Après le colloque organisé par l’EASA à Rome en octobre dernier, portant sur la nécessaire évolution réglementaire pour l’aviation générale – sujet déjà évoqué sur aeroVFR.com – l’IAOPA est revenue, dans ses publications, sur les propos dits et entendus à cette occasion. Florilèges…
Patrick Ky, directeur de l’EASA
– « L’EASA ne répond pas à vos attentes. Nous avons la feuille de route pour l’aviation générale, mais nous devons également changer les mentalités des régulateurs. Leur rôle est de réglementer, et la plupart des règlements concernant l’aviation générale sont issus du monde du transport commercial. Comment former ces régulateurs à avoir une attitude mieux proportionnée vis-à-vis de l’aviation générale ? C’est là le défi le plus important ». Tout est dit, non ? Les promesses d’un retour à la réalité de l’Agence européenne restent ainsi bien à confirmer, notamment par des précisions prévues en avril prochain lors du salon Aero de Friedrichshafen. Il y a là un défi majeur pour l’EASA et sa crédibilité à l’avenir.
Patrick Ky a précisé que 250 décès annuels, pour l’Europe, en aviation générale était un chiffre trop élevé mais qu’il ne croyait pas que la réglementation pourrait corriger cela, l’éducation et l’entraînement étant la clé d’une évolution en matière de sécurité. Patrick Ky a indiqué qu’en 2013, 200 avions ont été détruits en Europe et 600 sérieusement endommagés, contre seulement 170 nouveaux avions immatriculés. Ainsi, la flotte de l’aviation générale régresse. « Pourquoi ? s’est-il posé la question. Est-ce à cause du prix d’achat ? Est-ce parce ce que nous étranglons l’industrie ? ». Il a poursuivi en précisant que le taux d’accident de l’aviation générale américaine était 50% meilleur que celui en Europe. « Pourquoi ? a-t-il à nouveau questionné. Est-ce que la réglementation (américaine) est meilleure, la météo meilleure, la formation meilleure ? ».
Martin Robinson, senior vice-président de l’IAOPA-Europe
Le vice-président de l’IAOPA-Europe lui a répondu qu’une partie du problème était la
suivante : les pilotes européens ne peuvent pas voler suffisamment pour maintenir le niveau de compétence des pilotes américains. Il a précisé que le pilote privé anglais vole en moyenne 30 heures par an. Sait-il que le pilote privé français (statistiques FFA) atteint à peine les 15 heures soit 50% de moins… Les pilotes anglais étant souvent copropriétaires de leurs appareils, il a indiqué que la réglementation avait accru les coûts de maintenance de 25 à 30% et, le budget d’un pilote étant fixe, ceci n’améliorait pas la sécurité mais réduisait les compétences en pilotage.
Il a ajouté qu’il ne faut pas confondre « sécurité » et « absence de risque ». Si selon lui une définition est difficile à trouver, le mot « tolérable » serait le plus approprié. « Nous ne devons pas être complaisants, mais tolérable ne veut pas dire acceptable. Les règlements doivent se concentrer sur les domaines où existe un risque et ils doivent être proportionnés, clairs et transparents ». Martin Robinson a précisé que « les règlements ne réduisent pas les accidents mortels causés par le comportement des pilotes face au risque. Les facteurs humains les plus importants sont issus de l’ignorance et de l’arrogance. L’ignorance peut être corrigée, l’arrogance est plus difficile à gérer. Nous ne pouvons pas légiférer pour protéger les gens vis-à-vis d’eux-mêmes. Mais la meilleure solution en matière de sécurité est un pilote bien formé et apte à évaluer les risques ».
Patrick Gandil, directeur de la DGAC
– « La sécurité est une décision politique. Ce n’est pas la même chose entre des bus et des voitures, ou entre des paquebots et de petits voiliers, et il est impossible de demander à des pilotes privés d’atteindre le même niveau que des pilotes de ligne. Nous devons accepter ce que la société accepte dans tout sport. Skier n’est pas sans risque. Le problème est d’être raisonnable dans la différentiel (ndlr : entre activité privée et professionnelle). Nous devons commencer avec une hiéarchie des risques selon le type d’activité ».
Le patron de la DGAC a indiqué que de nombreux accidents sont dus à la décision du régulateur de rendre difficile la qualification de vol aux instruments, suggérant au passage que l’IMC-Rating anglais devrait être proposé dans tous les pays européens.
La « sur-réglementation est négative pour l’industrie », a-t-il précisé, indiquant que « tout pilote doit savoir aisément les règlements mais que désormais, il est impossible pour un pilote de connaître tous les règlements, même pour un pilote professionnel. La connaissance de l’aviation générale se trouve principalement au sein des organisations concernées et nous devons leur déléguer la gestion de l’aviation générale ».
