L’association Replic’Air a été créée il y a quelques années pour réaliser une réplique volante du Morane type H/G utilisé par Roland Garros pour la première traversée de la Méditerranée en septembre 1913, entre Fréjus et Bizerte. En partant de la feuille blanche et en un temps record, une équipe de passionnés rassemblée autour de son président Jérémy Caussade – la plupart issus d’Airbus… – a réussi l’exploit de concevoir, construire et faire voler une réplique motorisée par un Rotec 7-cylindres en étoile de 110 ch. Le vol commémoratif a été effectué à la date prévue, en septembre 2013 soit 100 ans après l’exploit initial du pionnier, avec une réplique pilotée par Baptiste Salis durant près de 8 heures sur le même parcours…
Capitalisant sur cette réussite et remobilisant les compétences de l’équipe technique sur un autre projet encore plus ambitieux, RéplicAir a retenu le Dewoitine D-551, version militarisée du D-550 de course utilisé par Marcel Doret, pilote d’essais du constructeur toulousain. Le « racer », dérivé du fameux chasseur D-520, a volé le 23 juin 1939, avec un Hispano-Suiza 12Ycrs de 920 ch. Il s’agit alors de viser la barre symbolique des 700 km/h.
Un avion de chasse en est dérivé sous la désignation D-551 pour prendre la suite du D-520 mais l’Armistice étant signée, le chasseur n’aura pas le temps de prendre son envol. La poignée d’appareils, mis en production dans les ateliers de Bagnères de Bigorre – après une commande de l’armée de l’Air de 16 appareils passée à la Société nationale des constructions aéronautiques du Midi (SNCAM), entreprise étatique ayant pris la suite des établissements Dewoitine après les nationalisations de 1936 – ne sera jamais achevée et les cellules ferraillées. Il ne reste aujourd’hui que quelques photos du prototype qui n’a jamais pris son envol. Quant au « racer », caché durant la Seconde Guerre mondiale, il a également été ferraillé après guerre après avoir été endommagé lors d’un bombardement allié en 1944.
ReplicAir a cependant mis la main sur la liasse de plans du D-551, encore conservée dans les archives départementales, un « détail » qui n’avait pas échappé à l’un des membres de l’association – elle a depuis été entièrement numérisée sous Catia. Font également partie des documents récupérés, les dossiers de calcul et les résultats de soufflerie mais aussi des échanges de courriers avec des ordres de commandes, des croquis, des photos de la chaîne d’assemblage issues du Fonds Dewoitine. Tout ceci constitue une mine d’informations, un cas unique pour un chasseur de cette période car un grand nombre d’archives des constructeurs ont disparu durant la Dernière Guerre mondiale.
D’où l’idée de reprendre la suite du bureau d’études dirigé par Emile Dewoitine pour faire voler l’extrapolation du D-520, avec un chasseur à l’aérodynamique améliorée, à la construction optimisée et une cellule propulsée par un Hispano-Suiza 12Y51 développant de 1.000 à 1.100 ch, destiné à lui faire atteindre 660 km/h de vitesse maximale.
Par rapport au D-520, le D-551 devait ainsi bénéficier d’une puissance supérieure, être armé de cinq mitrailleuses de 7,65 mm, deux sur chaque voilure et une au-dessus du moteur. Sa construction devait être très simplifiée par rapport à celle de son prédécesseur, en visant un temps de construction nettement réduit mais s’élevant encore autour de… 4.000 heures de main d’oeuvre.
C’est la logique que Dewoitine aurait suivie si l’Armistice n’avait pas été signée, avec le développement continu d’une cellule au fil des années, comme l’ont fait les concepteurs des Spitfire, Mustang ou Me-109 avec de nouvelles versions, de nouvelles motorisations, de nouveaux équipements. Avec le D-551, on touche ainsi à la deuxième génération des chasseurs de la Dernière Guerre et à l’état de l’art français en matière de technologie en 1940.
Pour se rapprocher au plus près de la réalité voulue par Emile Dewoitine – la seule modification prévue par rapport à l’original sera l’augmentation de la taille d’une roulette à l’extrémité de la béquille arrière pour faciliter les manutentions dans les hangars mais aussi les opérations au sol, avec un système de débrayage – le futur D-551 recevra un Hispano-Suiza. Ce dernier a été récupéré fin 2013/début 2014 en Allemagne, sous la forme d’un Saurer HS-51, version sous licence suisse du 12Y51.
Pour le constructeur helvétique EKW, il s’agissait à l’époque (1942) de motoriser son modèle C-36, un monomoteur biplace en tandem mais dont la carrière ne s’achèvera que dans les années 1980 comme remorqueur de cibles avec une turbine Lycoming T-53. Ainsi, les Saurer HS-51 sont très proches des Hispano-Suiza de 1940 mais avec des moteurs plus récents et à la fiabilité éprouvée en opération dans une armée de l’Air. Quand un second moteur sera récupéré, un opération « overhaul » complète sera réalisée sur les deux GMP, le premier ayant déjà bénéficié d’une endoscopie de ses pistons.
