Retour sur un concept qui revient régulièrement à la surface…
Début juin, Youssef Oubihi, pilote privé breveté en 2013 à Pontoise, a mis en place la « première plate-forme française de coavionnage », proposant ainsi gratuitement de mettre en relation des pilotes privés et toute personne souhaitant profiter de places disponibles dans des avions privés, afin de faciliter les voyages… Ce projet a bénéficié d’une bourse French Tech de la part de la Banque publique d’investissement (Bpifrance).
Le site coavmi.com est ainsi mis gratuitement à disposition des pilotes privés français souhaitant proposer une balade d’un point A à un point A ou un voyage d’un point A au point B. Les personnes souhaitant profiter de places disponibles peuvent alors consulter les offres mises en ligne. A « la fin du vol, le pilote et le(s) passager(s) s’évaluent réciproquement sur le site »…
Dans les faits, un pilote privé a le droit d’embarquer des passagers à bord d’un avion s’il partage les frais entraînés par le vol avec toutes les personnes à bord, y compris lui-même – dans le cas contraire, cela serait assimilé à du transport commercial, ce qui est contraire à la réglementation concernant les pilotes privés. Ceci se fait déjà en aéro-club, jusqu’à 6 personnes à bord, avec plusieurs pilotes du même club pouvant alors partager les frais lors de plusieurs étapes durant une navigation, ceci permettant d’aller plus loin à plusieurs…
C’est encore le cas pour un pilote faisant partager son activité de pilotage aux membres de sa famille, des proches, des amis, voire des amis d’amis mais cela reste toujours dans le cadre de son « réseau personnel ». Ce n’est plus le cas si la relation mise en place concerne des personnes ne se connaissant pas au préalable, comme souhaite le faire le site coavmi.com A noter que l’offre envisagée doit être étendue à l’avenir à l’Europe de l’Ouest afin de pouvoir « rejoindre de nombreuses villes européennes ».
Ce sera donc la rencontre de deux mondes bien différents. D’un côté, un monde de passion et de technique, avec la gestion de multiples contraintes (organisationnelle, météorologique, réglementaire pour n’en citer que certaines) et de l’autre, un monde recherchant une solution utilitaire pour aller d’un point A à un point B. Le public pouvant être touché par l’offre a toutes les chances d’être béotien en matière aéronautique, non-initié aux limitations du vol VFR, « moyen rapide pour gens pas pressés » alors qu’on lui parle de réaliser « des trajets plus flexibles ».
Le « client » comprendra-t-il, contrairement à l’avion de ligne, que l’avion léger ne partira pas si toutes les places offertes n’ont pas été vendues ou que le prix de la place augmentera subitement dans le cas contraire. Le passager comprendra-t-il que les conditions météorologiques en route peuvent imposer un déroutement et que le terrain de destination visé ne sera jamais atteint ou du moins pas à l’heure espérée. Quelle sera sa réaction en cas de demi-tour en vol pour raison météo, voire dans le meilleur des cas, face à la décision du pilote de ne pas partir pour raison météo à destination alors qu’il fait grand beau temps sur le terrain de départ ?
Mais dans d’autres cas, le pilote aura une pression de plus sur les épaules à gérer, celle de passagers souhaitant réaliser le vol prévu. C’est déjà le cas parfois lors de vols réalisés pour le compte de proches quand le pilote ne sait pas toujours dire « Non » et qu’il décolle malgré des conditions non optimales, avec une part supplémentaire de stress.
Il suffit de lire quelques comptes-rendus sur le site du BEA ou des Rex pour savoir que de telles situations peuvent voir le jour et cela risque d’être encore plus le cas avec des tierces personnes. D’où la possible survenue de situations accidentogènes qu’il n’est sans doute pas souhaitable de voir appliquer à une population encore plus élargie…
Ainsi, en nouant une telle relation entre un pilote et des passagers inconnus auparavant, il faut bien prendre en compte des enjeux en matière de responsabilité, surtout dans une société où la judiciarisation peut s’avérer extrême, avec notamment un milieu judiciaire souvent peu au fait des contraintes et limitations de l’aviation légère, où la disparité des licences (PPL, LAPL, ULM) et des machines (ULM, VLA, CS-23, construction certifiée ou construction amateur) rend difficile la compréhension par des non-initiés de différentes subtilités. Ainsi, la responsabilité des dirigeants du club propriétaire de l’avion utilisé pourrait être également recherchée en cas d’accident.
