Ce qui est bien avec l’IAOPA Europe, c’est que la puissante organisation européenne communique réellement vers les usagers de l’aviation générale…
Dans sa newsletter de décembre, l’IAOPA-Europe passe en revue quelques dossiers récents, dont voici une synthèse en français de certains sujets (passage repris entre guillemets).
– Du contrôle aérien et l’aviation générale : « ce n’est un secret pour personne que l’aviation générale ne bénéficie pas du plus haut niveau de priorité au niveau des fournisseurs de services de la navigation aérienne en Europe, principalement du fait que ces derniers tirent en grande partie leur budget de fonctionnement des compagnies aériennes ». Mais l’IAOPA-EUrope se dit « choquée de lire dans un magazine sur la gestion du trafic aérien que le directeur du NATS (Grande-Bretagne) Martin Rolfe trouve que le système est « perverti » quand l’EASA veut encourager un meilleur accès au vol aux instruments ». L’association trouve que cette réaction est révélatrice du mode de pensée des « hautes sphères » de nombreux services de la navigation aérienne en Europe. CQFD.
S’il est « clair que les services de la navigation en Europe rencontrent actuellement de nombreux problèmes, l’aviation générale est un acteur naturel de l’aviation, que ce soit en conditions VFR ou IFR. Bénéficiant d’un monopole, le service de contrôle aérien n’est pas autorisé à choisir ses clients favoris, parce qu’ils seraient plus rentables. Bien sûr, l’aviation générale est également demandeuse du meilleur service possible ».
Ainsi, « la qualité du service ne doit pas être affectée, bien sûr, par le fait qu’une décision soit prise sur la base d’une politique des infrastructures, comme notamment l’exemption des redevances de route IFR pour les avions légers de l’aviation générale (sous les 2 tonnes de masse maximale au décollage). On oublie souvent que les propriétaires de ces avions payent des taxes sur l’énergie via le carburant consommé, dont les montants finissent dans les caisses du ministère des Finances. Alors que les compagnies ne paient pas un seul centime de telles taxes mais par contre des redevances de contrôle aérien ».
« Le nombre de vols IFR au sein de l’aviation générale diminue et reste bien éloigné de son plein potentiel. Du fait que la formation IFR est trop compliquée, du fait que les petits aérodromes ne peuvent bénéficer de procédures IFR qu’après d’énormes efforts, du fait que le contrôle aérien ne souhaite pas maintenir des capacités dans les espaces aériens inférieurs… nombreuses sont les raisons. Pour stopper cette tendance, nous devons balayer ces causes. Du fait que le vol IFR contribue à améliorer la sécurité des vols et offre une utilisation des avions et des aérodromes plus économique et moins dépendante de la météo, nous sommes désormais en demande et nous continuerons à rechercher un dialogue avec le contrôle aérien et l’EASA ».
– Retours de la conférence EASA à Vienne : les 6 et 7 novembre dernier, l’EASA tenait à Vienne une conférence sur l’aviation générale, avec 300 personnes inscrites. Après celle de 2014 à Rome (où fut introduite la « General Aviation Roadmap » avec le souhait de réduire la sur-réglementation), c’était la seconde conférence dévolue entièrement à l’aviation générale. Cette fois, le slogan (pourtant bien éculé…) était « Des règles plus légères, meilleures et plus simples pour l’aviation générale ».
Le « directeur executif de l’EASA, Patrick Ky, demeure ambitieux et vise un développement positif pour l’aviation générale, sous le titre « GA Roadmap 2.O ». L’EASA se serait donné « deux objectifs concrets. L’aviation générale, l’aviation privée devrait devenir plus sûre et plus abordable. Deux objectifs qui se complètent car l’augmentation des coûts a aussitôt un impact négatif sur l’activité des pilotes : ils volent moins, le niveau d’expérience baisse et les risques augmentent ». On rajoutera que ce constat remonte à la nuit des temps et qu’il fallait bien cette conférence pour le répéter une nouvelle fois !
