Premier vol du prototype de nouveau biplace français de voltige développé par Aura Aéro.
Le prototype du biplace de voltige Intégral développé par la société toulousaine Aura Aero, sous la forme de la version R (train classique, Lycoming AEIO-390 de 210 ch), a effectué son premier vol hier à partir de l’aéroport de Toulouse-Francazal. L’équipage d’essai était composé de Eric Delesalle en place gauche et Hervé Poulin en place droite. Dans le domaine des essais en vol, il ne faut jamais travailler sous pression notamment médiatique d’où ce premier vol en toute discrétion… Aura Aéro a annoncé la diffusion en direct sur sa page Facebook du premier vol « public », c’est prévu semaine prochaine.
Ce premier vol de l’Intégral en version R intervient près d’un an après la première présentation officielle de l’ébauche du prototype au salon de l’aéronautique et de l’espace au Bourget, en juin 2019. Ce projet a pris forme il y a quelques années autour de plusieurs membres de l’association Réplic’air. Celle-ci a réalisé en 2013 une réplique du Morane H de Roland Garros pour sa première traversée de la Méditerranée un siècle plus tôt, entre Fréjus et Bizerte. Réplic’air s’est lancée ensuite dans l’aventure de reconstruire un Dewoitine D-551, le successeur du D-520 qui ne prit jamais l’air, le prototype étant détruit par l’occupant en 1940
– le chantier se poursuit en région toulousaine…
Les instigateurs du projet d’avion biplace de voltige au sein d’Aura Aéro ont été Jérémy Caussade (président et ingénieur en chef), Fabien Raison (responsable du bureau d’études, en charge de la production), Wilfried Dufaud (responsable technique), trio complété de Sylvain Mariat (désigner), Nils Harald Hansen (ingénieur, voltigeur de haut-niveau) et d’autres membres en grande partie issus de Réplic’air. Ont rejoint par la suite le projet Simon de la Bretèche (voltigeur, triple champion d’Europe individuel Advanced en 2009, 2011 et 2013, champion du monde Advanced 2010 et 2012) comme ingénieur systèmes et Baptiste Vignes comme pilote de marque (instructeur voltige, champion du monde Advanced en 2010). Ce dernier, une fois l’ouverture du domaine de vol effective, sera chargé de la mise au point orientée « voltige » ainsi que des démonstrations.
Pour Aura Aéro, il s’agissait à la base de relancer l’avion de voltige de conception française, dans le sillage des Cap des Avions Mudry et des CR-100 de Dyn’aéro. Pour cela, l’état des connaissances techniques sur le sujet a été réalisé dans un premier temps en s’appuyant sur l’expérience acquise par Jean-Marie Klinka (ancien directeur technique des Avions Mudry, à Bernay), d’où des longerons de voilure et de fuselage réalisés en bois-carbone. Un clin d’oeil – pour le remercier de son aide sur la définition de la structure et du profil d’aile – se retrouve dans l’immatriculation du prototype…
Le profil de voilure est une « nouveauté » sorti des tiroirs de J.-M. Klinka. Dans les années 1970, les aérodynamiciens de la Société nationale des industries aéronautiques et spatiales (SNIAS, devenue Airbus par la suite) ont obtenu un marché pour développer de nouveaux profils. MM. Lazaref et Colomban (oui, le concepteur des MC-10 CriCri, MC-100 Banbi et MC-30 Luciole…) vont ainsi définir de nouvelles familles de profils pour l’aviation générale dont le profil V16FD utilisé sur les Cap-230, 231 puis 232, les Cap quittant ainsi la famille des profils Naca (Naca 23012 notamment pour le Cap-10B, un profil datant de la fin des années 1930 et utilisé sur certains chasseurs de 39-45). Les essais des nouveaux profils français seront menés dans la soufflerie S10 du CEAT à Toulouse.
Le V12FD, dérivé du V16FD (12 et 16 pour l’épaisseur relative du profil), ne sera pas utilisé car à l’époque, l’épaisseur relative importante permet une structure plus légère par la hauteur accrue du longeron. Avec l’arrivée du carbone, il est désormais possible de gagner en traînée avec une épaisseur relative moins importante, permise par les matériaux composites associés au bois. Ainsi, la voilure de l’Intégral est une génération de forme en plan proche de celle du Cap-232 mais avec ce profil V12FD « inédit ».