Avec une cellule réalisée selon les plans d’usine et un moteur du même type, on ne parle plus de « réplique » chez RéplicAir mais de « reconstruction », voire de « reconstructions » – au pluriel… – car le projet de D-551 vise en fait à réaliser… deux chasseurs, l’un devrait être vendu pour participer au financement du premier conservé par RéplicAir. L’association étant ces derniers mois sur la piste d’autres moteurs du même type, un second Saurer a depuis été trouvé et il devrait prochainement rejoindre Toulouse. Au total, c’est quatre moteurs qui seront remis en état pour avoir un GMP de rechange pour chaque chasseur.
Pour l’heure, l’atelier est en cours de préparation afin d’être opérationnel à compter de février prochain. Avec une cinquantaine de personnes constituant l’équipe en charge du projet, celle-ci travaille actuellement sur le plan de production, pour répondre aux questions quoi ? quand ? comment ? par qui ? et quel financement ? Le premier trimestre 2015 sera consacré à la réalisation des bâtis de montage avant la fabrication des ailes et empennages horizontaux programmés jusqu’à la fin 2015, même si différentes pièces ont déjà été réalisées.
En parallèle, une maquette d’implantation en bois du fuselage (de la cloison pare-feu à l’arrière du cockpit), sera réalisée à l’échelle 1 pour faciliter des aspects de « routing » (circuits électriques et hydrauliques) et pour mieux analyser l’ergonomie. Même si une modélisation du fuselage, sous Catia, a déjà été réalisée, cette technique est jugée plus pratique pour évaluer l’ergonomie, évaluer et tester l’emplacement de certains systèmes – du « routing » de l’hydraulique à la « pieuvre électrique » ou les bouteilles d’oxygène.
Au tournant de l’année 2015/2016, une campagne de soufflerie interviendra à Toulouse pour établir des comparaisons dites « back to back », afin de recouper les données d’époque et celles issues de la nouvelle campagne. Une maquette motorisée réalisée au 1/5e devrait être soufflée à Toulouse.
Il s’agira de comparer les études de l’époque aux essais modernes et aux calculs pour vérifier certains points, avec notamment une étude qualitative des basses vitesses (couples à la rentrée et à la sortie du train, comportement au décrochage, gestion de la remise de gaz). Ceci se fera en complément des rapports d’essais du D-520 du musée de l’Air et de l’Espace, mis en oeuvre il y a une vingtaine d’année par les pilotes du CEV de Brétigny, mais aussi à l’aide du rapport d’essais de Michel Detroyat après des vols sur le D-550 de course, compte-rendu mis à disposition de RéplicAir par le petit fils du pilote.
Une attention particulière sera apportée au refroidissement du moteur, avec l’étude des entrées d’air, un point qui peut être critique sur ce type de chasseur. Cela fera partie de travaux pratiques pour des étudiants de l’iSae qui auront également à plancher sur l’aérodynamique du chasseur, ses qualités de vol et l’analyse des pièces réalisées en impression 3D avec différents matériaux, de l’aluminium à l’inconel.
De nombreuses pièces sont déjà lancées en fabrication et à Toulouse, on ne mégote pas. Avec deux chasseurs ayant besoin de pièces détachées durant leur vie opérationnelle, c’est de 6 à 7 jeux de pièces qui sont réalisés par sous-élément. L’année 2016 sera consacrée au fuselage, installation de la motorisation comprise, avec selon le planning nominal, un premier vol escompté avant juin 2017. Le budget total est estimé entre 1 et 1,5 million d’euros, la construction de deux appareils ne revenant pas à deux fois la construction d’un seul avion.
Pour l’heure, le programme se met en place avec différents domaines sous la responsabilité de spécialistes. Fabien Raison a la charge du bureau d’études, Pierre-Etienne Langenfeld de la mise en production des pièces. Alain Bugeau, ancien aérodynamicien de Dassault Aviation (jusqu’au 7X) bien connu pour de nombreuses études d’appareils, aura la responsabilité de la campagne de soufflerie. Christophe Marchand, pilote d’essais chez Bombardier, est le chef-pilote.
Pour préparer l’arrivée des chasseurs, RéplicAir a acquis dernièrement un Nord 3.200, histoire d’entraîner pilotes et mécaniciens à la gestion d’avions plus sophistiqués que le Morane G. Ce dernier va rejoindre pour trois mois la collection du nouveau musée Aeroscopia à Toulouse (inauguré très prochainement) avant d’être présent sur une poignée de manifestations en 2015, sans doute à La Ferté-Alais et au salon du Bourget. ♦♦♦
Photos via Replicair, aeroVFR, GPPA.