L’IAOPA-Europe est satisfaite que « certaines paroles d’auto-critique aient été entendues. Patrick Ky a ainsi expliqué qu’il était difficile de comprendre pourquoi il fallait 6 années pour améliorer les exigences en matière de maintenance. Les procédures administratives doivent simplement être plus rapides. La Commission européenne est également consciente des problèmes. Un manque d’experts juridiques a été rencontré dans la publication des règlements. Selon Filip Cornelis, chef du département Aviation de la Commission européenne, cet étranglement a apparemment été éliminé et le personnel nécessaire a été embauché ». Tout est dans le « apparemment » !
Parmi la question la plus débatue, figuraient les difficultés de « prise en compte de la nouvelle réglementation pour l’aviation générale. L’EASA a affirmé qu’elle devait s’impliquer plus fortement en fournissant plus tôt les règlements aux différentes autorités de l’aviation civile. Faire des audits tous les deux ans et critiquer des pratiques imparfaites n’est visiblement pas suffisant. En terme de licences, une petite amélioration a été ressentie : l’acquisition de la qualification IR (Instrument Rating) a été simplifiée, le LAPL se vend bien auprès des écoles de pilotage. Pour la suite, l’EASA prévoit de simplifier la formation des instructeurs de vol de pilotes PPL, car on constate un manque d’instructeurs. Dans ce but, il est prévu d’abandonner l’exigence du théorique CPL comme prérequis d’avant formation dès le début 2019 ».
Si le constat d’un manque d’instructeurs est effectivement ressenti en France, avec notamment l’aspiration actuellement par les compagnies de jeunes pilotes professionnels qui ne passent plus par la case « instruction » avant d’atteindre un cockpit d’avion de ligne, il reste important que le niveau théorique de l’instructeur soit supérieur à celui de l’élève… Le tout est de savoir où placer la barre… en évitant les mouvements de balancier tous les 5 ou 10 ans ! En France, on se rappelle qu’à une époque, un pilote professionnel qui suivait par la suite un stage instructeur n’avait pas toujours les mêmes droits qu’un instructeur suivant un stage CPL, une situation que certaines bureaucraties savent bien inventer pour simplifier l’activité.
L’IAOPA-Europe indique qu’un autre sujet de débat fut « la nécessaire innovation ». Les « moteurs et les cellules ont peu évolué durant les cinquante dernières années. Mais il y a certainement des évangélistes d’un nouvel âge de l’aviation générale. « Amenez vos enfants à l’aérodrome, montrez-leur les vieux avions car bientôt ils ne seront plus là » fut l’argumentation du patron de Pipistrel, Ivo Boscarol (Slovénie). Frank Anton (Siemens) prévoit aussi la fin des moteurs à combustion interne, le futur de l’aviation générale passant par des avions électriques, plus économiques et plus écologiques par rapport aux avions conventionnels ».
« Malgré tout l’enthousiasme pour de nécessaires innovations, l’IAOPA-Europe précise à juste titre qu’il demeure de sérieux doutes sur le fait que les avions électriques vont assurer la relève rapidement. Nous ne démantèlerons nos vieux avions école que lorsque les nouveaux avions électriques seront produits en masse et diffusés ».
– Expérience sur simulateur du passage en IMC : durant la « convention sur la sécurité à Vienne, l’EASA a annoncé la création d’un portail pour la promotion de la sécurité en aviation générale. Le chantier a démarré dans le cadre d’une nouvelle stratégie de la promotion de la sécurité par l’EASA et cette stratégie prendra une nouvelle et innovante approche. L’une des premières initiatives concerne le passage en conditions IMC d’un vol IFR ».
« Il est important d’aider les pilotes à comprendre comment éviter une telle situation via une bonne préparation vol et en réactualisant leurs connaissances en météorologie, ainsi qu’en découvrant les actions qu’un pilote doit effectuer si une telle situation intervient lors d’un vol. L’EASA a invité 12 pilotes à prendre part à une expérience sur simulateur. Ils seront filmés lors d’un passage en conditions IMC avec un scénario développé par des instructeurs et des experts météorologues. Ils seront ensuite interrogés pour connaître leur ressenti. De plus, un second groupe de pilotes fera de même après avoir reçu des techniques de base pour les aider à gérer une telle situation afin de mettre en avant comment les pilotes peuvent mieux se préparer à gérer un tel danger ».