Deux modèles de biplace côte-à-côte sont prévus, partageant les mêmes dimensions, à savoir 7,26 m de longueur pour 8,78 m d’envergure et 2,46 m de hauteur. Les motorisations bénéficient d’un allumage électronique (15% de gain en consommation annoncés pour 6% de puissance supplémentaire). Tous deux bénéficient de sièges et de réservoirs anti-crash mais aussi d’un parachute de cellule. Les facteurs de charge à 730 kg (monopilote) sont de +9/-9 g.
– Intégral S : avec Lycoming AEIO-360 de 180 ch à pas fixe ou variable, et train tricycle fixe. Avec 950 kg de masse maximale au décollage, la vitesse de croisière au FL080 et à 75% de la puissance est donnée pour 315 km/h (Vne de 390 km/h et décrochage à 90 km/h). Les 175 litres de carburant offrent une distance franchissable de 1.111 km.
– Intégral R : avec Lycoming AEIO-390 de 210 ch à pas fixe ou variable, et train classique fixe. La croisière passe à 335 km/h, les autres données restant identiques.
La mise en croix du prototype de l’Intégral R a été réalisée le 25 mai dernier, les premiers essais moteur le 4 juin, les premiers roulages le 8 juin, les essais de roulage à grande vitesse lors du dernier week-end avant un premier vol prévu début juin initialement mais repoussé pour valider les essais sol et fonction des conditions météorologiques.
Revenons sur l’équipage d’essai du premier vol…
– Eric Delesalle a débuté sa carrière par l’armée de l’Air, via l’école de l’Air en 1979. Devenu pilote de chasse, il a commandé par la suite un escadron de Mirage F-1 à Reims. Après un passage par l’Ecole du personnel navigant des essais et de réception (Epner) à Istres, il est devenu pilote d’essais, pour l’armée dans un premier temps puis pour le compte d’Airbus. Il totalise désormais 8.500 heures de vol sur plus de 80 types différents, allant de l’ULM au Rafale en passant par l’A380. Il a également participé au sein de Novespace aux vols paraboliques aux commandes de l’A300B puis de l’A310 « Zero G », accomplissant ainsi plus de 7.000 paraboles. Il est désormais directeur des essais en vol chez ATR, ayant complété sa formation technique par un master en facteurs humains, notamment dans la conception des interfaces homme-machine en aéronautique.
– Hervé Poulin a été pilote d’essais au sein du Centre d’Essais en Vol (CEV, aujourd’hui DGAC-Essais en vol) et a également été par le passé pilote démonstrateur du Vautour. Lorsque Réplic’air a fait voler sa réplique de Morane H lors du centenaire de la traversée de la Méditerranée en 2013, Hervé Poulin a été l’un des quatre pilotes d’essais en charge de la mise au point de cette réplique qui a retraversé la Méditerranée sur les traces de Roland Garros. Il a également fait partie des pilotes de Novespace pour des paraboles en Airbus afin de créer quelques secondes d’apesanteur dans la cabine.
Avec ses Intégral, Aura Aéro vise les marchés de la voltige sportive (formation et compétition) mais aussi les formations civiles et militaires et l’aviation de loisir (voyage). Si la certification CS-23 est visée, le concept sera diffusé dans un premier temps via la réglementation du CNSK (construction en kit). Le premier appareil de série sera destiné à Dijon Voltige Aerobatics avec une date de livraison prévue au deuxième semestre 2021, après l’acquisition du certificat de type. Auparavant, le premier Intégral R aura été livré fin 2020 à Midi Pyrénées Voltige sous la forme d’un kit.
Aura Aéro se dimensionne au niveau de son outil de production pour une capacité de 30 à 50 machines par an. Les structures en bois-carbone seront réalisées par la société normande Air Menuiserie (Bernay), animée par des anciens des Avions Mudry. Au passage, cette société dispose de l’agrément pour transformer les Cap-10B en Cap-10BK avec l’arrivée du carbone dans les semelles de longerons de voilure afin de redonner la totalité du domaine de vol au biplace produit jadis à Bernay – une modification définie par J.-M. Klinka et validée par l’EASA. La ligne d’assemblage des Intégral R et S, avec le bureau d’études, un atelier carbone et le service après-vente, sera implantée à Cugnaux, sur la zone industrielle de l’ancienne base de Toulouse-Francazal. Le programme de développement prévoit une cinquantaine d’employés fin 2021. ♦♦♦
Photos © Aura Aéro