L’instigateur de coavmi.com entend rassurer les passagers potentiels en précisant que « les profils des pilotes sont systématiquement validés ». Dans les faits, cette « validation » semble s’arrêter à la licence et à la visite médicale (en plus de la vérification de l’email, du numéro de téléphone et de l’identité du pilote), des « papiers » ne donnant aucune indication sur le niveau de compétence du pilote concerné. Surtout quand on sait que l’être humain n’a pas une propension exagérée à savoir s’auto-évaluer, chaque pilote pensant souvent être meilleur qu’il ne l’est dans la réalité !
L’offre des pilotes pouvant porter sur l’usage d’avions ou d’ULM, on note sur une offre ULM mise en ligne que la visite médicale a été « vérifiée » alors qu’aucune visite médicale n’est exigée d’un pilote ULM, hormis un certificat de non contre-indication à la pratique du pilotage exigé seulement par la FFPLUM lors de la première année de licence fédérale…
Appel est également fait aux « 40.000 pilotes privés français » revendiqués par la FFA, alors qu’environ 30% de l’effectif (14.000) sont en cours de formation et non brevetés. Sur les 25.000 brevetés (PPL, LAPL, BB et CPL), une grande majorité ne font pas plus de 12 ou 13 heures de vol annuelles (soit très près du minimum réglementaire) et donc réalisent peu ou pas de voyages.
Les « voyageurs » réguliers, allant au-delà de 400 km du terrain de base, ne doivent pas dépasser le nombre de 5.000 pilotes dont très peu vont au-delà des frontières… Quant aux pilotes volant sur bimoteur ou jet, on ne les voit pas s’embêter à partager des frais avec des inconnus et à s’ajouter des contraintes supplémentaires s’ils ont déjà les moyens financiers de leur pratique sur de telles machines…
C’est pour ces raisons que l’idée de coavionnage dans le domaine de l’aviation légère (essentiellement sur monomoteur à piston et en conditions VFR donc) s’avère être une fausse « bonne idée », excellente sur le papier, « complexe » ou « délicate » à mettre en pratique pour ne pas dire plus. C’est pour cela qu’aeroVFR.com n’a pas souhaité mettre en place une collaboration avec coavmi.com comme l’aurait voulu son créateur. L’avenir dira qui aura eu raison… ♦♦♦
Edit : il semble qu’un autre site français (OffWeFly) se soit lancé dans la même voie, avec une présentation détaillant mieux les enjeux (compétences des pilotes, contraintes météorologiques, niveau de sécurité moindre qu’en aviation commerciale, etc.) mais les problèmes évoqués ci-dessus demeurent identiques !
tontongege dit
Tout cela est bel est bien mais encore faudrait-il que la présentation de ce chef d’entreprise soit exacte. En effet, contrairement à ce qui est écrit, M. Oubihi n’est pas breveté depuis 2013 mais seulement depuis juillet 2015. Et il n’a à son actif que très peu d’heures de vol.
En outre, sur le site Coavmi, le pilote « transporteur », affiche, pour un trajet X, une somme fixe par passager transporté. ll ne s’agit donc plus de partage des frais car, en aviation légère, il n’est jamais possible de prévoir exactement le temps qu’on va mettre pour effectuer le trajet projeté (déroutements, évitements de zones, problèmes météo…).Et donc de connaître exactement le coût du vol. Celui-ci se payant généralement à la minute.
Donc Coavmi (tout comme ses concurrents) fait bien de la billetterie et, partant, du transport public de passagers. Avec des avions d’aéro-club qui, en aucun cas, ne sont assurés pour ce genre d’activités.
En cas d’accident, bonjour les dégâts!
manu dit
Le but n’est pas de faire du profit sur un vol mais de partager un vol avec les frais équitables qui vont avec. Il ne faut pas sombrer dans la promesse d’un vol garanti pour aller d’un point A à un point B et c’est bien précisé sur chaque site. le pilote peut annuler le vol, refuser un passager etc… Démocratiser l’aviation légère… voilà bien une chose qui fait horreur à notre administration de tutelle. Sur le même modèle, on pourrait aussi annuler tous les mariages issus de sites de rencontre en ligne au motif qu’il y a une démarche commerciale, car l’amour ne se marchande pas. Mais non il faut vivre avec son temps et internet est un facilitateur en tous domaines et l’aviation légère ne doit pas faire exception. Elle étouffe déjà trop sous les contraintes. Certes il faudra quelques adaptations, en matière d’assurance ou d’expérience par exemple pour clarifier vis à vis de l’utilisateur qui aura toujours la possibilité d’aller se faire des copains en trainant dans un aéroclub (prenez une carte de membre honoraire, c’est pas cher) et de partir voler. Et si l’expérience est concluante, il sera au bon endroit pour franchir le pas et apprendre à piloter à son tour. C’était d’ailleurs ce week-end, les journées portes ouvertes de la fédération nationale aéronautique mais il n’est pas trop tard. les aéroclubs vous accueillent toute l’année pour voler.