Cette expérience se déroulera les 13 et 14 mars prochains. La date limite pour les candidats potentiels est fixée au 25 janvier 2019. Les frais de déplacement seront pris en charge par l’EASA pour l’aller-retour en Allemagne. Lien vers la page du site EASA sur cette expérimentation.
– Quand des Autorités font de la résistance… L’IAOPA-Europe a déjà demandé par le passé à recevoir toute information prouvant que des autorités nationales n’appliquent pas la réglementation européenne ou utilisent des interprétations différentes d’un pays à l’autre. Car si tous les pays doivent appliquer une même réglementation, « ceci est la théorie » et certains pays n’adhèrent pas au concept.
Et l’IAOPA-Europe de citer l’Allemagne où il n’est « toujours pas clair si vous pouvez voler en IFR en classe G ou si vous avez besoin d’une ou de deux VHF 8.33 kHz ». La réglementation européenne le permet clairement mais certaines autorités aéronautiques allemandes ont encore des problèmes pour intégrer la réglementation européenne. Elles ont été rappelées à l’ordre à plusieurs reprises. Mais cela prend des… années pour qu’une telle procédure soit initiée et aboutisse. Et il est alors bien trop tard pour les utilisateurs concernés ».
« Comment résoudre le problème ? Contacter l’EASA comme médiateur dans ce contexte, qui a la capacité à interpréter ses problèmes règles, devrait être évident et utile. En tant qu’IAOPA-Europe, nous avons répété une telle proposition, et avec l’entrée en force de la nouvelle EASA Basic Regulation en septembre 2018, la situation a radicalement changé. L’article 62 sur la « Certification, la supervision et le renforcement » dans la nouvelle réglementation 2018/1139 précise au point 11 que l’EASA (citée comme « l’Agence ») peut être contactée par des citoyens ou entrepreneurs pour corriger des difficultés dans l’application d’une réglementation européenne à un niveau national ».
« Là où des différences dans l’application des règlements entraînent des difficultés significatives, l’Agence et les autorités nationales des Etats-Membres concernés doivent coopérer pour établir les divergences et, si nécessaire, les éliminer sans délais. Si les différences ne peuvent pas être surmontées, l’Agence présentera le dossier auprès de la Commission ». L’IAOPA encourage donc les pilotes à faire usage de cette nouvelle possibilité, obtenue après tant d’années… de résistance. L’IAOPA est à écoute via le mail newsletteriaopaeu@hotmail.com
Dans le domaine de la « résistance » et de la mauvaise volonté mise à appliquer la réglementation européenne, l’Aviation civile danoise a sans doute tiré le gros lot si l’on en croit deux exemples cités par l’IAOPA-Europe.
Dans le premier cas, l’Autorité danoise a « perdu un procès en décembre dernier intenté par un pilote dans le cadre des règles du partage des frais lors d’un vol. L’Autorité danoise insistait sur le fait que le coût devait être partagé à parts égales entre tous les occupants de l’avion, alors que la part du pilote avait atteint seulement 30 euros sur un total d’environ 230 euros. Pour cela, le pilote risquait une amende de 10.000 euros et le retrait de sa licence ! ».
« La réglementation européenne exige seulement qu’il n’y ait pas de bénéfice et que les coûts soient partagés entre toutes les personnes à bord d’un avion, pilote compris. Elle n’exige pas que le montant soit partagé en parts égales. Pour cette raison, la cour de justice danoise a conclu que le pilote n’avait pas violé la règle européenne de partage des frais et l’Autorité danoise a perdu ».
