pas communicable à des tiers. Toutefois, certains sites ou zones interdites de survol figurent bien sur les cartes aéronautiques. Tels sont les éléments qu’à ce jour je suis en mesure de vous communiquer ». Pas besoin de grandes recherches pourtant au niveau des espions potentiels pour savoir que le centre de la DGA à Saint-Vrain fait partie du listing, le site étant « flouté » sur GoogleEarth…
La préfecture de Seine-et-Marne a préféré répondre par courrier : « Par lettre du 18 novembre, vous avez demandé dans le cadre de vos activités de prospections aériennes à titre bénévole, effectuées à bord d’un avion léger en relation avec le service régional d’archéologie d’Ile-de-France, la liste des sites de Seine-et-Marne où une interdiction de prise de vues photographiques est applicable. Je vous informe que cette liste, de part son degré de confidentialité, n’a pas vocation à être communiquée au public. Il vous appartient donc, dans le cadre de vos activités, de faire la demande d’un manuel d’activités particulières, après de la direction de la Sécurité de l’Aviation civile Nord – Orly Sud n°108, 94396 Orly Aerogare Cédex. Au regard des plans de vols que vous serez appelé à déposer au cours de vos activités, les services de sécurité se prononceront alors au cas par cas, au regard des espaces interdits à la photographie aérienne, sur les conditions de réalisation de ces opérations ».
Encore un sous-préfet qui pense que tout vol d’un avion léger doit s’effectuer sous plan de vol et en contact radio permanent avec un organisme de la circulation aérienne ! Mieux vaut que certains croient que cela est déjà le cas plutôt que l’un d’entre eux ne se décide un jour à l’exiger dans la réalité ! Bref, tout pilote ne doit pas photographier certains sites mais impossible de connaître ces dits sites…
Bref, contact a été repris avec la DSAC Nord qui n’avait pas répondu à la première demande. Réponse par mail : « La liste des sites fait l’objet d’une instruction du SGDSN, classée confidentielle Défense. Il s’agit de sûreté. En conséquence, je vous invite à vous rapprocher des Autorités compétentes ».
Un mail plus tard auprès du Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN), et la réponse n’a pas tardé à nous parvenir par mail : « Sur la base de votre saisine, nous vous confirmons qu’il revient aux préfectures concernées, ou à défaut aux services compétents de l’Aviation civile, de vous indiquer si l’un des sites est interdit de photographie aérienne. En application de la circulaire SGDSN n°10091/SGDN/PSE/CD du 23 avril 2009, ces services doivent vous permettre d’entrer en contact avec l’autorité délégataire désignée par le ou les ministères de tutelle de ces zones, qui autorisera ou non la prise de vue aérienne pour une zone figurant sur la liste. Les démarches que vous devrez remplir à cette fin sont détaillées dans cette circulaire. Nous ne pouvons pas directement vous adresser les documents (arrêté fixant la liste et circulaire) puisque, comme vous le soulignez, ils sont confidentiels. En revanche, nous pourrions intervenir auprès des préfectures concernées et leur adresser la note de synthèse préparée sur ce sujet par le SGDSN fin 2013, afin qu’elles puissent traiter votre demande dans les meilleurs délais. Vous serait-il possible de nous communiquer le nom d’un point de contact pour chacune des préfectures concernées ? A défaut, nous adresserions la note par messagerie sécurisée sur l’adresse générique de la préfecture ».
Bref, les préfectures renvoient la question vers la DGAC et ses différentes délégations régionales, celles-ci reexpédient le dossier vers la Surêté nationale qui compte renvoyer le tout à son tour aux… préfectures. Cela tourne en rond et l’on peut bien parler de mouvement perpétuel administratif. Bref – « pas vu, pas pris » – poursuivons comme avant ! A vos appareils photos ! ♦♦♦
Patrick dit
J’adore ! L’administration dans toute sa gloire ou quand Kafka à de beaux jours devant lui.
C’est affligeant mais très drôle aussi quand l’administration se marche dessus !!!