USPNT dit
L’Union Syndicale du Personnel Navigant Technique tient à rappeler le principe qui prévaut, en France, pour les pilotes de loisir (avions, ULMs, etc.) : un pilote de loisir disposant de l’autorisation d’emporter des passagers ne peut le faire qu’avec des personnes qu’il connaît à priori. L’USPNT s’est adressé au gouvernement, à la DGAC et la GTA pour rappeler ce principe et alerter sur les risques induits et les dangers
que représente ces sites internets (remise en cause de l’équilibre réglementaire, passoire pour la sureté et danger pour le transport aérien et l’aviation d’affaire en proposant une ubérisation d’une activité d’ores et déjà attaquée de toute part. Retrouvez l’ensemble de notre argumentaire sur notre site internet : http://uspnt.com/co-avionnage-precarisation-et-contournement-des-lois/
Bertrand dit
… des personnes qu’il (le pilote PPL) connait A PRIORI !!! La DGAC précise même qu’il doit appartenir au cadre familiale ou amicale. Messieurs, pouvez-vous nous indiquer le numéro et la référence exacte de l’article de la réglementation qui restreint ce niveau de connaissance. Dans ces choses là, il faut être précis et s’appuyer sur des textes. D’avance, merci
Gus dit
très alléchant en terme de design, mais d’autres travaillent aussi sur le sujet, en plus « besogneux » http://www.wingshare.fr/ ou http://aerostop.free.fr/aerostop_v2/
roscografik dit
Article intéressant, effectivement offwefly semble plus réaliste dans ses explications, à mon sens le potentiel de développement reste uniquement dans la mise en relation avec une clientèle un minimum intéressée par l’aviation privée et correctement renseignée sur les enjeux. Ne pas oublier qu’en utilisant ce type de réseau les chances de partir en co-voyage avec un pilote ayant moins de 50 heures de vol sont énormes, on est très très loin de l’expérience d’un pilote pro.
Em Co dit
L’idée est bonne mais sans doute à affiner. L’important est de savoir avec qui l’on part, d’en connaître et d’en accepter les risques (chose dont notre société a horreur). Faut il plier face à la judiciarisation de notre société qui nous fera renoncer à peu près tout dans tous les domaines? Ce n’est pas mon avis. Il fut une époque où un pilote passionné s’apprêtant à partir en vol et voyant un curieux sur le bord de la piste, l’invitait à prendre place à bord faisant de lui un heureux et peut être aussi un futur pilote. Chacun acceptait le risque sans même y penser. Mais l’aviation n’est plus populaire et s’il reste quelques fous pour voler, être considérés comme des nantis et dangereux individus à bord de leurs polluantes machines, toute action pour promouvoir le partage du vol (je dis bien partage du plaisir et des frais) sera vite réprimée. Il ne faudrait pas que l’aviation redevienne trop populaire.
Combien d’avions partent avec 2 places vides? je ne pense pas que ce système rencontre un large public. mais il permettra à quelques passionnés non pilotes de pouvoir voler à moindres frais. Et si la première expérience est bonne, le second vol vol se fera entre nouveaux amis donc plus de problèmes!
Eric Benoit dit
Je me demande toujours si les personnes qui se désolent de la « judiciarisation » de la société, seraient prêtent à renoncer à une action en justice qui leur permettrait d’obtenir une indemnité substantielle 🙂
manu dit
Personnellement je ne suis pas pour cette « américanisation de la société » qui consiste à chercher à gagner de l’argent partout où cela est possible grâce à la justice. 🙁 L’acceptation du risque (ou le partage de cette acceptation) est quelque chose qu’il faut réhabiliter dans notre société sinon soit on ne peut plus rien faire soit on pourrit toute activité. C’est amusant comme en aviation tout prend des proportions exceptionnelles. Peut on admettre qu’un accident puisse résulter d’un enchainement de circonstances indépendantes de la volonté des victimes qui ont mutuellement et consciemment accepté les risques d’une activité qu’ils partagent? ou faut il interdire ladite activité a priori pour éviter d’avoir à constater que personne n’est vraiment responsable? je crois surtout que la France via son administration aurait horreur de voir l’aviation légère se développer et que toute initiative qui pourrait aider ce développement doit être tuée dans l’oeuf. L’aviation doit être commerciale car le pognon gouverne tout. Le bénévolat, la passion du vol doivent être passés à la moulinette de la judiciarisation pour mieux disparaître.
Eric Benoit dit
Une analyse exhaustive et lucide de la situation. La « promesse » actuelle de Coavmi.com, ne tient pas la route.
Il reste à souhaiter à cette startup de réussir son pivot… ça passe par un changement de promesse.
On s’étonne que la BPI se soit engagée dans ce projet.