Ce dossier venait juste après une autre affaire où « l’Autorité danoise a été déboutée par le procureur public. Un pilote d’hélicoptère était condamné pour avoir volé sous 1.000 ft alors qu’il atterrissait dans une zone industrielle. Ceci aurait été illégal sous la précédente réglementation nationale et l’Autorité danoise a refusé de prendre en compte que c’est désormais légal selon la réglementation européenne actuelle Part-SERA. L’Autorité danoise a interdit au pilote de décoller et a imposé le transport de l’hélicoptère par camion, entraînant le blocage au sol de l’appareil, suite à une opération de maintenance nécessaire après le transport routier. Désormais, le pilote exige une compensation pour le transport routier, l’inspection de maintenance et les frais de justice ». Une histoire qui fait plaisir quand un ex-législateur n’a pas encore compris qu’il n’est plus qu’une simple succursale de l’EASA et doit appliquer la réglementation européenne et non plus celle des décennies passées… Mais il est difficile de faire évoluer les mentalités après tant d’années…
– L’après Brexit… si les institutions aéronautiques, les compagnies aériennes et l’aviation générale souhaitent rester au sein du système EASA, l’Europe voit d’un autre oeil le Brexit prévu pour le mois mars prochain, la Grande-Bretagne quittant l’Europe, système aéronautique compris. L’IAOPA-Europe note que les Anglais « ont dépensé beaucoup de temps et d’énergie pour le développement de l’EASA. De nombreux éléments du système EASA sont le fruit de l’influence anglaise (Ndlr : au passage, il faut saluer le fait que c’est bien l’action volontariste de l’IAOPA-Europe qui a renvoyé dans les tiroirs le projet d’ATO (Approved Training Organisation) pour tous, réaction ayant imposé à l’EASA de proposer après trois années de… dure réflexion le concept de DTO (Declared Training Organisation) ».
Ainsi, « rester dans le système EASA devrait être possible pour le Royaume Uni en tant que non-Etat-Membre de l’Europe, comme c’est déjà le cas pour la Suisse et la Norvège » mais « un EASA Brexit semble inévitable car primo, l’Angleterre devra accepter la Cour européenne de justice comme dernier recours en cas de litige. Secundo, la Grande-Bretagne devra abandonner ses droits de vote au commité de l’EASA. Tertio, elle devra payer à Bruxelles une redevance de plusieurs millions d’euros pour utiliser ses règlements. Ces trois points sont difficilement acceptables » pour les adeptes d’un Brexit « dur ».
« Comment le Brexit EASA va affecter l’aviation générale européenne ? On compte quelques pilotes dans les pays du continent qui ont obtenu leur licence de pilote au Royaume Uni. La CAA anglaise est connue pour son service rapide et excellent. Pour la même raison, de nombreux opérateurs d’avions en Europe continentale utilisent des avions immatriculés en Golf ».
« Ces pilotes et propriétaires/opérateurs d’avions devraient de façon urgente considérer comment le Brexit va affecter leurs opérations et doivent prévoir la « délocalisation » de leurs licences et de leurs immatriculations vers un pays EASA avant le Brexit EASA. Il y a un risque certain qu’après le Brexit, ils seront considérés comme « Pays tiers », avec les restrictions pénibles rencontrées par les titulaires de licences américaines il y a quelques années ainsi que par les propriétaires d’avions immatriculés en Novembre ».
« Par exemple, un pilote titulaire d’une licence britannique ne sera plus autorisé à voler sur un avion immatriculé en Europe sans une validation par le pays d’immatriculation. De façon similaire, si vous volez sur un avion immatriculé en G avec une licence non-anglaise, il vous faudra aussi une validation à partir de mars prochain si vous volez en dehors du Royaume Uni. Quelle que soit votre décision, n’attendez pas la dernière minute. La CAA anglaise a précisé qu’une demande de transfert d’une licence devait être soumise avant la nouvelle année pour être certain qu’elle sera établie à temps avant la date du Brexit ».
« En réponse à nos questions, les officiels de la CAA britannique, au-delà des recommandations qu’ils peuvent donner, ont précisé : « Honnêtement, nous ne savons pas et nous ne sommes pas autorisés à spéculer. Mais vous avez intérêt à être certain d’être du bon côté… ». Martin Robinson, directeur de l’AOPA-Royaume Uni n’est pas très optimiste sur sur le maintien du pays dans le système EASA. « L’information à l’instant t que j’ai est que la Grande-Bretagne ne restera pas dans l’EASA. Le Premier ministre a indqiué que la relation future avec l’EASA devra être basée sur les capacités et le format légal interviendra dans la phase d’après négociations quand la Grande-Bretage aura déjà quitté l’Union européenne. Nous avons également décidé de nous retirer du programme Galileo ! » (Ndlr : programme européen de GPS en cours de mise en place dans l’espace…). ♦♦♦
Photo © F. Besse. Traduction assurée par aeroVFR.com Lien vers la version intégrale en anglais.