En aviation certifiée, le manuel de vol est un document longuement réfléchi, rédigé par le pilote d’essais constructeur à la suite d’un programme d’essais en vol destiné à éprouver l’aéronef et à définir ses performances, son mode d’utilisation et ses limitations, mais également un document approuvé par l’autorité de certification. Tout y est normé, des débattements aux efforts aux commandes en passant par la mesure des non-consommables. Il n’est pas possible d’inventer des contraintes non autorisées par la certification même s’il est possible de restreindre certaines utilisations. Le manuel de vol devient alors un document de référence, validant les performances et l’utilisation d’un aéronef.
Dans le monde de l’ULM, c’est un peu différent. Le manuel de vol est rédigé… par le constructeur, parfois unique concepteur agissant en tant que bureau d’études, producteur et vendeur à la fois. Le manuel de vol peut alors offrir une qualité très variable, allant de quelques feuilles de conseils d’utilisation au manuel proche, voire plus complet, de celui de certains avions certifiés il y a quelques années. Mais parfois, le constructeur préfère ouvrir de multiples parapluies pour se dégager de toute responsabilité, au point parfois d’atteindre le ridicule. Ce constat s’avère quelque peu étonnant dans un milieu ulmiste que certains voudraient idéal en matière d’auto-responsabilisation des pilotes…
Ainsi pour tel biplace, « il est interdit de décoller et d’atterrir sur des pistes ayant des obstacles d’un angle supérieur à 4° à leurs extrémités », une limitation qui n’est pas forcément associée à une longueur de piste… Pour tel autre biplace, la Vfe (limitation de sortie des volets) est donnée pour 120 km/h aux pages 2.2 et 2.3 du manuel de vol mais elle passe sans prévenir à 110 km/h à la page 2.9 du même manuel avec le placard des limitations ! Sachant que la finale doit être réalisée entre 90 et 100 km/h, les pilotes formés à son bord doivent être de fins pilotes !
Au niveau des décrochages, on trouve de tout ! L’un ne doit être décroché qu’avec les ailes horizontales. Difficile pour l’instructeur de montrer ailleurs qu’au tableau qu’un 3-axes peut aussi décrocher en virage… Tel autre ULM peut être décroché mais sans abattée (?) – peut-être le résultat d’une mauvaise traduction en français du manuel initial ? L’importateur maîtrise t-il le sujet ? S’agit-il d’interdire les décrochages dynamiques ? Nul ne le sait…
Mieux, tel biplace a pour limitation : « Décrochages intentionnels interdits ». Dans ces conditions, comment mettre en garde un élève lors de sa formation ? Renseignement pris auprès du constructeur, ce dernier interdit l’usage de la voltige pour son biplace et « le décrochage constituant le début de la voltige, les décrochages sont interdits » même si l’appareil se comporte très bien dans cette phase ! Une telle restriction ne serait pas acceptée dans le monde du certifié, pour d’évidentes raisons de sécurité et parce que le cursus du pilote privé impose de réaliser et de gérer des décrochages, en ligne droite et en virage, en lisse et avec les volets. Ne pas le faire serait faire peser sur l’instructeur la menace d’une mise en danger d’autrui. Notons que pour ce biplace « interdit de décrochage », on trouve sur Youtube une vidéo le montrant effectuant sans problème 6 tours de vrille pour obtenir l’homologation anglaise…
Certains constructeurs doivent être frileux. L’un n’autorise en effet son appareil au vol que par des températures supérieures à 0°C. C’est tout juste s’il consent des vols entre 0 et -10°C quand l’appareil est équipé d’un réchauffage carburateur. Seul problème, avec la diminution de la température suite à la détente dans le venturi du carburateur, le risque de givrage est dans les faits plus élevé avec des températures de +5 à +10°C que par -15°C.
D’autres n’aiment pas le vent comme ce constructeur d’un biplace à train tricycle limité à un vent de face de 6 m/s (11 Kt) et moins de 3 m/s de vent de travers (6 Kt). Cela ne laisse pas beaucoup de marges… Si le pilote décolle avec 12 Kt de face (22 km/h), respecte-t-il le manuel de vol ?
Bref, s’il ne viendrait pas à tout pilote normalement équilibré de remettre en cause des limitations fondamentales, définies par un constructeur, comme la Vne (vitesse à ne jamais dépasser), la Vno (limitation en air turbulent) ou encore la Va (limitation du braquage rapide des commandes de vol) – même si parfois on trouve plusieurs valeurs dans un même manuel pour un unique paramètre qui est normalement calculé au km/h près… – on peut se demander parfois quelle réelle valeur ont les manuels de vol de certains ULM. ♦♦♦