Grant Shapps, membre du parlement anglais
– « En Grande-Bretagne, nous avons littéralement tué l’aviation générale pendant 30, 40 ou 50 ans en la recouvrant d’une couverture de bureaucratie dans le but de définir des standards de sécurité. Mais nous avons perdu de vue les atouts qui dynamisent l’industrie de l’aviation générale. Vous ne pouvez avoir une industrie si vous faites tout pour que le développement d’un nouvel avion ou la formation des pilotes deviennent difficiles, complexes et coûteux, et si vous exigez tant de paperasse qu’il devient impossible pour le pilote moyen de s’impliquer ».
« L’aviation générale sert de fondation à la communauté aérospatiale, en founissant des mécaniciens, des ingénieurs, des experts en avioniques, des pilotes en formation, l’une des capacités les plus exportables dans le monde et nous semblons penser qu’il est suffisant de suivre les autres. Ainsi, si la FAA fait quelque chose, une décennie plus tard, nous devrions faire de même. Après 15 ans de pilotage, j’ai découvert avec stupéfaction qu’une personne (ndlr : à l’EASA) était « chef du processus réglementaire » (Head of Rulemaking). Le fait que nous ayons des gens dont le métier, à plein temps, est de définir des règlements révèle notre façon de voir en matière de réglementation en Europe. C’est du non-sens et c’est sans fin ».
Grant Shapps s’est interrogé ensuite sur les concepts fondamentaux de la sécurité en aviation générale. « Nous pouvons rendre l’aviation générale sûre à 100%. Nous pouvons prévenir le moindre accident et la méthode pour cela est de réglementer jusqu’au point où il sera impossible de voler. C’est trop souvent l’attitude des législateurs. Nous pensons que des individus sont libres de prendre des risques. Ils peuvent faire de l’escalade, du ski, du base jump, monter à cheval… Pourquoi avoir une vision différente pour l’aviation générale ? Parce que nous réglementons l’aviation générale pour les passagers comme nous le faisons pour les vols commerciaux, et ce n’est pas la bonne voie ».
Pekka Harttu, directeur de la DGAC finlandaise
Ce dernier a précisé que la Finlande comptait un taux de sécurité « significativement moins bon que dans les autres pays » européens, tout en ayant « l’aviation générale la plus réglementée ». Il a indiqué que la Finlande regardait avec envie le taux d’accident anglais en notant que la réglementation y était plus légère et que certaines activités étaient déléguées à des associations ou organisations.
Andrew Haines, patron de la CAA anglaise
– « Je veux rejeter l’idée que réglementation égale sécurité. Je ne le crois pas. Mais nous devons être radical pour changer de mentalité. Il y a sept mesures que nous devons prendre de façon urgente : nous devons beaucoup plus déléguer aux autorités nationales. La vitesse à laquelle l’EASA avance avec 31 Etats est trop lente. Nous ne pouvons pas nous permettre d’avancer au rythme du pays le plus lent et/ou le plus conservateur. Nous tentons de nous efforcer que la situation ne devienne pas pire, ce n’est pas la meilleure stratégie pour une amélioration radicale ».
« Nous devons lever le pied en matière réglementaire. L’introduction d’une limite d’âge pour la pratique de la montgolfière est une absurdité. Nous avons dû le justifier pour faire retirer cette contrainte qui ne repose sur aucune base. Nous devons regarder de près ce que nous faisons en tant que législateurs. Comme exercice, j’ai décidé de voir combien d’examens théoriques PPL je pouvais réussir en consultant simplement quelques notes, sans vrai travail. J’ai raté les trois premiers examens. Dans ces conditions, préparons-nous vraiment les pilotes à voler ? ».
« Martin Robinson m’a emmené sur un aérodrome où se trouvait un appareil dans un état désastreux – mes inspecteurs ne l’avait jamais inspecté. Ils ne sortent jamais de leur bureau. La paperasse est devenue plus importante que d’aller sur le terrain voir la réalité, notamment avec la Part M. Nous devons rendre le processus plus simple pour adopter des modifications qui ont d’évidents avantages en matière de sécurité, pour lesquels les bénéfices en sécurité ont déjà été prouvés. Nous devons également mieux déléguer aux associations, là où se trouvent les compétences. Et le secteur doit être beaucoup plus ambitieux dans cette orientation ».
« Nous devons cesser de réinventer la roue. Il y a beaucoup de choses que l’Europe peu apprendre des USA, mais nous insistons pour développer nos propres solution, telle une mesure de protectionnisme. Et finalement, je souhaiterai voir un test de compétence et d’aptitude physique pour la pratique du pilotage. Il y a des gens qui, de façon évidente, ne devraient pas voler, mais nous n’avons pas les moyens pour leur retirer la licence. Je pense qu’il s’agit d’une décision raisonnable si, à plusieurs reprises, vous avez révélé des comportements inappropriés ». ♦♦♦
Source IAOPA-Europe
Eric Benoit dit
Merci pour cette recension qui, espère-t-on, manifeste l’ouverture d’une nouvelle période pour l’aviation légère.
Le point clé me semble moins le vœux d’une moindre réglementation, que la prise de distance par rapport au principe de précaution. Avec ses effets pervers : des coût en augmentation, une réduction de l’activité de beaucoup de pilotes, et du coup une dégradation de la sécurité.