Analyse d’une intrusion d’un trafic VFR dans le Réseau très basse altitude (RTBA) de l’armée de l’Air.
Une intrusion d’un monomoteur VFR dans le réseau RTBA de l’armée de l’Air a entraîné un rapprochement anormal avec le chasseur. La proximité et les circonstances de survenue de l’évènement ont justifié une analyse dont sont repris ci-dessous les principaux éléments.
Résumé de l’événement
En juin 2020, alors qu’il surveille le transit d’un Rafale dans le Réseau très basse altitude (RTBA), le contrôleur multiservices du Centre de détection et de contrôle (CDC) « Rambert » détecte un appareil VFR potentiellement conflictuel. Il s’agit d’un DR-400 évoluant en classe G et en contact avec Bâle pour le transit.
En lui donnant un code transpondeur, le contrôle de Bäle a indiqué aussitôt au pilote du DR-400 l’activité des zones R45 du réseau RTBA et le monomoteur est identifié radar. Moins d’une minute plus tard, le contrôleur rappelle au pilote du DR-400 l’activité des R45 et lui délivre une information de trafic concernant un trafic militaire se rapprochant de sa trajectoire. Le pilote accuse réception.
Quinze secondes plus tard, le pilote demande si le cap suivi est bon. Le contrôle lui répond que s’il se trouve en-dessous de 800 ft/sol, cela sera bon. Le pilote répond qu’il est bien sous 800 ft/sol. Le contrôle réitère son information de trafic. Une minute plus tard, le contrôle fait une nouvelle information de trafic et confirme le trafic militaire « à 700 ft » plus bas. Le pilote du DR-400 annonce avoir croisé le trafic militaire de « très près » et signale le trafic dans « ses trois heures, même altitude, un Rafale ». Puis le pilote appelle à nouveau le contrôle afin de relater cet évènement, estimant à chaud que le pilote du Rafale est délibérément descendu sur son appareil.
Malgré plusieurs annonces du trafic conflictuel au Rafale, le pilote va signaler avoir croisé un appareil à environ 50 m et n’avoir entendu aucune information sur le trafic. Au final, les deux pilotes ont effectué un évitement à vue, vers le haut pour le jet militaire, et vers le bas à droite pour le monomoteur VFR, assurant un espacement oblique d’environ 50 m.
Du côté des contrôleurs…
Comment a été géré la situation… Côté militaire, lorsque le contrôleur multiservices du CDC « Rambert » détecte le trafic VFR, le Rafale fait route vers le sud. Il essaie de contacter le pilote sur l’UHF. En l’absence de réponse, il fait néanmoins une annonce concernant ce trafic, l’espacement est alors de 20 nautiques. Il n’est pas rare que le pilote reçoive le message bien que son collationnement ne soit pas reçu côté contrôle. Le contrôleur va ainsi effectuer 7 annonces sur cette fréquence concernant la position du trafic VFR, jusqu’au croisement. C’est suite au croisement que le pilote militaire va contacter le contrôle militaire pour signaler le VFR à une distance estimée de 50 m. Il va également confirmer qu’il n’a reçu aucun message l’informant de la position du trafic VFR, ne veillant pas l’UHF.
L’instruction relative à la gestion et à l’utilisation du RTBA spécifie que seule la fréquence d’auto-info UHF (VHF en dessous de 500 ft SFC et à proximité d’un aérodrome) doit être veillée. Les comptes rendus de position doivent se faire sur cette fréquence d’auto-info. Il n’est donc pas anormal que le pilote n’ait pas veillé cette dernière. Le contrôleur multiservices n’a pas pensé à contacter le chasseur sur la fréquence Détresse ou auto-info malgré le caractère urgent et imminent des messages.
Côté contrôle civil… Après décollage, le contrôle du terrain de départ du DR-400 le fait virer sur une route 080 pour éviter la R45B. Puis le pilote contacte le SIV de Bâle-Mulhouse. Ce dernier lui fait afficher un nouveau code transpondeur, lui demande d’éviter les R45 et lui fait une information de trafic sur le chasseur. Le pilote demande alors si son cap est bon pour éviter les zones, confirmé par le contrôleur à condition d’être sous 800/ft ASFC. Le VFR répond qu’il est bien sous cette hauteur. Le contrôleur lui fait trois nouvelles informations de trafic, jusqu’à ce que le pilote lui annonce le croisement très près, avec l’impression qu’il s’agit d’une manœuvre volontaire du chasseur. L’analyse a permis de démontrer que ce n’était pas le cas.
Du côté des pilotes…
Dans le cockpit du Rafale… Il s’agissait d’une mission d’instruction de suivi de terrain automatique en espace d’entrainement réservé. L’évitement du DR-400 a eu lieu avec une distance estimée de 50 m à la même hauteur. Le Rafale venait de ré-hausser sa consigne de vol de 300 ft/sol vers 1.000 ft/sol, arrivant en fin de tronçon rabaissé. Quelques secondes après la stabilisation à la nouvelle hauteur de vol, le pilote découvre un trafic convergent au même niveau que son avion. Une manoeuvre d’évitement est entreprise avec action au manche à la butée mécanique. De retour sur la trajectoire, la mission est poursuivie. L’équipage confirmera ne pas avoir reçu les annonces trafics faites par la cabine multiservices.
