Lors du séminaire de l’Association nationale des pilotes instructeurs (ANPI) tenu ce jour à Paris, Lise Mégret a présenté une étude menée dans le cadre d’une thèse à paraître l’an prochain, avec la collaboration des universités de Nanterre et d’Evry, et de l’équipementier Alsim (simulateurs de vol type FNPT), sur le comportement des pilotes dans le domaine de l’aviation générale. Il s’agissait d’étudier la prise de décision pour des pilotes mis dans une situation de vol « complexe, dynamique, à risque » afin d’identifier les facteurs influençant leur comportement.
Ainsi, 55 pilotes (les résultats de 51 ont été retenus pour l’étude) ont joué le jeu en participant à un scénario à suivre en simulateur avec comme consigne de signaler les anomalies constatées et d’indiquer leur décision. Les pilotes étaient équipés d’une caméra frontale afin d’enregistrer le vol et de suivre également leur regard. Un équipement permettait de plus d’enregistrer leur rythme cardiaque.
Après un entraînement (prise en main du simulateur), chaque pilote décollait pour une navigation facile dans le secteur de Nantes. Plusieurs pannes pouvaient survenir avec, par exemple, la génératrice ou le conservateur de cap. Mais la panne la plus « insidieuse » était une fuite de carburant débutant dès le décollage. Au départ, l’avion bénéficiait des pleins complets avec 2h15 d’autonomie pour une navigation d’une durée de 1h00 environ.
Quelques pilotes n’ont pas fait de bilan carburant, allant jusqu’à la panne sèche ou réagissant qu’avec l’alarme Bas niveau. D’autres se sont aperçu très rapidement que la consommation était importante avec déjà la moitié des réservoirs consommée au bout d’une trentaine de minutes (50% du vol envisagé). Le signal était « faible » car il n’y a pas d’alarme sonore ou visuelle prévenant le pilote d’une fuite de carburant imposant la nécessité de suivre régulièrement l’indication de la jauge, alors qu’il s’agit d’une panne imprévue et plutôt rare…
Un grand nombre de pilotes a bien analysé la sur-consommation mais leur comportement a divergé dans sa gestion. Certains ont réagi rapidement, avec la mise en place d’un déroutement (plusieurs solutions étaient alors possibles à évaluer en prenant en compte un vent fort du sud et l’absence de conservateur de cap mais un VOR pouvant tirer l’appareil vers l’aéroport de Nantes). D’autres ont poursuivi leur navigation comme prévu, tout en suivant la sur-consommation, ne s’inquiétant vraiment qu’après l’allumage de l’alarme (bas niveau) donc trop tardivement.
A l’issue du vol (chaque séance durait une demi-journée), chaque pilote avait un entretien sur son ressenti et un questionnaire à remplir. Les profils des pilotes couvraient une large palette d’âges (18 à 70 ans) et d’expérience (élèves, PPL, CPL de 31 à 6.000 heures de vol), avec 11 instructeurs (FI) et 40 pilotes, 50 hommes et 1 femme. Environ 75% des pilotes ont attendu de prendre la décision du déroutement, même en ayant analysé le problème auparavant. 11 pilotes ne se sont pas déroutés. Le pilote le plus réactif a détecté le problème après seulement 14 mn de vol et s’est dérouté dès la 20e minute.
Il est apparu que les FI/CPL puis les FI/PPL ont été les plus rapides à réagir, devant les CPL, les élèves et les PPL. Ces derniers, poursuivant leur projet de vol malgré l’évolution de la situation (objectif destination !) ont attendu en moyenne plus longtemps que les élèves-pilotes pour prendre la décision de se dérouter. L’âge et les heures de vol n’ont pas d’impact sur le comportement relevé. Le niveau de qualification (PPL ou CPL) intervient déjà plus mais c’est surtout le type d’activité qui montre une divergence nette entre les FI et les pilotes. Les FI s’avèrent plus entraînés à prendre la bonne décision, étant toujours vigilants ne serait-ce que pour gérer les erreurs de leurs élèves !
Entre les « pilotes qui se déroutent tôt » et les « pilotes qui se déroutent tard », des différences ont été relevées. Les premiers utilisent des check-lists « actives », sont plus actifs, prennent en compte plus de paramètres dans leur réflexion, ont un pilotage stable et sont les… plus inquiets. Les seconds utilisent des check-lists en mode « routine », sont moins actifs (moins de paramètres suivis), ont un pilotage instable, sont moins inquiets mais peuvent annoncer au débriefing un « sentiment d’impuissance », dépassés par les événements.
Cette étude montre ainsi que le niveau des PPL peut se dégrader au fil du temps (ce n’est pas une nouveauté…) surtout s’ils limitent leur activité (la routine du vol local et des tours de piste), avec une diminution de leurs ressources. D’où pour les instructeurs la nécessité de sensibiliser les pilotes aux menaces pouvant survenir en vol, en les sensibilisant notamment aux « signaux faibles », imposant une surveillance régulière de l’appareil. Il n’est pas interdit de jouer au jeu du « Et si… » tel problème survient à cet instant, que vais-je faire ? Si tel phénomène survient, quelle stratégie adopter ? Il est nécessaire également de donner régulièrement aux élèves l’occasion de prendre des décisions, en vol réel (selon les situations rencontrées) ou simulé, que ce soit en vol ou au sol. ♦♦♦