Dans le cockpit du DR-400… Au débriefing téléphonique, le pilote a déclaré avoir eu très peur en voyant le Rafale lui plonger dessus. Il lui a été démontré, à l’aide des restitutions radar de Lyon, Luxeuil et Bâle, qu’il était bien dans le RTBA et expliqué que le chasseur volait en mode de pilotage automatique en suivi de terrain, ce qui donnait l’impression que l’appareil plongeait sur lui, suite au franchissement d’un relief, alors qu’en fait, le pilote militaire ne l’avait pas encore vu. Il a dit voler habituellement au-dessus du RTBA (FL055), mais à cause de la météo avoir été obligé de passer dessous. Il a affirmé ne pas s’être rendu compte d’être dans la zone, navigant à partir de repères du relief qui permettent aux VFR d’être normalement hors RTBA. Il a déclaré que cet évènement lui avait servi de leçon, et que s’il se retrouvait dans les mêmes conditions, il ferait demi-tour.
Les enseignements tirés…
Pour rappel, le RTBA est un « ensemble de zones réglementées reliées entre elles, à l’intérieur desquelles sont définis des itinéraires spécifiques, destinés aux vols d’entraînement à très basse altitude et très grande vitesse utilisant des systèmes autonomes de navigation. Ces tronçons sont définis pour la plupart par rapport à une hauteur sol et non pas une altitude. Il est donc impossible pour un contrôleur de vérifier en temps réel si un appareil est réellement à l’intérieur du réseau TBA ou pas. En effet, il ne reçoit que des informations calées à la pression 1.013 hPa, et ne peut avoir accès ni aux QFE locaux (hauteur par rapport au sol) ni aux hauteurs des reliefs environnants. De plus, ces zones sont situées pour la plupart en dessous du plancher de contrôle. Aussi, les contacts radar ne sont ni fiables ni forcément affichés sur les écrans de visualisation ».
Les zones du RTBA sont activables en toutes conditions météorologiques et leur contournement est obligatoire pendant les périodes d’activation. Généralement les appareils évoluent dans le RTBA en mode suivi de terrain automatique. Le pilote n’assure pas la prévention des abordages vis-à-vis des autres aéronefs.
L’analyse de cet évènement a mis en lumière l’impossibilité pour le contrôleur militaire en charge de la surveillance du RTBA de connaître l’altitude exacte des trafics détectés à l’approche du RTBA potentiellement conflictuels avec l’appareil militaire évoluant dans le réseau. Ainsi le contrôleur ne peut que fournir toute l’aide possible au pilote commandant de bord afin d’attirer son attention sur les trafics détectés à proximité, le pilote restant responsable de son anti-abordage.
Cet évènement a également mis en lumière la difficulté pour un pilote VFR de passer sous le RTBA en connaissant sa hauteur de vol de manière précise à l’endroit où il se trouve. Le relief entraîne de fait des variations d’altitude du réseau RTBA publié au QFE. La météo empêchant le pilote de monter ainsi que la volonté de rejoindre sa destination empêche ce dernier d’envisager la possibilité de faire demi-tour et engendre un phénomène de tunnelisation côté bord, bien connu comme facteur humain pour le contrôle aérien.
Par ailleurs, sur les cartes du SIA, une altitude maximum est publiée par rapport au QNH zonal, qui correspond à l’altitude maximum du réseau sur tout le tronçon. Ainsi en transitant au-dessus de celle-ci dans les limites latérales du tronçon, un pilote VFR est certain de ne pas faire d’intrusion dans le réseau.
Les facteurs contributifs à l’événement
– Contexte extérieur, météo, autre, nébulosité : la météo a empêché le DR-400 de passer au-dessus du RTBA comme habituellement.
– Gestion de la situation, analyse de la situation, représentation mentale erronée, mauvaise estimation de la hauteur de vol : le pilote du DR-400 est persuadé d’être sous 800/ft ASFC pour passer sous le RTBA.
– Facteurs humains, oubli, absence de contact radio sur détresse/auto-info : le pilote du Rafale ne reçoit pas les informations de trafic émises par le contrôleur sur la fréquence UHF, le contrôleur ne pensant pas à le contacter sur la fréquence Détresse ou auto-info.
Compte-tenu de l’importance du rapprochement entre le VFR et le Rafale en évolution dans le RTBA, l’événement a été classé globalement en Incident grave (en Incident important pour le contrôle compte-tenu de la mission particulière qu’est le RTBA et le service fourni par le contrôleur militaire : information de trafic au pilote du Rafale afin de l’informer d’un trafic potentiellement conflictuel dont il est impossible de connaître la hauteur réelle). La probabilité d’une nouvelle occurrence a été jugée faible.
Parmi les recommandations…
Le rapport rappele aux pilotes VFR de privilégier le franchissement par le dessus du RTBA, particulièrement en ce qui concerne les tronçons commençant à 800 ft/sol laissant une faible marge d’erreur compte tenu de l’altitude minimale de 500 ft en circulation aérienne générale (VFR). Ndlr : il faut rappeler aussi que certains tronçons vont jusqu’au sol…
Il est rappelé à la Direction des services de la Navigation aérienne (DSNA) de « s’assurer dans les outils de préparation de vol DSNA de la prise en compte de la particularité du réseau RTBA et d’un accès facilité pour les pilotes VFR dans le cadre de la préparation de leurs vols en veillant à la disponibilité de celui-ci », point assuré par la mise à disposition des cartes AZBA au jour et du lendemain sur le site du SIA. ♦♦♦